Ce qu'il y a vraiment dans le trou de la Sécu <!-- --> | Atlantico.fr
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Un trou noir de l'espace.
Un trou noir de l'espace.
©Reuters

Trou noir

Depuis près de 30 ans, les Français vivent avec le "trou" de la Sécurité sociale, analysé au mois de septembre par la Cour des Comptes. Décryptage.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La Cour des Comptes a longuement analysé hier la situation financière cataclysmique de la Sécurité sociale. Ses analyses sont l’occasion de revenir sur ce qu’est le "trou de la sécurité sociale"

A combien se chiffre aujourd’hui le "trou"? 

Petit rappel basique pour commencer: la différence entre le déficit et le "trou", c’est-à-dire la dette cumulée de la sécurité sociale.

Le déficit, c’est la différence annuelle entre les ressources de la sécurité sociale et les dépenses. La dette, c’est le cumul de ces différences. Autant le "trou" annuel est évoqué par les médias, autant la dette de l’Etat peut l’être, autant la dette de la sécurité sociale est d’ordinaire passée à l’as et mal exposée aux Français. En soi, c’est probablement l’une des explications du problème : pour beaucoup d’assurés, le déficit annuel est un simple jeu comptable sans implication sur la vraie vie, notamment sur les remboursements de l’assurance maladie.

Ici, précisément, nous avons un premier problème : le trou est dilué entre deux modes de financement.

Premier mode : la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES), qui est l’organisme officiellement chargé de gérer la dette.

Ce tableau tiré du rapport remis le 17 septembre par la Cour des Comptes montre les montants de dette stockés par la CADES : de 2009 à 2011, l’augmentation de la dette sociale fut d’environ 50%. Le stock géré aujourd’hui, de près de 133 milliards, équivaut à environ 18 mois de retraites du régime général. Autrement dit, il faudrait arrêter de verser les retraites de la CNAV pendant 1 an et demi pour rembourser la dette sociale stockée par la CADES.

Second mode : les découverts ou facilités de trésorerie de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), chargée de la trésorerie de la Sécurité sociale et qui fédère les Urssaf. En voici l’état:

Le tableau montre comment le gouvernement (depuis pas mal d’années, ce n’est pas une invention de la gauche) a choisi de diminuer le "trou" géré par la CADES en faisant supporter par les Urssaf une part importante du déficit : 26 milliards cette année.

Cette petite astuce de gestion permet évidemment de cacher la misère. Ainsi, le gouvernement Ayrault peut se targuer d’avoir diminué la dette sociale gérée par l’ACOSS de près de 5 milliards en 2013. Mais cette opération se traduit par un "trou" de 10 milliards dans la trésorerie des Urssaf.

Le "trou" de l’ACOSS est-il dangereux?

Dans le "bordel" financier généralisé que nous vivons, ces petites astuces comptables sont devenues monnaie courante et ne choquent plus personne. Si l’on se souvient que le déficit de l’Etat flotte entre 80 et 90 milliards annuels, un petit "trou" de 10 milliards planté dans le jardin de l’obscure ACOSS, au fond, ça ne mange pas de pain.

Le problème se formule techniquement de façon un peu différente, et, en réalité, le choix de financer en partie le "trou de la Sécu" par des découverts en gestion supportés par l’organisme collecteur des cotisations apparaît comme une mise à nu aussi dangereuse qu’une rupture de la double coque d’un super tanker. En effet, le métier de l’ACOSS est de collecter les cotisations et de gérer le compte qui sert, in fine, à payer les prestations. De fait, le législateur et le gouvernement ont validé le principe selon lequel ce gestionnaire de fonds pouvait prendre sur lui de payer plus qu’il ne recevait, sans aucun cantonnement du déficit.

Comme l’ACOSS n’a pas la faculté de fabriquer des billets de banque, elle doit donc faire comme l’Etat : recourir aux marchés financiers pour porter le découvert. Cette petite mécanique conduit donc à demander à l’ACOSS de faire le même métier que l’Agence France Tréso r: solliciter des financeurs en France et à l’étranger, pour boucler ses fins de mois.

