De l'air : 10 exemples qui font du code du travail une entrave à l'emploi <!-- --> | Atlantico.fr
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Il existe des solutions concrètes à mettre en place pour ne pas contrarier le marché de l'emploi.
Il existe des solutions concrètes à mettre en place pour ne pas contrarier le marché de l'emploi.
©REUTERS/China Daily

Kafkaïen

Le débat sur le travail dominical et la loi de simplification discutée à partir de ce mardi à l'Assemblée nationale relancent les questions de la complexité de la législation et de la flexibilité du marché du travail en France.

5 réformes concrètes :

L'inversion complète de la hiérarchie des normes :

Jean-Charles Simon : A mon sens, la modification la plus importante du code du travail, qui en appellerait bien d’autres et l’allégerait considérablement, serait l’inversion complète de la hiérarchie des normes. Le contrat de travail entre une entreprise et un individu devrait être l’essentiel, la référence. Il ne devrait être contraint que par des dispositions d’ordre public minimales, qui constitueraient le résidu obligatoire du Code du travail. Ensuite interviendraient éventuellement des règles collectives décidées au niveau de l’entreprise, et enfin seulement, des dispositions totalement facultatives issues de conventions collectives ou d’accords interprofessionnels, qui ne pourraient en aucun cas s’imposer aux entreprises. Cette évolution majeure mettrait fin aux corporatismes d’un autre âge qui empêchent les entreprises et leurs salariés de définir librement leur organisation sociale. Alors même que la notion de branche ne correspond plus du tout aux réalités économiques actuelles, et qu’en ajoutant des obligations à un Code du travail déjà incroyablement prescriptif, les conventions collectives saturent un peu plus les degrés de liberté des entreprises. En particulier, toutes les dispositions relatives à la protection sociale complémentaire, aux rémunérations fixes et variables ou encore à la formation professionnelle devraient être du ressort exclusif de chaque entreprise.

Dominique Andolfatto : On pourrait reprendre une argumentation de l’Institut Montaigne, dans son rapport "Reconstruire le dialogue social" (2011). Selon l’article 34 de la Constitution, "la loi détermine les principes fondamentaux (…) du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale". Il suffirait donc d’appliquer effectivement le texte fondamental et, dès lors, un vaste champ incomberait à la négociation collective, dans l’entreprise ou dans les branches d’activités, la loi prévoyant déjà qu’un texte de niveau inférieur puisse déroger à un texte de niveau supérieur. Mais la reconnaissance de cette autonomie des partenaires sociaux et la décentralisation de la négociation ont encore beaucoup d’opposants sur leur chemin… même si, d’ores et déjà, existent des potentialités. L’actuel président de la République lui-même a dit qu’il n’était pas favorable à cette autonomie. Difficile en France de rompre avec le techno-césaro-papisme, selon une formule d’Olivier Duhamel. Difficile de faire confiance à la société.

L’absence de toute durée du travail légale : 

Jean-Charles Simon : Découlerait de ce principe général une modification particulière majeure : l’absence de toute durée du travail légale ou conventionnelle. Il subsisterait naturellement une durée maximale et des prescriptions compatibles avec le droit communautaire (pas plus de 48 heures par semaine, temps de repos hebdomadaire minimal, etc.), qui feraient partie des règles d’ordre public évoquées précédemment. Mais dans ce cadre, l’ensemble des questions relatives au temps de travail serait renvoyé au contrat de travail ou éventuellement à des dispositions collectives décidées au sein d’une entreprise, pas davantage. Ce qui apporterait notamment une réelle souplesse s’agissant de la rémunération et des conditions du temps de travail pouvant être effectué au-delà de la durée contractuelle de référence ou en-dehors des horaires initialement prévus (cas des nuits, week-ends, etc.). Et permettrait donc de mieux ajuster besoins économiques spécifiques de l’entreprise et attentes des salariés dans ces situations.

Dominique Andolfatto : On l’oublie souvent mais nos "35 heures" connaissent déjà de nombreuses exceptions ou modulations possibles… et, dans certaines branches, comme le transport routier, on les dépasse allègrement… Il faut en règle générale négocier un accord d’entreprise pour pouvoir déroger aux 35 heures. C’est un aspect de la fameuse loi du 20 août 2008 plus connue pour avoir remis en cause les règles de représentativité syndicale. Cela dit, sans doute faudrait-il remettre à plat la question du temps de travail, la simplifier, revoir aussi les questions du travail de nuit ou du travail du dimanche qui défraient l’actualité et, sans tout nécessairement chambouler, adapter le droit au contexte économique, social et culturel, tenir compte également de la faiblesse des implantations syndicales dans les entreprises et, dès lors, ne pas vouloir inventer un théâtre d’ombres – ce qu’est bien souvent le dialogue social aujourd’hui – qui ajoute un formalisme artificiel à un droit qui est un véritable mille-feuille, de surcroît sujet à interprétation.

