Putain, 9 ans ! Comment Manuel Valls peut-il gérer sa carrière en attendant la présidentielle de 2022 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls.
Manuel Valls.
©Reuters

En se rasant

Malgré la popularité grandissante du ministre de l'Intérieur auprès des Français, le chemin reste long jusqu'en 2017... ou plutôt jusqu'en 2022, si François Hollande est candidat à sa propre succession.

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Comme Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, Manuel Valls semble déjà se positionner comme un futur candidat à l'Elysée. Mais si François Hollande décidait de se représenter en 2017, Manuel Valls devrait occuper le terrain jusqu'en… 2022. Comment peut-il exister pendant les 9 ans qui viennent ? Quel chemin doit-il emprunter ? 

Thomas Guénolé : Chaque grand scrutin marque une recomposition des rapports de forces entre forces politiques, et au sein de chaque force. Entre ces grands scrutins, les hommes politiques nationaux émettent des messages pour occuper des créneaux, à la manière d'une part de marché. Chaque grand scrutin permet de faire les comptes, et de fait, des trajectoires de carrière s'accélèrent ou se brisent à ces occasions. La dernière séquence majeure, c'étaient la présidentielle et les législatives en avril-mai-juin 2012. La prochaine séquence majeure, ce sont les municipales de mars et les européennes de mai. Manuel Valls n'a donc besoin de tenir sa posture actuelle de gauche sécuritaire que jusqu'à cette prochaine séquence. Ensuite, une fois que cette séquence sera passée, chacun ayant pu compter ses pertes et ses gains, il aura une fenêtre de tir pour changer de registre : il n'a donc pas à "tenir" 9 ans. L'on pourrait par exemple imaginer qu'il change de ministère après les européennes. Il y a de nombreux précédents : par exemple, durant son second mandat, Jacques Chirac avait remanié le gouvernement Raffarin après les régionales, de sorte que, notamment, Nicolas Sarkozy était passé de l'Intérieur à l'Economie et Dominique de Villepin des Affaires étrangères à l'Intérieur.

Après le ministère de l'Intérieur, comment Manuel Valls peut-il rebondir ? Matignon est-il une étape indispensable ou un piège à éviter ? 

Après les municipales et les européennes, il y a une opportunité de remaniement gouvernemental qui, pour François Hollande, aurait un sens politique. Ce serait l'occasion, d'une part, de rééquilibrer la distribution des portefeuilles en fonction du nouveau poids des courants du PS et des scores des Verts. Ce serait l'occasion, d'autre part, de faire monter en responsabilités tel ministre, de faire entrer telle personne qualifiée, de faire sortir telle autre inefficace, et ainsi de suite. En outre, les résultats des municipales et des européennes s'annoncent mauvais pour l'alliance socialiste-écologiste : un tel remaniement n'étonnerait donc ni les médias ni l'opinion publique. Pour Manuel Valls, si l'on admet que François Hollande soit candidat naturel du PS à l'élection présidentielle de 2017, alors viser d'occuper Matignon est un calcul rationnel : cela élargirait la gamme des thèmes sur lesquels il aurait déployé ses idées et réformes devant les électeurs, et cela le rendrait d'autant plus légitime comme relève de l'après-Hollande. En outre, si la crise économique et sociale persiste, la situation sur le front du chômage et de l'austérité rend probable une défaite de François Hollande en 2017. Mieux vaudrait donc pour Manuel Valls avoir été Premier ministre avant que le pouvoir repasse pour cinq ans à droite. Cela étant, en comparaison avec son actuel ministère de l'Intérieur, un autre poste serait intéressant pour sa trajectoire de carrière : le ministère de l'Economie et des Finances.

Après l'élection présidentielle de 2017, doit-il forcément s'emparer du PS ? Son poids au Parti socialiste est-il suffisant ?

Pour les raisons déjà évoquées, la réélection de François Hollande est improbable si la crise économique et sociale persiste jusqu'en 2017. Dans l'hypothèse de sa défaite, le PS ira à un congrès particulièrement conflictuel juste après les législatives de 2017, lors duquel se jouera la succession de François Hollande. Dans ce cas, Manuel Valls a deux possibilités : soit il donne son soutien à un chef de file sans lui-même s'engager dans la bataille, soit il porte lui-même une motion. Les adhérents du PS étant bien moins adeptes de la gauche sécuritaire que l'électorat français dans son ensemble interrogé par les sondages sur les propos que tient Manuel Valls, le choix le plus sage de sa part serait de soutenir un chef de file sans y aller lui-même, en déclarant qu'il se réserve pour la prochaine primaire, car qui dit primaire, dit vote direct des électeurs sympathisants PS, collège électoral qui lui est plus favorable que les adhérents du parti.

Dans l'hypothèse de la réélection de François Hollande, qui supposerait soit que le FN et le PS soient passés devant la droite au premier tour de la présidentielle, soit que la croissance économique soit revenue dans la zone euro, Manuel Valls ferait une erreur en ciblant le parti, car quand un parti de gouvernement est au pouvoir, le parti lui-même ne compte plus, le coeur du pouvoir étant à l'Elysée et au gouvernement. Le choix le plus sage reviendrait donc à essayer de rempiler cinq ans au gouvernement, de préférence en passant par Matignon.

Finalement, Manuel Valls n'est-il pas parti en campagne trop tôt ? Peut-il réellement tenir aussi longtemps ?

Oui, Manuel Valls peut tenir la distance de son "plan de communication permanent" aussi longtemps qu'il n'aura pas atteint son objectif, l'Elysée. C'est en cela que la comparaison avec Nicolas Sarkozy est pertinente : une considérable détermination. Ils ont pour autre point commun une méthode de provocation professionnelle que j'appelle la "valse à quatre temps" : briser délibérément un tabou, pour ensuite prendre les sondages à témoin et se poser en victime du "politiquement correct". Corollairement, ils ont en commun de n'avoir visiblement pas une colonne vertébrale idéologique très solidement arrimée.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

A lire également,  de Thomas Guénolé : "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" (First éditions), 2013, 16,90 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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