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Pourquoi la gauche se berce d’illusions en imaginant qu’elle pourrait retrouver un souffle commun sans avoir réduit ses fractures idéologiques
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Pétaudière

Dans une interview accordée au Parisien mardi 29 octobre, la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann appelle à "un nouveau pacte majoritaire" et à "un Grenelle de l'ensemble des forces de gauche". Malgré sa victoire de 2012, le Parti socialiste n'a pas encore réussi sa mutation idéologique, payant le prix de dix années avec François Hollande à sa tête.

Atlantico : Affaibli dans l'opinion, le président de la République est également de plus en plus contesté dans sa majorité. Dans une interview donnée au Parisien mardi, la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann appelle à "un nouveau pacte majoritaire" et à "un Grenelle de l'ensemble des forces de gauche". Quelles sont aujourd'hui les principaux points de divergence idéologique au sein de la gauche aujourd'hui ?

Christophe de Voogd : Les principaux points de divergence idéologique passent au sein de la gauche mais aussi au sein du PS. Le Parti socialiste, qui n'a jamais fait son Bad-Godesberg, n'est toujours pas un parti homogène. Il est resté dans l’"ambiguïté mitterrandienne". Pour s'en convaincre il faut lire "la déclaration de principes" du parti socialiste de 2008, compromis entre toutes les tendances, bien difficile à comprendre. Dans cette déclaration, le PS s'affirme comme un parti "réformiste", tout en appelant à une "transformation sociale radicale" (article 14). Le capitalisme y est fortement mis en accusation et le discours sur l'économie de marché est très ambivalent, pour ne pas dire alambiqué. 

Cette ambiguïté du PS, en en faisant un "parti attrape-tout", a longtemps été une force. Elle devient aujourd'hui une faiblesse. Contrairement à la formule mitterrandienne, je dirai qu'aujourd'hui, "on ne reste dans l’ambiguïté qu'à ses dépens". Si la confusion idéologique peut être propice à la conquête du pouvoir, elle est en revanche nuisible à son exercice.

Au-delà de ce clivage historique entre un socialisme radical et un socialisme réformiste, le clivage actuel le plus fondamental porte sur l'Europe et la mondialisation. Il est d'ailleurs parfaitement illustré par le couple Moscovici/ Montebourg à Bercy. Le premier s'affirme clairement comme un social-démocrate européen tandis que le second est ouvertement protectionniste. Mais ce clivage  ouverture/clôturen'est pas propre au PS et traverse tous les partis. C'est sur cette ligne de fracture qu'est en train de se recomposer tout le paysage politique français.

Denis Sieffert : Je crois tout simplement que les gens de la gauche qui critiquent François Hollande critiquent le François Hollande président en s’appuyant sur le François Hollande candidat. Quand on regarde par exemple le discours du Bourget, toutes les ailes de la gauche y ont adhéré. Ce n’est pas la rupture des hommes et des personnalités, mais c’est un retour à ce qui a été dit et promis pendant la campagne électorale.

La grande ligne de fracture porte sur la question de l’austérité. La gauche de la gauche (aile gauche du PS, Front de Gauche et certains écolos) est partisane d’une politique de relance salariale, de rupture avec la politique d’austérité. Ils refusent cette obsession budgétaire qui conduit à être soumis au diktat européen, en somme à une politique d’austérité, d’économie qui touche le pouvoir d’achat et attaque les salaires. La grande rupture reste le choix entre la politique de l’offre ou la politique de la relance. Cette gauche est pour une politique de la relance alors que les socialistes du gouvernement ont inventé cette formule du « socialisme de l’offre », une politique libérale, entrant en contradiction avec les fondements de l’idéologie sociale.

