Comment faire la différence entre un enfant précoce et un enfant... mal élevé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les enfants précoces ne sont pas plus nombreux qu’avant, les enfants agités par contre, le sont beaucoup plus."
"Les enfants précoces ne sont pas plus nombreux qu’avant, les enfants agités par contre, le sont beaucoup plus."
©Reuters

Enfant roi

Un enfant turbulent n'est pas nécessairement surdoué, n'en déplaise à ses parents. Les surdoués ne représenteraient que 2,3% des élèves.

Atlantico : Sur son blog, la psychologue Béatrice Copper-Royer estime que si les enfants précoces ne sont pas plus nombreux qu’autrefois, les parents auraient tendance à davantage interpréter des comportements turbulents comme des signes de précocité (lire ici). Comment faire la différence entre un enfant précoce et enfant mal élevé ?

Pierre Duriot : En effet, les enfants précoces sont parfois  inadaptés à leur environnement parce qu’ils ont une perception différente des choses et des comportements, saisissent des situations d’ensemble qu’ils comprennent d’emblée, sans effort, de manière intuitive, dans une école où les cheminements intellectuels sont disséqués, découpés en étapes destinées à faciliter la compréhension de tous les élèves, par paliers successifs. L’enfant surdoué ou précoce n’entre pas dans ce type de cheminement et se retrouve en décalage par rapport à ses camarades d’où la possibilité d’un comportement très agité ou à contrario très passif, mais pas automatiquement. Parallèlement, un enfant ne possédant pas les cadres nécessaires à la vie dans la communauté scolaire va lui aussi adopter ces types de comportements : la recherche effrénée des limites qui ne lui ont jamais été posées, entraîne une agitation permanente ou au contraire une passivité dans ce monde scolaire à l’organisation très ritualisée que l’enfant ne va pas comprendre et à laquelle il ne va pas adhérer. Mais évidemment, si l’agitation peut être à la rigueur le signe d’une précocité, tous les enfants agités ne sont pas précoces ! Les enfants précoces ne sont effectivement pas plus nombreux qu’avant, les enfants agités par contre, le sont beaucoup plus. Pour le parent d’un enfant en but à l’école, recevant de la part des professeurs des retours négatifs en matière de comportement et de résultats, il est socialement bien plus valorisant de penser que son enfant est surdoué et que les enseignants ne sont pas à la hauteur, que de penser qu’on n’a pas su fixer, soi, un minimum de règles éducatives pour qu’il puisse s’adapter à la communauté scolaire.  Pour un professionnel, de l’enfance, comme Béatrice Copper-Royer, la différence est évidemment expertisée avec efficacité. L’enfant précoce se signale souvent par la qualité de son langage, des questionnements existentiels eux-aussi précoces, comme le sens de la vie et la question de la mort. Il est également performant sur certains jeux classiques à l’école maternelle, ou plus difficiles, a le sens de l’humour au second degré que n’ont pas les autres enfants, se montre pertinent quand on ne l’attend pas et d’une grande sensibilité affective et émotionnelle… en fait, le doute est rarement permis au bout de quelques séances de travail avec l’enfant en question. Il m’est arrivé de travailler avec un enfant de grande section (5 ans) arrivant à anticiper trois coups aux échecs. Un autre enfant, simplement agité, n’aura aucune de ces "pointes" langagière ou intellectuelle qui caractérisent son camarade précoce.

Monique de Kermadec : La souffrance des enfants précoces a été longuement abordée au cours de ces dernières années. S’il est vrai que certains de ces enfants ont adopté des comportements témoignant d’un mal-être il serait regrettable d’assimiler comportement à problèmes et précocité. Le respect des limites, les relations harmonieuses avec autrui  font tout autant partie de la vie des enfants précoces que celle des autres. Précoce ou pas la position des parents reste donc un élément important dans le comportement de l’enfant. 

Qu’entend-on exactement lorsque l’on parle d’enfants précoces ? Sont-ils nombreux ?

