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"Avec la mort de Ben Laden, al-Qaïda n'est plus un problème"
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Mort de Ben Laden

Avec la mort de son leader et fondateur, l'organisation terroriste tentaculaire al QaÏda n'est plus que l'ombre d'elle-même.

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : Avec la coïncidence des révolutions arabes et la mort de Ben Laden, vivons-nous actuellement un moment historique ?

Olivier Roy : Tout dépend de ce que l’on prend comme dimension de l’histoire ; si l'on prend 2 000 ans, un siècle, 50 ans ou 10 ans. Si on prend 50 ans, il s’agit clairement d’un tournant historique. Il existe un lien évidemment chronologique entre les révolutions arabes et la mort de Ben Laden. Est-ce qu’il existe un lien plus que chronologique ? C’est une autre affaire. Mais il est clair que le Printemps arabe s’est fait en dehors de toutes les problématiques idéologiques défendues par al-Qaïda. Cette indifférence dans laquelle est maintenue la nébuleuse terroriste est la pire des choses pour al-Qaïda. Celle-ci n’existe qu’en faisant la Une des médias car l’organisation n’est pas un parti politique, ni une organisation de masse ; il n’y a même pas de cellules dormantes. Tout cela, c’est de la propagande. En réalité, Al-QaÎda n’existe que dans l’action et s’est faite totalement marginalisée par le "Printemps arabe".

Le traitement médiatique de la mort de Ben Laden est en cela intéressant. Il montre le poids que celui-ci avait en Occident ; et, par contraste, la quasi indifférence du monde musulman montre qu'il était avant tout un problème occidental, si j’ose dire. Il l'avait d'ailleurs très bien compris, c’était cela sa stratégie : Ben Laden n’existait qu’en faisant la Une des journaux, c’était un acteur qui marche sur scène, il meurt en jouant son rôle.

Il a eu son moment de gloire lors des attentats du 11 septembre 2001, mais il suffit de regarder le recrutement d’Al-Qaida : l’organisation n’a jamais réussi à s’implanter dans un pays arabe : virée d’Irak, du Liban, d’Egypte, il reste certes Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique), mais c'est une bande de 100 gars qui se promènent dans le désert, qui enlèvent des otages et les négocient pour quelques millions d’euros. Mais si on considère le monde arabe dans son ensemble, al-Qaida est marginalisée dans tous les sens du terme : politiquement et géographiquement. Le lieu de recrutement d’Al-Qaida, c’est l’Occident.

Attention, je ne dis pas que l'Occident manipule l'opinion : Bush était convaincu qu' al-Qaïda était une menace planétaire. C’est une auto-intoxication mais pas une manipulation. Un fantasme culturel. Al-Qaida était perçu comme l’avant garde du monde musulman alors que l’organisation terroriste était certes radicale, mais largement marginale par rapport aux tendances lourdes des sociétés du monde musulman.

Vous en parlez déjà au passé...

Oui car al-Qaïda sans Ben Laden, ça sera autre chose. C’est comme l’ETA ou l’IRA d’aujourd’hui qui ne sont plus que les ombres de ce qu’ont été les mouvements historiques.

On lit dans la mort de Ben Laden, ce qu’on n’a pas voulu voir dans le Printemps arabe car le Printemps arabe, c’était la question de l’influence des islamistes. Et on réalise maintenant, avec la mort physique de Ben Laden, qu’Al-Qaida n’est plus un problème et que les pays arabes sont en voie de démocratisation.

Selon vous, avec ou sans Ben Laden, Al-Qaida était donc déjà morte ?

Oui. La grande différence, c’est que la figure de Ben Laden permettait encore à des jeunes en rupture de bancs de s’identifier à une sorte de “Robin des bois” qui défiait la plus grande puissance du monde : l’Amérique. Je ne vois pas d’autre figure charismatique pour le remplacer.

Or, c’est très largement cette fascination pour un héros, surtout négatif, qui est la base du recrutement d’Al-Qaida. Les membres de l’organisation sont en fait des marginaux, pas forcément socialement d’ailleurs, mais ce ne sont jamais des gens au coeur des mobilisations sociales et politiques.