La création d'une instance unique de représentation du personnel :

Jean-Charles Simon : Toujours dans le domaine des relations du travail, il conviendrait d’avoir une instance unique de représentation du personnel, fusionnant comité d’entreprise (CE), comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT), délégués syndicaux ou du personnel (DS/DP). Ne seraient représentées dans cette instance que les listes ayant obtenu au moins 25 % des suffrages exprimés (pour éviter l’émiettement qui favorise des expressions sporadiques), étant entendu qu’aucune condition (du type ancienneté préalable ou affiliation à un syndicat) ne devrait empêcher la constitution et la présentation d’une liste. Enfin, la direction de l’entreprise devrait pouvoir privilégier la mise en œuvre ou la modification d’une disposition collective d’entreprise par référendum plutôt que par négociation avec l’instance unique de représentation.

Dominique Andolfatto : L’idée d’une institution représentative unique n’est pas nouvelle compte tenu de la complexité, voire des chevauchements, actuels, sans parler des effets de seuil préjudiciables à l’emploi. L’Institut Montaigne, dans le rapport déjà cité, préconisait deux institutions, l’une de nature stratégique, au plus haut niveau de l’entreprise, centrée sur la politique de l’entreprise, des questions d’organisation, la santé au travail… Et une autre instance de proximité dédiée aux conditions opérationnelles de travail. Au passage, il conviendrait de remettre également à plat le financement de ces instances, le rendre effectivement transparent, interdire les décharges syndicales.

Quant à la question des règles de représentativité syndicale, elle a déjà fait couler beaucoup d’encore… et engendrer une réforme importante qui a commencée à être mise en œuvre en 2009. Il faudrait déjà évaluer cette réforme avant d’en programmer une nouvelle. Il faut être conscient également qu’existe en France une tradition de pluralisme syndical qui n’est sans doute pas sans effets pervers pour les salariés car elle conduit à diviser leur représentation (ce que dans des pays comme les Etats-Unis ou le Canada, on ne parvient pas à comprendre ; c’est vu comme une façon pour les salariés de se tirer une balle dans le pied)… Mais ce pluralisme, même s’il est devenu plus un fait organisationnel que culturel, existe. En outre, certains employeurs s’en accommodent fort bien. Et il paraît difficile d’instrumentaliser le droit pour remettre en cause cette situation.

Supprimer la juridiction des prud’hommes : 

Jean-Charles Simon : Il faut aussi revoir complètement le règlement des conflits dans l’entreprise, et d’abord supprimer la juridiction des prud’hommes, dont le principe, la composition et l’efficacité sont critiquables. Comme dans beaucoup de pays, il conviendrait de renvoyer ces conflits aux juridictions civiles ordinaires (ou naturellement pénales dans les cas concernés), donc à des magistrats professionnels, et de donner ainsi une dimension plus exceptionnelle à des contentieux qui tendent à être systématisés aujourd’hui. Et il faudrait, au civil, prévoir un règlement exclusivement indemnitaire de ces conflits en cas de condamnation, à l’exclusion de toute décision impactant la marche de l’entreprise (annulation de décisions, reprise de procédures, réintégration, etc.). En particulier, la contestation de licenciements collectifs ne devrait pouvoir donner lieu devant un tribunal, le cas échéant, qu’à une indemnisation complémentaire des salariés, sans distinction d’avec ce qui aurait pu être décidé au titre d’un licenciement individuel dans un contexte similaire et pour des contrats de même nature.

Dominique Andolfatto : Faut-il vraiment supprimer les prud’hommes ? Rappelons que ce sont les professionnels eux-mêmes qui, au XIXe siècle, ont souhaité l’institution de ces juridictions composées de magistrats issus du monde du travail, justement pour éviter une approche trop abstraite des litiges du travail qui aurait été celle des magistrats professionnels. Faut-il dès lors s’en remettre de nouveau à ces derniers – et donc à des tiers – si existe, par ailleurs, un projet d’autonomie réelle de la négociation collective ? Sans doute conviendrait-il toutefois de faire un peu benchmarking, comparer entre eux quelques modèles de juridictions du travail, définir leurs "performances", rechercher en particulier des procédures rapides. Avec la longueur des procédures actuelles, et leurs rebondissements qui peuvent sembler arbitraires, on a l’impression parfois d’être revenu sous l’Ancien régime… Le problème c’est d’abord celui de l’incertitude juridique.