Il y a également des divergences stratégiques, notamment entre l'aile gauche du PS et la Front de gauche. Des gens comme Marie-Noëlle Lienemann ou  Emmanuel Maurel on fait le choix de rester au PS car ils sont convaincus que c’est de l’intérieur que les choses peuvent changer. D’ailleurs,  Marie Noëlle Lienemann a employé cette formule qui peut se défendre « le PS n’est pas la propriété de François Hollande et des gens du gouvernement».  Jean-Luc Mélenchon a fait le chemin inverse, il a quitté le PS pour rejoindre le parti de gauche, et créer une autre structure…

C’est sur ces lignes que le paysage politique français est en train de se recomposer.
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L'affaire Leonarda a divisé la gauche, entre les partisans de la ligne Valls et les tenants de la gauche morale. L'exécutif pâtit-il de l'incohérence de sa majorité ?

Christophe de Voogd : D'abord, je récuse le terme de "gauche morale", qui relève de l'auto-désignation. La morale, c'est défendre le droit d'asile, et non la famille de Leonarda dont le comportement, si les mots ont un sens, n'a rien de "moral".

Oui, l'exécutif pâtit de l'incohérence de sa majorité, qui est désormais divisée en deux camps : les pro-Valls et les anti-Valls. Le ministre de l'Intérieur s'inscrit dans la tradition de l'ordre républicain incarnée notamment par Jules Ferry et Clemenceau. Cette gauche a toujours existé et il ne faudrait pas confondre l'intégralité de la gauche avec la gauche post-soixante-huitarde. On retrouve d'ailleurs cette ligne dans la déclaration de principes du PS, qui mentionne  clairement "le droit à la sécurité".  Elle s'affronte à la gauche anti-Valls, qu'on pourrait aussi qualifier de "gauche humanitaire", mais qui est d'abord une entreprise politique ayant pour objectif le pouvoir. Cette gauche a également toujours existé, mais a surtout prospéré avec le refus de l'autorité radicale de la "pensée 68". Ce clivage traverse toute la gauche et s'invite même au sein du couple présidentiel. En effet, au sujet du retour de Leonarda, consenti par le président de la République, certains observateurs parlent d'"amendement Trierweiler".

Denis Sieffert :  Il y a une incohérence sur cette question de flux migratoire. On est dans un cas très particulier, où la gauche de la gauche et certains membres du PS, étaient partisans d’une mesure d’apaisement pour permettre à la famille Dibrani de revenir, vu les conditions dans lesquelles elle avait été expulsée. François Hollande a fait le plus mauvais choix, un choix médian pratiquement impraticable. Par ailleurs, les coups de mentons de Manuel Valls, ses déclarations sur les Roms, les démantèlements de campements, donnent symboliquement l’image d’une politique très droitière.

Au-delà des divisions de sa majorité, l'exécutif ne manque-t-il pas tout simplement de ténacité, notamment en matière de réduction des déficits et de compétitivité ? Sur le plan économique, Jean-Marc Ayrault semble partisan d'une ligne social-démocrate. L'affirme-t-il avec suffisamment de force ?

Christophe de Voogd : Il ne faut pas sous-estimer la ténacité de Jean-Marc Ayrault et de François Hollande. Ce n'est pas un hasard si ce dernier est arrivé au pouvoir. Qui a fréquenté un tant soit peu la vie politique sait l'énorme quantité d'énergie - une énergie souvent vaine d'ailleurs - qu'elle requiert. Plus que de ténacité, je pense que le pouvoir actuel manque de clarté pour toutes les raisons que j'ai évoquées précédemment. Une partie du gouvernement est effectivement social-démocrate, comme Pierre Moscovici, qui a fait son "coming-out" dans son dernier livre. Reste à savoir si la social-démocratie est vraiment l'idéologie de notre temps. Elle est, de fait, en crise partout.