Pierre Duriot : Ils sont statistiquement 2,3% soit un à deux élèves par classe, selon les tests de QI actuellement utilisés. Ce sont des enfants qui apprennent vite, mais de manière globale, souvent sans travailler, qui engrangent et comprennent des concepts abstraits très tôt, maîtrisent souvent très bien le langage, ont parfois une aversion pour la chose écrite et une sensibilité à fleur de peau. Ils ont des centres d’intérêts différents de ceux des autres enfants, se sentent parfois persécutés dans un monde de "brutes" avec lequel ils ne sont pas en phase. Il ne faut pas croire pour autant qu’ils sont  tous inadaptés au milieu scolaire !

Monique de Kermadec : L’enfant précoce est celui qui possède une ou des aptitudes qui le démarquent de façon significative des enfants de son âge. Il peut être capable de gérer rapidement et efficacement une information; dès le plus jeune âge il établit des liens pertinents entre les informations reçues et son univers propre. Il peut posséder un véritable esprit d’entreprise, un talent marqué pour la danse , le dessin, le sport ou l’informatique. Quand bien même ell est le plus souvent définie par un QI de 130 , elle est avant tout un état d’esprit, un regard sur le monde, une façon de vivre dont il faut tenir compte, au risque de ne pas comprendre l’enfant précoce et de ne pas pouvoir l’aider.

Les parents sont-ils plus qu’auparavant éblouis par le comportement de leurs enfants ? Sont-ils aveuglés par le mythe de l’enfant parfait ?

Pierre Duriot : Oui ! On est souvent aveuglé et cela est tout à fait logique de penser que le sien est "en avance", qu’il "parle bien", qu’il s’intéresse "à des choses compliquées pour son âge", qu’il est "en phase avec des adultes", mais tout cela est évidemment très subjectif car le parent et son enfant se comprennent toujours quelle que soit la qualité du langage. L’enfant s’intéresse souvent non pas de lui-même, mais à ce que lui propose l’adulte et il n’est pas "en phase" avec les adultes, il est la "mascotte" des adultes qui se mettent à son niveau. L’illusion la plus fréquente d’une "avance" porte sur le langage et l’on entend souvent dire qu’il "parle bien". Il ne suffit pas de plonger un enfant très jeune dans les livres pour qu’il sache lire et parler avant tout le monde ou devienne précoce. Bien sûr qu’il est valorisant de penser que son enfant est surdoué ou précoce, plutôt que pénible aux yeux des professeurs ou mauvais élève. Mais tout cela relève du cas par cas : certains enfants vont être pénibles avec un professeur et parfaitement tenus avec un autre, ils ne sont donc pas surdoués de par leur agitation. Mais cela va plus loin. On a vu des parents assurer que leur enfant était surdoué avec, comme preuve, un vague test repiqué dans un magazine féminin où parent et enfant ont répondu "ensemble" aux questions, alors même que le parent pense sincèrement que l’enfant a tout fait tout seul. En allant encore plus loin, même entre professionnels, il m’a souvent été donné de constater des écarts significatifs, sur le même enfant, avec le même test, selon que celui-ci était réalisé par un psychologue scolaire ou un psychologue libéral, alors même que les passations sont très encadrées. L’intelligence ne se mesure pas comme une quantité d’eau et les recoupements de plusieurs personnes compétentes sont souvent nécessaires. Cependant, il faut rassurer les parents, avoir un enfant réellement surdoué n’est pas une sinécure. Tout le monde peine à les gérer, y compris l’école !

Monique de Kermadec : Les parents sont tout naturellement fiers des aptitudes de leurs enfants. Plus informés, ils sont peut-être plus attentifs aujourd’hui aux signes d’éveil  et leur désir d’accompagner positivement leur fils ou leur fille les incite à lire, à chercher conseil. Ils ne sont pas nécessairement plus éblouis même si certains souhaitent retrouver du "génie" alors que l’enjeu majeur pendant ces années de croissance est l’épanouissement de l’enfant tant sur le plan physique, psychologique qu’intellectuel.

