Les cinq plus grands regrets des personnes en fin de vie : une ultime introspection de plus en plus oubliée, mais nécessaire pour mourir en paix<!-- --> | Atlantico.fr
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Les 5 principaux regrets des mourrants expriment tout le mal-être la dimension "subie" de la condition humaine.
Les 5 principaux regrets des mourrants expriment tout le mal-être la dimension "subie" de la condition humaine.
©Reuters

Avant de nous dire adieu

Le livre "Les cinq regrets des personnes en fin de vie" de Bronnie Ware, infirmière en soins palliatifs, connaît un succès retentissant auprès du grand public.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : Le livre « Les cinq regrets des personnes en fin de vie » de Bronnie Ware, infirmière en soins palliatifs connaît d’ores et déjà un succès retentissant auprès du grand public. Son classement contient ces regrets : n'avoir pas eu le courage de vivre sa vraie vie et non celle que les autres attendaient de moi ; avoir trop consacré de temps à mon travail, ne pas avoir exprimé plus mes sentiments, ne pas être resté en contact avec mes amis ; ne pas m'être autorisé à être plus heureux. Comment expliquer le phénomène que provoque ce livre ? Cela relève-t-il de la fascination morbide ou d’une curiosité naturelle ?

Damien Le Guay : D’abord qui dit « regrets » dit « examen de conscience », « retour sur sa vie », « regard tourné vers soi ». Il faut souligner que ce geste, ancestral, a tendance à être escamoté dans nos sociétés modernes qui pensent qu’il faut esquiver les derniers moments de la vie, ne plus leur donner la solennité qu’elle avait auparavant. Tout tend, désormais, dans les « derniers instants » à être banalisé – fondu dans l’anonymat des choses et des personnes et des situations. Et encore, allons-même plus loin : il faudrait même ne plus vivre ces instants-là, attendre qu’ils vous surprennent à l’improviste, dans votre sommeil. En somme, une chose serait à fuir : l’extra-ordinaire de la mort imminente, des adieux, quand, « sentant la mort venir », selon ce que dit Lafontaine, il faut se préparer et jeter un dernier regard, dans le rétroviseur, sur ses moments de bonheurs et de regrets.

Le livre de Bonnie Ware, traduit en 27 langues, devient un phénomène de société. Pourquoi ? Pour ce qu’il dit des regrets de ceux qui sont en bout de vie mais, aussi, pour cette prise en considération des derniers moments de l’existence – qui intéressent de si nombreuses personnes. Les gens sentent bien que ceux qui veulent les gommer, les réduire à la portion congrue pour éviter des « souffrances inutiles » se trompent. Le succès de ce livre exprime une évidente nostalgie quant à la fin de vie – moments qui sont, dans bien des cas, plein d’une vie en clair-obscur et d’un désir d’aller jusqu’au bout pour en profiter jusqu’à la dernière minute.

Ces 5 regrets expriment tous le mal-être la dimension « subie » de la condition humaine. Comment l’expliquer ? Nostalgie, dites-vous, mais surtout souffrance. Qu’en dites-vous ? 

Les regrets sont à envisager tout à la fois comme une immense lucidité sur soi-même, débarrassée des hypocrisies, faux-semblants et paresses accumulées mais aussi comme la recherche de sa propre paix intérieure. Regretter c’est aussi se débarrasser de ses regrets. Ils encombrent. Ne serviront à rien s’ils sont gardés dans son cœur. Ils aident ceux qui s’en séparent et ceux à qui ils sont destinés. Certes ils disent une souffrance – ce qui ne fut pas fait, aurait pu se faire autrement. Mais ils disent aussi une demande de pardon à l’égard de ceux qui furent délaissés – laissés de coté.

Il semblerait qu’en fin de vie un constat s’impose : la vie qui fut la nôtre ne fut pas la bonne. N’est-ce pas dramatique ?

La lucidité dont parle Bonnie Ware est une lucidité radicale, sauvage, effrayante, comme un dernier moment d’une lucidité toute nue avec la peur au ventre et le désir de jouir de la vie jusqu’au bout. Cette vie sur le point d’être quittée fut-elle celle à laquelle nous rêvions ? Non. Sans doute. Et alors ? Avons-nous été assez aimant vis-à-vis de nos proches et aimable vis-à-vis des autres ? Non. Sans doute. Et alors ? Tous ces constats ne sont-ils pas salutaires ? Qui pourrait dire qu’il a été parfait et qu’il a été à la hauteur de ses rêves ? Personne sans doute. Alors oui, vous avez raison, la vie est dramatique tant nous sommes incapables de vivre jusqu’au bout nos rêves et heureux pourtant d’en réaliser une partie ; tant nous aimons avec la certitude de ne jamais aimer assez. Et quand le moment du jugement arrive (la mort est ce moment-là, jugement sur soi, sur son passé, sur notre « petit tas de secrets », jugement attendu de Dieu), l’humilité est de mise, de rigueur. Les orgueils s’éventent. Les fanfaronnades disparaissent. La vérité de soi sur soi face aux autres s’impose. Est-elle rude ? Comment ne le serait-elle pas ! Est-elle nécessaire ? Oui.

Est-ce à dire que tous ceux dont parlent Bonnie Ware meurent tristes, accablés quand ils mesurent l’écart entre ce qu’ils ont vécus et ce qu’ils voulaient vivre ?

Non. Justement. Elle insiste sur ce moment nécessaire, cette tristesse salutaire pour mourir le plus possible en paix. Cette purge spirituelle inaugure une gravité de l’instant, une densité personnelle, une exigence des derniers moments. Le pire, dans ces situations, est de se mettre à hauteur de sa mort sans pour autant introduire ceux que l’on aiment dans cette lucidité – qui va jusqu’aux regrets exprimés et aux demandes de pardon. La mort est bavarde – alors qu’elle est aujourd’hui de plus en plus aphone. Si les regrets sont comme un ulcère spirituel, ils accablent. S’ils sont l’occasion de se mettre en mots, de dire ce qui fit défaut et aurait pu être amélioré, alors ils facilitent ce passage de témoins qui s’opère entre les parents et les enfants. Car ne nous trompons pas : les regrets qui restent captifs, enfermés dans de fausses pudeurs et l’actuelle chape de plomb silencieuse qui entoure la fin de vie se retrouvent, en creux, chez les survivants. Les regrets exprimés soignent les cœurs. Ils permettent aux enfants d’aller plus loin, de mieux vivre les manquements ressentis. Le deuil n’est est que plus facile. Nos contemporains veulent, une fois mort, laisser de moins en moins de traces d’eux-mêmes sur la terre. Ils oublient les traces émotives, affectives, psychologiques qui ont besoin, lors de la mort, d’être soignés par les derniers mots et les derniers regrets d’un père ou d’une mère. Besoin vital que le livre de Bonnie Ware permet de reconsidérer à sa juste valeur.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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