Tant que les taux sont bas et que les marchés prêtent, tout va bien, et les Français sont heureux. Du jour où les taux montent (par exemple, dans l’hypothèse où les marchés considéreraient que le gouvernement n’arrive pas à réformer et que la France est un emprunteur peu fiable), on mesure la difficulté : il faudra utiliser les cotisations des salariés et des entreprises non plus pour payer des prestations (rembourser les médicaments par exemple), mais pour rembourser les prêteurs. Et si l’argent vient à manquer… la sécurité sociale arrêtera de fonctionner.

Il n’est pas sûr que tous les Français aient bien compris que tôt ou tard le "trou de la Sécu" se transformera en machine à leur faire les poches au profit des financiers. Pour l’instant, ils ont la douce illusion que ce système indolore leur permet de profiter d’une solidarité à bon compte. En réalité, cette mécanique est un piège infernal : elle prépare un grand détournement des cotisations vers autre chose que des prestations sociales.

Le "découvert" de l’ACOSS est illégal

Comme le rappelle la Cour des Comptes, l’utilisation de l’ACOSS comme financeur en premier ressort du "trou" de la Sécu est totalement illégal. La loi a prévu un autre mécanisme : le transfert systématique de la dette vers la CADES, avec l’augmentation de la CRDS (Contribution au Remboursement de la Dette Sociale) pour équilibrer les comptes. Cette mécanique inventée par Alain Juppé était à l’image de son fondateur : rigoureuse et vertueuse. Elle visait à envoyer une petite décharge fiscale aux Français à chaque déficit de la Sécu, en augmentant leur impôt.

On voit bien tout l’intérêt de ne pas recourir à la CADES pour financer le "trou" : cette décision obligerait à expliquer aux Français que les déficits de la Sécurité sociale ne sont pas qu’une mesure comptable, mais qu’ils leur coûtent du vrai argent et du vrai pouvoir d’achat. Alors qu’il est si facile de les bercer d’illusions populistes en leur expliquant que, puisque tout est dans tout et inversement, le "trou" est purement fictif et que l’on peut continuer à se gaver d’anti-dépresseurs, d’IRM et d’allocations logement dans tous les sens.

Le "trou" est-il une maladie curable?

Quelques mots de conclusions quand même pour faire écho à des thématiques de plus en plus fréquentes dans la littérature syndicale ou gauchiste : le "trou" de la Sécurité sociale n’est pas bien grave et il suffit de piocher dans les poches des capitalistes pour le combler. Après tout, il n’y a pas de raison que seules les cotisations financent les prestations des assurés.

Cette logique pose le problème de l’équilibre financier de la Sécurité sociale, que je voudrais réévoquer à partir de ce tableau simple, livré par la Cour des Comptes:

En 2013, le "trou" de la Sécu sera égal à celui de 2012. Structurellement, les Français bénéficient de plus de prestations qu’ils ne devraient.

Il fut un temps où les inventeurs de la Sécurité sociale avaient une obsession : éviter de fragiliser le système d’assurance qui protège les Français en l’exposant à la spéculation financière et au bon vouloir des marchés. C’est le contraire qui se produit aujourd’hui.

Cette inversion du raisonnement a deux conséquences graves :

1°) Ce sont les générations futures qui paieront, et l’on peut s’interroger sur la "moralité" d’une argumentation qui confond bénéfice d’une assurance et solidarité. En réalité, lorsque les générations actuelles font endosser une partie de leurs prestations sociales par les générations futures, on peut conclure qu’il y a bien un problème dans le royaume de France.

2°) Le fantasme selon lequel un système social qui s’appuie sur les bienfaits de la finance pour subsister offre une quelconque sécurité est affligeant. On pointera au passage que les principaux détracteurs de la retraite par capitalisation (ouh! le méchant capitalisme!) sont les premiers aujourd’hui à compter sur les marchés financiers pour financer la sécurité sociale. Et cela, tôt ou tard, les Français comprendront qu’ils achètent la corde qui servira à les pendre.

*Cet article a initialement été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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