Assouplir le cadre du contrat de travail et de sa rupture : 

Jean-Charles Simon : Enfin, il faudrait justement assouplir le cadre du contrat de travail et de sa rupture. Libérer le champ du contrat, c’est dynamiser fortement le marché du travail, et donc renforcer à terme le pouvoir de négociation des salariés. Le cadre contractuel devrait pouvoir être librement aménagé dans le respect des règles d’ordre public, en ayant par défaut une durée indéterminée et une indemnisation prédéfinie de sa rupture. Sauf en cas de faute du salarié, la rupture à l’initiative de l’entreprise n’aurait pas à être motivée (et notamment pas au titre de sa situation économique), et ne pourrait donc être contestée au fond. En contrepartie, et en l’absence d’autres dispositions contractuelles, ce cas de rupture donnerait lieu au versement d’une indemnité prédéfinie, tenant compte de l’ancienneté sans toutefois lui être proportionnelle. Le cas échéant, cette indemnité de base serait complétée par l’indemnisation d’un préjudice particulier négociée entre les parties (dans le contrat, par avenant ou au moment de sa rupture) ou résultant d’une décision de justice à la suite d’un contentieux.

Dominique Andolfatto : La forêt des contrats de travail est sans aucun doute à clarifier. Il convient de trouver une formule simple pour faciliter – et donc ne pas décourager – l’embauche. En 2013, l’accord et la loi sur la compétitivité et la sécurisation de la loi ont ouvert une voie qui semble convaincre une majorité des partenaires sociaux (mais aussi des acteurs politiques). Les lignes semblent donc en train de bouger. Il faut surtout chercher à combattre le dualisme de l’emploi : super-protections d’un côté, précarité de l’autre…

5  bonnes pratiques à mettre en œuvre :

Avoir conscience du désastre

François Taquet : Nous avons un code de plus de dix mille articles ! La comparaison avec le droit suisse ferait presque sourire : le Code du travail suisse comporte uniquement... cinquante-quatre articles ! Certains ont pesé le Code du travail : 500 grammes en 1978 : 1450 g en 2010  (on a triplé en 30 ans). Nous avons 38 formes de contrats de travail, là où beaucoup de pays n’en connaissent qu’une ! Nous avons 24 lignes sur une fiche de paie contre 4 ou 5 ailleurs. Les taux de charges changent fréquemment... Et on pourrait ainsi continuer ! Parfois on se pose la question de savoir à qui est destiné notre droit ! Sans doute pas aux salariés qui ne peuvent pas se repérer dans ces fatras de textes ! Sans doute pas à la plupart des entreprises françaises (les TPE représentent plus de 80 % des entreprises françaises) ! Alors à qui ? Les commentateurs, les intellectuels ?

Peut on encore dire aujourd’hui que "nul n’est censé ignorer la loi" ? Montesquieu écrivait dans l’Esprit des lois : "ceux qui ont un génie assez étendu pour donner des lois à leur nation doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former. Elles doivent être simples et ne doivent point être subtiles. Elles ne sont point un art de logique mais la raison simple d’un père de famille". Comment ne pas être d’accord avec le juriste Georges Ripert lorsqu’il affirmait que "le législateur est perdu dans l’abondance de son œuvre" : lois inutiles, lois de bavardages, lois de circonstances, absence de lisibilité de la politique sociale, sanctions démesurées et parfois non justifiées ? En 1991 déjà, le Conseil d’Etat avait utilisé une formule célèbre : "quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite". Et de dénoncer  la "prolifération des textes", "l’instabilité des règles" et "la dégradation de la norme". Les causes de ces maux étaient analysées et quelques formules sévères, restées célèbres, ont mis en lumière ces dérives : "logorrhée législative et réglementaire", "raffinements byzantins", "droit mou", "droit flou", "droit à l’état gazeux".

Eviter l'instabilité législative

François Taquet : L’association pour la simplification et la dématérialisation des données sociales réclame une seule date pour les réformes de la paie (la loi de finances rectificative de 2012 avait ainsi crée 3 dates différentes pour le forfait social, la fin des exonérations TEPA et la hausse des contributions sur les stock options. Dans le discours préliminaire du Code civil, il est écrit :  "l’histoire nous offre-à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles".

Ne pas complexifier davantage la législation du travail

François Taquet : Les gouvernants oublieraient ils que le droit du travail n’a pas été crée dans le but développer de savantes théories, ou de développer des arguments juridiques pointus devant les tribunaux, mais pour favoriser l’emploi par des textes simples et qui ne changent pas à chaque saison ? Montesquieu écrivait "il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il faut le faire d'une main tremblante".

Ne pas décourager l’emploi

François Taquet : A force de dire que le droit du travail doit protéger les salariés, n’a-t-on pas oublié qu’il devait également et surtout protéger l’emploi ? Or, non seulement la rigidité du droit du travail pénalise le marché de l'emploi, mais elle contribue à l'accroissement de la précarité. Une étude de l'OCDE a récemment montré que la France est à la fois le pays où la protection de l'emploi est la plus forte, mais aussi où le sentiment d'insécurité des salariés est le plus élevé. Sans doute faut-il sortir de cette spirale, par moins de contraintes et davantage de flexibilité.

Ne pas ennuyer les employeurs avec des réglementations inutiles

François Taquet : N’est ce pas le président Pompidou qui disait qu’il fallait éviter d’"emmerder" les Français ?

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