A vrai dire, le rôle central de l’État reste le dénominateur commun de la gauche au sens large et même d'une partie de la droite. Or la crise de la dette souveraine montre clairement que l’État est en crise. C'est cette crise de l’État que la gauche, mais aussi la France dans son ensemble, a du mal, pour ne pas dire plus, à gérer.  Pour une raison capitale : l'absence de tout référentiel dans la société civile, et particulièrement dans l'entreprise. Avec ses militants fonctionnaires, ses cadres politiciens professionnels et ses dirigeants issus de la haute fonction publique, le PS, encore plus que la droite, ne connaît quasiment rien des réalités de l'entreprise : à l'exception  du CAC 40, où certains ont "pantouflé". Mais gagner un marché, négocier un prêt bancaire, affronter l'URSSAF, ou se demander comment assurer la paie des employés, autant d'expériences quotidiennes des PME dont l'appareil du PS n'a aucune idée. Pour beaucoup d'entre eux, l'entreprise est au pire un lieu d'exploitation de l'homme par l'homme, et au mieux un vache à lait fiscal... pour les besoins de l’État, garant du sacro-saint "intérêt général". Seuls les élus locaux savent de quoi il retourne : d'où leur distance croissante avec la rue de Solférino.

Denis Sieffert : Il est difficile pour François Hollande d’imposer une ligne à sa majorité, puisqu’elle regroupe ceux qui l’ont fait roi, qui l’on élu. Se trouver de front en face de sa base électorale, représentée par les députés de sa majorité politique crée un inconfort politique dont François Hollande et Jean-Marc Ayrault sont les seuls responsables. C’est la question de la promesse et de la cohérence par rapport à la campagne électorale elle-même qui est posée. Il était par exemple dit dans le programme de François Hollande qu’il y aurait une grande réforme fiscale, mais elle n’a jamais vu le jour.

On est dans une politique de segmentation au lieu d’avoir une vraie politique fiscale cohérente comme celle qui fut annoncée pendant la campagne électorale.Cela génère des réactions de groupes, de lobbys, de corporations qui vont se multiplier. Ça a commencé avec les pigeons, et toutes sorte de volatiles se manifestent désormais. Cette segmentation d’opposition, François Hollande l’a générée lui-même.

Durant sa période à la tête du Parti travailliste, puis comme chef du gouvernement, Tony Blair a réformé en profondeur l'idéologie et la pratique du travaillisme britannique, désormais surnommé le "New Labour". Une mutation similaire est-elle possible en France  ?

Christophe de Voogd : Pour cela, il faudrait deux conditions. D'abord une situation de faillite du pays. Il faut rappeler que le FMI était sur le point d'intervenir en Angleterre à la fin des années 70, à l'issue d'une décennie dominée par les travaillistes. Peut-être est-ce une hypothèse qui est en train de se réaliser en France. Nous arrivons en effet à une  épreuve de vérité du point de vue du déficit public, et les marchés financiers - et/ou Bruxelles - pourraient bien siffler la fin de la récréation.

La deuxième condition est qu'il faudrait que  la gauche ait traversé une longue période d'opposition. Cette deuxième condition n'est pas remplie. Certes, les socialistes ont été pendant 10 ans à l'écart du pouvoir. Mais la droite chiraquienne était une droite "molle", et la droite de Nicolas Sarkozy a été largement "une droite entravée". Tony Blair, lui, arrivait après 16 ans de gouvernement conservateur et 11 ans de révolution "thatchériste". Du coup, la gauche française a au moins 30 ans de retard. Elle hésite encore à parler de "social-démocratie", alors que la gauche européenne de gouvernement a, depuis au moins dix ans, dépassé ce stade pour assumer un véritable "social-libéralisme", du SPD allemand à la gauche italienne en passant par le PvdA néerlandais...

Denis Sieffert : Je ne sais pas, mais il ne faut jamais jurer de rien. Ce serait un acte extrêmement violent par rapport à la tradition sociale  française. François Hollande a une politique libérale, mais qui est celle d’une social-démocratie, elle n’est pas la politique de Blair et de Thatcher. Il ne faut pas oublier que Blair est passé après Thatcher, il a gauchisé une situation héritée de Margaret Thatcher tout en restant droitier du point de vue économique. Nous ne sommes pas dans le même cas ici.

Je pense qu’une telle mutation serait très difficile et n’est pas souhaitable : ce serait rompre avec une tradition sociale :  celle des services publics développés et du refus de la privatisation de ces derniers. Aujourd’hui, François Hollande pratique une politique d’entre deux, et c’est là, la source du problème.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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