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Jeux de vilains : les armes en plastique incitent-elles à la violence ?
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Pan Pan

La capitale du Brésil, Brasilia, vient d'interdire la vente d'armes factices. Cette "prohibition" est censée aider à lutter contre la culture de la violence du pays.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : La ville de Brasilia vient de faire entrer en vigueur une loi interdisant la vente de pistolets et de revolvers factices. L’objectif affiché est de "changer la culture de la violence", a déclaré Alirio Neto, secrétaire à la Justice du district. Le fait de s’amuser avec des armes en plastique prépare-t-il les enfants à devenir violents ? Pourquoi ?

Michel Maffesoli : Je rappelle dans mon essai sur la violence que les sociétés civilisées trouvent des moyens cathartiques pour exister sainement : ces instruments sont les carnavals, les fêtes d’inversion… Le jeu de la guerre est une autre manière de ritualiser la violence. Fondamentalement, et à l’encontre de la bien-pensance actuelle, cette ritualisation a une fonction d’"homéopathisation". Aujourd’hui, ce sont les jeux vidéo qui prennent le relai. Quand Aristote parle de processus cathartique, c’est justement dans le cadre des drames, dont la fonction première est de mettre en scène des phénomènes violents. Cette expérience, vécue collectivement, purgeait le corps. De même que si le pu ne sort pas du corps, celui-ci est contaminé. Si on ne peut plus jouer à la guerre, des effets pervers sont à craindre.

Selon que l'arme-jouet est plus ou moins réaliste, l’impact sur la psychologie de l’enfant varie-t-il ? Pourquoi ?

Il vaut même mieux que le jouet soit ressemblant. Du temps où on les fabriquait dans du bois, l’enjeu était de les rendre les plus semblables possible à un vrai fusil. Le regretté philosophe Jean Baudrillard appelait ce jeu le "simulacre". Celui-ci ne peut exercer sa fonction "rituélique" que s’il renvoie à une chose qui est la plus proche possible de la réalité.

Peu importe le jouet utilisé, les enfants joueront-ils toujours à la guerre ? Les jeux vidéo violents participent-ils de la même logique anthropologique ?

Quoi que disent les partisans de la théorie du genre, il est indéniable que les jeunes garçons joueront toujours à la guerre. Les jeux vidéo s’intègrent dans cette réalité. La structure anthropologique veut que nous soyons des animaux. Cet animal humain contient une charge d’agressivité qui doit nécessairement sortir. Quand on regarde l’histoire humaine, aussi loin que l’on puisse remonter on voit que cette agressivité s’est toujours exprimée, sous des formes diverses. La violence est une constante, ses modalités changent. Jusqu’il y a quelques décennies, la modalité d’expression de la constante était ces jeux au cours desquels on mimait la guerre. Les historiens ont bien montré que les enfants jouaient avec des épées de bois, toujours pour coller au mieux à la réalité. Aujourd’hui, les jeux vidéo sont cette modalité. Le jeu vidéo n’est pas exclusif, il vient simplement concurrencer le pistolet en plastique.

Que se passerait-il si la société parvenait, avec un ensemble de règles et de contrôles, à empêcher l’expression de cette violence rituelle ?

Si on aseptise la société à outrance pour arriver à une évacuation de tout mimétisme de la violence, nos sociétés risquent de devenir comme les hôpitaux, où l'on rentre avec un bras cassé pour ressortir avec une maladie nosocomiale. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer actuellement, avec des voitures qui brûlent par milliers sur le pourtour des villes, des rodéos sur les périphériques, des jeux de strangulation chez les écoliers, etc. Sans « homéopathisation » de la violence, on tombe dans le pervers, non maîtrisable, et qui mène au sanguinaire. Car étymologiquement, le pervers est ce qui ne peut pas sortir, et prend donc des voie détournées. Je le répète, Aristote l'avait déjà dit : si le pu ne sort pas, il contamine le corps. Le véritable humanisme consiste à reconnaître que dans l'humain se trouve de l'humus.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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