Il n’y a pas d’enfant parfait tout autant qu’il n’y a pas de parent parfait. Chercher à atteindre un tel idéal ne pourrait que compromettre la qualité de la relation et rendre les acteurs de cette scène très malheureux.

Qu'est ce que l’erreur de diagnostic change dans la relation parents/enseignants ? 

Pierre Duriot : Quand l’enfant n’est au final qu’agité, sans être surdoué ou précoce, une forme de défiance peut s’installer entre parents et enseignants. L’intervenant le plus indiqué est alors le psychologue scolaire, appelé comme "juge de paix", mais son verdict peut ne pas être accepté par les parents. Au mieux, tout cela rentre dans l’ordre, l’enseignant, les parents, les professionnels spécialisés des écoles, se concertent et trouvent une solution pour installer les cadres nécessaires et inscrire l’enfant dans les apprentissages. Au pire, on voit des parents entamer des parcours du combattant, courir les psychologues, changer l’enfant d’école jusqu’à rencontrer un retour de l’institution conforme à leur attente : c’est alors dramatique pour l’enfant devenant l’objet du désir de ses parents, condamné à être surdoué coûte que coûte et à porter une ambition parentale trop grande pour lui. Entre les deux, pas mal d’attitudes intermédiaires : on pense, entre autres, que cet enseignant là est nul et n’a pas su voir ou que ce psychologue là n’a "pas su le prendre". Le temps, les années scolaires et les intervenants qui se succèdent, finissent par dévoiler la réalité.

Monique de Kermadec : La relation parents/enseignants a beaucoup évolué ces dernières années. Les exigences du monde moderne, l’inquiétude pour l’avenir de même que le temps limité dont disposent les parents avec leurs enfants sont à l’origine d’une tension nouvelle. Plus que jamais le parent souhaite que l’enfant réussisse dans ses études percevant le diplôme comme une garantie sur un futur incertain. L’enseignant est donc un intervenant majeur à leurs yeux pouvant assurer ou compromettre cette réussite. Le parent, enfin, attend beaucoup parce qu’il a fait lui-même des études supérieures et peut être tenté de se mettre en position de juge. On ne devrait jamais oublier qu’une relation positive avec l’école est essentielle et cela encore plus quand on a un enfant précoce.

Quelles peuvent être les conséquences d’une telle attitude sur les enfants ? 

Pierre Duriot : L’enfant pense de l’institution, la même chose que ses parents, donc l’envoyer tous les matins chez un enseignant dont on rabâche à la maison qu’il est nul ne va pas aider l’enfant à investir les apprentissages. Mais comme toujours, l’école, un enseignant en particulier, peuvent ne pas convenir pour faire passer les apprentissages…  les conséquences sont donc extrêmement difficiles à évaluer. Et même parfois impossibles car quand le clash est avéré entre parents et institution et que l’enfant change d’école, on ne sait pas ce qu’il devient et quelles sont donc les conséquences sur le parcours scolaire d’une présomption de précocité qui ne se vérifie pas.

Monique de Kermadec : L’enfant précoce a besoin pour grandir, s’épanouir et réussir d’une alliance positive avec ses parents. Je le répète de puis des années l’allié fondamental de l’enfant précoce est le parent qui va l’accompagner au fils des ans. Ce parent ne doit pas faire pour lui mais avec lui. Il n’a pas besoin d’être un coach, un enseignant, un thérapeute. Sa place et son rôle de parent eux sont fondamentaux. La conscience que l’enfant est précoce est certes importante mais elle ne doit pas justifier que l’on tolère des problèmes comportementaux révélateurs d’une mal-être, d’une souffrance. Une aide appropriée peut être apportée à l’enfant et à la famille. La précocité peut alors devenir ce qu’elle est: une source de joies et de complicité.

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