UDI et Modem peuvent-ils vraiment vaincre à eux seuls le clivage droite/gauche en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Bayrou estime que Jean-Louis Borloo et lui pourront officialiser leur alliance "dans les jours qui viennent".
François Bayrou estime que Jean-Louis Borloo et lui pourront officialiser leur alliance "dans les jours qui viennent".
©Reuters

Des fous ou des révolutionnaires ?

François Bayrou estime que l'alliance entre son parti et l'UDI pourra être officialisée "dans les jours qui viennent". Un rapprochement qui sonne le glas de la stratégie d'indépendance du président du Modem et marque son retour au centre-droit.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le rassemblement de l'UDI et du MoDem est sur la bonne voie. François Bayrou estime que Jean-Louis Borloo et lui pourront officialiser leur alliance «dans les jours qui viennent». Cette union des centres peut-elle vraiment bouleverser le paysage politique français  et transcender le clivage droite/gauche ? 

Christophe Bouillaud : Une chose me semble pourtant claire à ce stade, bien  au contraire, c'est que la réunion UDI- Modem est en train de ressusciter le bon vieux centre-droit du "quadrige bipolaire" des années 1980. En effet, à moins que Jean-Louis Borloo soit assez fou pour emmener ses troupes sur la position intenable du Modem de François Bayrou d'indépendance vis-à-vis de la droite et de la gauche, c'est bien au contraire à un retour au bercail du Modem (ex-UDF réduite aux seuls partisans de F. Bayrou) auquel on est en train d'assister.

En raison du système électoral majoritaire uninominal à deux tours appliqué dans les élections majeures, il est en France totalement impossible de créer un centre indépendant de l'un des deux camps dominés respectivement par l'UMP et le PS.  Du coup, "le centre" est en France nécessairement allié avec la droite ou avec la gauche s'il veut exister. Donc l'alliance Boorlo/Bayrou ne va pas transcender le clivage droite/gauche, mais réinscrire progressivement le Modem à droite. Bien sûr, pour sauver (un peu) la face de F. Bayrou qui apparaît comme un bien piètre stratège dans toute cette affaire, les protagonistes vont prétendre au départ de la nouvelle alliance que ce n'est pas le cas.

Malgré ses 19% à l'élection présidentielle de 2007, François Bayrou n'a pas réussi à imposer un centre indépendant et son ralliement à la gauche a également été un échec. Le centre est-il condamné à pencher d’un côté de l’échiquier politique, particulièrement à droite ? Pourquoi ? 

Fondamentalement, François Bayrou au nom de sa personne supposée charismatique a cru pouvoir nier les règles systémiques qui s'appliquent depuis des décennies dans le système politique français : avec le mode de scrutin en vigueur, majoritaire à deux tours, ce sont les deux grands partis - l'UMP et le PS actuellement - qui autorisent les autres partis à avoir des élus en s'alliant avec eux, c'est particulièrement vrai pour les nouveaux entrants (Verts, FN)  et/ou pour les dissidents d'un des deux camps (MRC, Modem, Parti de gauche).

Inversement, les entrants ou les partis tiers jouent un rôle décisif dans la victoire globale de chaque grand parti, en leur offrant l'appui nécessaire pour former une majorité nationale. Le "Modem" de François Bayrou a pu croire s'affranchir de ces règles, où les petits doivent s'allier avec les grands pour exister en vendant le plus cher possible leur appui à la victoire des grands. En 2007, au lieu d'appuyer franchement et clairement la candidature de S. Royal ou celle de N. Sarkozy, F. Bayrou choisit de ne pas choisir, et il veut ensuite que des candidats Modem se présentent à la députation contre les deux camps. Dès le départ, les députés ex-UDF n'ont d'ailleurs pas suivi cette stratégie sachant bien que cela les mènerait à perdre tous leur siège : en 2007, sans rester allié à l'UMP ou  sans se jeter dans les bras du PS, c'est la déroute assurée. Ils ont donc créé face à cette irrationalité de F. Bayrou le "Nouveau Centre" autour de Hervé Morin, qui est resté en ménage avec l'UMP. Toutes les élections suivantes ont confirmé que le Modem ne réussirait pas à percer, car la règle est implacable : sauf à disposer d'une force électorale dès le départ implacable (mais comment ? par quel miracle ?), un nouveau parti ne peut pas avoir d'importance effective en France sans l'autorisation de l'un des deux partis dominants, l'UMP ou le PS. Les écologistes ont mis presque une vingtaine d'années pour bien assimiler la règle. Le FN l'a sans doute compris depuis longtemps, mais sait que l'UMP serait bien bête de lui offrir son ticket d'entrée. Le PCF survit à sa mort électorale et programmatique depuis un quart de siècle grâce à son alliance constante avec le PS - ce qui explique ainsi que les appels à si j'ose dire à  la "modemisation" du Front de gauche de la part de Jean-Luc Mélanchon ne séduise guère la direction du PCF.