On peut d'ailleurs se demander si les Pakistanais n’ont pas tiré les conséquences de cette marginalisation d’al-Qaïda pour se débarasser à la fois de Ben Laden et apparaître comme les alliés solides des Américains. En réalité, le Pakistan joue un double jeu : je pense que les Pakistanais savaient très bien où était Ben Laden et l’ont protégé. Mais quand les Américains l'ont retrouvé, ils ont décidé de faire semblant de collaborer. Ils ont déclaré avoir collaboré avec les États-Unis, ce qui est improbable, mais ils ont été forcément mis au courant de l’opération, même à la dernière minute, simplement pour que les militaires pakistanais ne tirent pas sur les hélicoptères de l’armée américaine,  puisqu'il s’agissait d’une zone militaire. Donc finalement, les Pakistanais ont décidé de lâcher Ben Laden après l’avoir protégé.

De toute façon, tout le monde se tient pas la barbichette : les États-Unis ne peuvent pas lâcher le Pakistan car ils sont dans la perspective de quitter l’Afghanistan et ont donc besoin de sa collaboration. Ils ne se font plus d’illusions depuis longtemps, mais ils ne peuvent pas d’un seul coup couper les vivres au Pakistan.

Le gouvernement pakistanais doit lui maintenir ses liens avec l’Amérique et en même temps montrer à sa population, à son opinion publique, qu’il est opposé aux Américains. Il s’agit donc d’un exercice délicat : ils s’en sont bien sortis jusqu’à présent, mais c’est de plus en plus difficile a tenir.

Pour les Pakistanais, paradoxalement, la disparition de Ben Laden leur permet de tenir l'un de leurs objectifs de guerre : le départ de l’armée américaine. Les membres de l’OTAN, qui se posent beaucoup de questions sur leur présence en Afghanistan, ont désormais un bon prétexte pour partir la tête haute : ils peuvent dire “nous sommes intervenus en 2001 pour chasser Al-Qaida et capturer Ben Laden, nous avons réussi, nous pouvons partir maintenant. Mission accomplie”. Cela arrange les Pakistanais qui souhaitent le départ des troupes de l’Alliance et espèrent l’arrivée des Talibans au pouvoir.

Pour le reste du monde, la mort de Ben Laden n’est pas vraiment un événement : al-Qaïda ne joue plus un grand rôle. L’attentat de Marrakech n’est qu’un fait divers mortel mais beaucoup de faits divers sont mortels, ce n’est pas un événement politique. Cet attentat ne va rien changer sur la vie politique marocaine mais seulement entraîner quelques annulations de réservations pour les touristes. Sur le plan international, cela ne fait donc qu’illustrer la marginalisation d’Al Qaida.

Pensez-vous finalement que ce moment historique marque une étape décisive dans la démocratisation des pays arabes ?

Si l'on pense qu’il peut y avoir un Parlement et des élections partout dans le monde arabe à l’automne, non bien sûr. Mais ce mouvement de démocratisation est irréversible : il signifie la disparition des paradigmes de la culture politique du monde arabe. Depuis les année 1950, c’est à dire des idéologies transnationales - panarabisme ou panislamisme - des figures charismatiques de dictateurs - de Nasser à Arafat en passant par Khomeini -, la théorie du complot, l'hostilité première aux États-Unis et à Israel, tout cela a sauté. Bien sûr, on assiste à un patriotisme très fort : l’opinion publique égyptienne n’aime pas Israel, ils ne vont donc pas se mettre à aimer Israel.

Mais ce n’est pas nouveau, c’est comme les Français qui veulent sortir de l’Union européenne : il y a des contraintes qui s’imposent. Il y aura donc des renégociations des accords de paix entre les deux pays mais pas d’état de guerre. Les négociations vont porter sur toutes les dimensions secrètes des accords : collaboration des services secrets, fixation du prix du gaz, etc. Il y a certainement des cadavres dans le placard, mais la paix et la coexistence entre les deux pays vont se maintenir.

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