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Racket des automobilistes : ce scandale des quotas qui perdure dans le silence
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Bonnes feuilles

L'ex numéro 1 du service des contraventions livre un guide de conseils aux automobilistes injustement condamnés et dénonce les dérives de la répression actuelle, les violations de leurs droits et la course effrénée à la rentabilité via une dictature des résultats mettant sous pression des policiers exténués. Extrait de "Le Grand Racket des automobilistes" (2/2).

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

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Chaque autorité de l’État, ou d’une municipalité, affirmera, encore aujourd’hui et la main sur le coeur, qu’elle n’a jamais demandé un quota de contraventions pour chacun des fonctionnaires dépendant d’elle. Rien n’est plus faux. Selon une étude faite par un chercheur du CNRS de Toulouse et rendue publique au début du mois de février 2013, 75 % des 6 000 gardiens de la paix qui ont été interrogés dénoncent la culture du chiffre qui leur est appliquée, alors que, toujours selon eux, elle est un élément essentiel de leur métier. Elle constitue également un critère important pour être « reconnu » par la hiérarchie.

Laquelle hiérarchie utilise ce levier pour attribuer des récompenses, sans que le moindre critère objectif et transparent puisse être pris en compte. Le raisonnement est simple, du point de vue de la hiérarchie, dont je me garderai bien de ne pas reconnaître que j’en ai fait partie. Le policier « zélé » qui va aller tout à fait dans le sens voulu par son chef est un excellent élément. Ce même policier qui estime plus utile de se montrer attentif à ne pas appliquer une verbalisation aveugle et de seulement mettre en garde un contrevenant laissera une empreinte de sa mission bien plus profitable pour la prévention que s’il avait relevé une contravention de manière pure et dure. Mais, faute de faire du chiffre, il n’est pas un bon élément. Dans le cas d’un avertissement, le contrevenant répétera plus durablement qu’il a eu affaire à un « flic vraiment chouette et compréhensif », alors que, dans le cas où il aura été verbalisé indûment, ce contrevenant dira lui aussi plus durablement : « Ces flics, vraiment ce sont tous des... » Je vous laisse le soin de compléter la phrase.

Que ce soient le ministère de l’Intérieur, les préfectures, les directions départementales de sécurité publique, la direction de la gendarmerie, les commandants de groupements, tous répètent en choeur qu’il n’y a pas de quotas imposés, qu’aucune instruction n’est donnée en ce sens par la haute hiérarchie, même lorsque des instructions écrites sont données, comme le reconnaît ce commandant de gendarmerie des Côtesd’Armor début novembre 2012.

La réponse est invariable, il s’agit de « cas isolés », de personnels « qui ont cru bien faire », de « dérives individuelles », sauf que l’on retrouve ces « dérives » dans la plupart des services de police et de gendarmerie.

Quand on y ajoute la pression non dissimulée des élus locaux qui veulent « leur part du gâteau », qui dépend du nombre de P-V établis par leurs agents de police municipale ou leurs ASVP, il n’y a plus grandchose à démontrer ; tout est mis en oeuvre pour « exploiter un filon », quitte à ce que d’autres missions de service public soient délaissées.

L’équation est simple à comprendre : diminution des effectifs de police et de gendarmerie + nécessité d’augmenter les rendements de la verbalisation + pression de la hiérarchie = services excédés, + de fric dans les caisses de l’État, – de missions de sécurité au détriment des citoyens.

Je sais que des « primes », des « récompenses », sont attribuées aux fonctionnaires « méritants » ; ils ne per - çoivent pas un pourcentage sur les contraventions qu’ils ont dressées, certes, non ; mais il y a des primes de 600 ou 700 euros qui vont être attribuées pour l’ensemble de l’activité du fonctionnaire concerné, des mutations facilitées, des avancements et des promotions plus rapides, etc. Il y a de multiples façons de rendre la vie professionnelle d’un fonctionnaire de police plus aisée, dès lors qu’il est « obéissant ».

A contrario, il y en a d’autres, et j’en connais, à qui la fonction est rendue particulièrement pénible par leur hiérarchie proche, parce qu’ils ne veulent pas « rentrer dans le moule ». Pour avoir toujours fait valoir ma vision du service public, contre certains « intérêts administratifs », certains membres de ma hiérarchie m’ont compliqué la tâche avec au besoin des avertissements du genre : « De toute façon, je vous ai à l’oeil, je ne vous raterai pas ! » J’ai même eu un directeur qui a préféré perdre un poste d’avancement attribué à sa direction plutôt que de m’en faire bénéficier, car j’étais le seul à promouvoir. Alors que dire pour un gardien de la paix ou un brigadier qui a je ne sais combien de « chefs » entre lui et son chef de service, alors que, pour ma part, ma hiérarchie était déjà beaucoup plus éclaircie ? Je comprends que, pour les fonctionnaires de base, c’est la loi de « l’emmerdement maximum ».

Extrait de "Le Grand Racket des automobilistes", Philippe Vénère, (Cherche Midi Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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