Personnellement, l'attitude irrationnelle du Modem de François Bayrou m'a toujours fasciné : lors d'un séminaire organisé à Grenoble, il y a quelques années, j'avais directement posé la question à un responsable Modem, en lui expliquant par a+b cette contrainte systémique pour tout nouvel entrant. Il avait dit être conscient de l'impasse que je décrivais, mais il disait tout miser sur la future Présidentielle. On sait le beau score de F. Bayrou à la Présidentielle de 2012 ; après la période minimale de décence pour enterrer les illusions du Modem de 2007, il est temps de revenir à la réalité des règles implacables de l'affrontement droite-gauche et d'essayer de reconstituer un centre-droit allié à la droite. 


Existe-il un décalage entre les élus qui dans les faits sont capables de travailler ensemble en particulier à l'échelle locale et les électeurs plus attachés aux clivages traditionnels ? Le centre qui est souvent considéré comme un parti de notable, peut-il trouver un réel écho auprès d'un électorat davantage attaché à la polarisation de l'offre politique ?

Comme l'expérience du Modem a globalement tourné à l'accident industriel, il n'y a pas beaucoup d'élus de ce parti dans les municipalités, les départements, les régions, etc. Les notables issus de l'UDF, les plus traditionnels du Modem de 2007, ont en général bien joué, pour ne pas sombrer dans l'aventure en se rapprochant de la droite sans s'y confondre.
Les jeunes pousses du Modem de 2007 ont, soit disparu de l'échiquier, soit rallié l'un des deux camps. S'ils ont des postes à responsabilité dans une majorité locale de droite ou de gauche (comme à Lyon par exemple), je suppose qu'ils vont rester dans le camp qu'ils ont choisi. Quant aux électeurs de centre-droit, je pense que dans le contexte d'un pouvoir socialiste, particulièrement impopulaire, ils seront fort aises de trouver une offre qui se situe clairement dans l'opposition.
La nouvelle offre UDI-Modem peut sans doute rencontrer une demande politique d'électeurs attentifs à l'idée d'une opposition responsable, pro-européenne, explicitement libérale. Je ne crois pas l'image de partis de notables puisse nuire à ce nouveau groupe, au contraire, ils offrent ainsi une image de sérieux et de pondération, et d'ailleurs que veut dire être un notable dans la France de 2013 ?
Plus généralement, j'ai bien l'impression que pour le camp de la droite en général, la création de l'UDI et le rapprochement du Modem avec ce dernier vont lui permettre de tenir deux discours distincts : l'UMP pourra se radicaliser à loisir en mimant à loisir le FN, et l'UDI-Modem pourra représenter l'aile humaniste, européenne, libérale, de la droite. On retrouverait un tandem tel que celui entre la CDU et la CSU en Allemagne. Good cop, bad cop, en somme. 


Aujourd'hui le Front national attire aussi bien des électeurs de droite que de gauche. Plus que le centre, est-ce finalement le FN qui transcende les clivages traditionnels ? Comment expliquer que Marine Le Pen semble réussir là ou les centristes peinent à convaincre ?

De fait, si les électorats du Modem et du FN se ressemblent un peu en 2007 par leur demande de voir autre chose que le PS et l'UMP, ils sont opposés sur le plan des valeurs, en particulier sur l'Europe, l'ouverture au monde, l'immigration. En 2007 et en 2012, le gros de l'électorat du FN aux Présidentielles se situe lui-même à droite ou l'extrême-droite de l'échelle politique, et vote majoritairement au second tour pour le candidat de droite. Il est donc difficile de dire que l'électorat de ce parti transcende vraiment les clivages traditionnels. Ce point reste donc à vérifier sur une prochaine élection présidentielle. Si en 2007, l'électorat Bayrou est très composite, en 2012, ce qui reste de l'électorat Bayrou vote plutôt à droite à la Présidentielle. 

Pour ce qui est du centre envisagé au regard du FN, il faut noter que le potentiel d'un discours électoral à droite de l'échiquier politique faisant l'éloge de l'Europe et de l'ouverture au monde n'est pas nul, loin de là, mais qu'il est indéniablement plus faible qu'un discours anti-mondialisation tel que celui que porte traditionnellement le FN et que s'escriment à imiter certains leaders UMP depuis deux-trois ans. Ce n'est pas donc pas tant que les centristes peinent à convaincre par un manque de pédagogie de leur part qu'il faudrait souligner que le fait que les thèmes qu'ils entendent défendre sont bien moins porteurs en eux-mêmes dans l'électorat en général que ceux du FN. Il n'est que de voir certaines réactions des lecteurs d'Atlantico aux moindres propos cherchant à être neutres sur l'Europe. Les élections européennes de juin 2014 devraient ainsi permettre de mesurer la prise effective sur les électeurs d'un discours UDI-Modem, clairement dans l'opposition, en alliance avec l'UMP, mais pro-européen.  Le résultat de l'UDI-Modem dépendra aussi beaucoup du positionnement de l'UMP à cette occasion : ce parti continuera-t-il à émettre des propositions contraires aux règles de bienséance européenne, comme avec la récente proposition d'un de ses leaders d'en finir avec l'espace Schengen ? L'UDI-Modem pourrait alors clairement s'afficher comme le seul parti de droite pro-européen.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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