14% de naturalisations supplémentaires en 2012 : qui sont les nouveaux Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dès son arrivée à l'Intérieur, Manuel Valls, né en Espagne et naturalisé Français à 20 ans en 1981, avait annoncé son intention de "relancer" les naturalisations".
Dès son arrivée à l'Intérieur, Manuel Valls, né en Espagne et naturalisé Français à 20 ans en 1981, avait annoncé son intention de "relancer" les naturalisations".
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Manuel Valls a présenté mercredi en Conseil des ministres un dispositif visant à faciliter les naturalisations. Le ministre de l'Intérieur a aussi indiqué que celles-ci ont augmenté de 14% en un an.

Maxime Tandonnet,Mehdi Thomas Allal et Maryse Tripier

Maxime Tandonnet,Mehdi Thomas Allal et Maryse Tripier

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur. Il commente l'actualité sur son blog personnel.

Mehdi Thomas Allal est coordonnateur du "pôle immigration, intégration et non-discrimination" pour le think-tank Terra Nova. Il est maître de conférences à Sciences Po.

Maryse Tripier est professeur émérite de sociologie à l'université Paris Diderot. Elle a notamment écrit aux côtés d'Andréa Rea, Sociologie de l'immigration (La découverte, 2003).

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Atlantico : Selon le ministère de l'Intérieur, le nombre d'étrangers ayant acquis la nationalité française par naturalisation aurait augmenté de 14% sur un an. Manuel Valls a, de plus, présenté mercredi 28 août 2013 en Conseil des ministres un décret visant à faciliter les naturalisations. Quel est aujourd'hui le profil de ces nouveaux Français ?

Maxime Tandonnet : En 2010, le nombre de femmes qui ont obtenu la nationalité française est légèrement plus élevé que celui des hommes. Les 5 premières nationalités à acquérir la nationalité françaises sont : marocaine (13 807), algérienne (7 280), tunisienne (4 286), turque (2 961) et russe (2 666). Cela correspond grosso modo, avec des nuances, au poids des flux migratoires et des populations étrangères en France. Quant à l’âge, la grande masse des nouveaux Français correspond aux catégories de la population active, entre 20 et 60 ans, la classe d’âge la plus importante se situant entre 30 et 40 ans.

Mehdi Thomas Allal : Si le nombre d'étrangers naturalisés est reparti à la hausse depuis 2012, la composition de cette population n'a pas réellement variée : les pays du Maghreb sont toujours surreprésentés ; l'âge moyen des personnes naturalisées se situe toujours dans la moyenne des 30-50 ans ; les femmes sont toujours un peu supérieures aux hommes ; tandis que les étrangers naturalisés sont mieux insérés sur le plan professionnel que la moyenne des étrangers.

Contacté par atlantico.fr, le ministère de l'Intérieur a déclaré ne pas être en mesure de fournir des détails sur les chiffres des naturalisations ayant eu lieu en 2012. Les tableaux publiés ci-dessous sont issus du rapport au parlement sur les chiffres de la politique d'immigration et d'intégration de 2012 (chiffres de 2011).

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Au-delà de l'obtention de la nationalité, certaines communautés sont-elles plus proches des valeurs et des modes de vie français que d'autres ? Attendent-elles la même chose de la nationalité française ?

Maxime Tandonnet : La France ne reconnaît pas les communautés, contrairement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Mieux vaudrait parler de "populations d'origine". Franchement, je ne crois pas que certaines populations prises dans leur ensemble, se sentent naturellement plus françaises que d'autres et qu'elles aient davantage de prédisposition à devenir françaises. Les Européens sont bien sûr très proches des Français du fait de l'histoire, de la proximité géographique, d'un patrimoine commun, grec, latin, chrétien et de l'héritage des Lumières, et de la citoyenneté commune. Avec les ressortissants des anciennes colonies, d'Afrique et d'Asie, nous avons aussi des liens linguistiques et historiques très forts. Je pense que c'est avant tout une question de personne, d'éducation, de valeurs individuelles, d'état d'esprit vis-à-vis du pays d'accueil, ainsi que de conditions sociales et économiques.

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Les naturalisations avaient été divisées par deux entre 2010 et 2012. Pour les relancer, Manuel Valls avait publié dès octobre 2012 une circulaire assouplissant les critères pour les précaires, les jeunes et les "talents". Cette circulaire peut-elle avoir un impact sur la composition des populations concernées ?

Mehdi Thomas Allal : L'impact de la circulaire est difficile à évaluer du point de vue de la composition des populations concernées. L'essentiel a consisté à amoindrir les critères linguistiques et scolaires, sans toutefois brader la nationalité française. Il s'agit avant tout de vérifier les critères d'intégration, et non d'une assimilation forcée et factice. Un étranger qui souhaite devenir Français n'a plus besoin de tout connaître dans son pays d'accueil, il lui est cependant demandé de respecter les valeurs et les grands principes qui fondent notre République.

Maxime Tandonnet : Les naturalisations correspondent à des tendances démographiques lourdes.

Maryse Tripier : La naturalisation n'est pas un droit. On peut l'acquérir par mariage ou par réintégration si l'on vient d'anciennes colonies. Cependant, le plus souvent, on l'obtient par décret, publié au Journal Officiel, après une demande et une procédure plutôt longue. Pays d'assimilation, l'acquisition de la nationalité française signe un processus d'intégration réussi. Il y a toujours eu des fluctuations dans l'octroi de la nationalité, elle a été plus généreuse pour pourvoir l'armée en soldats et carrément provisoire, comme sous le régime de Vichy, qui a déchu les juifs naturalisés de leur nationalité française.

La restriction globale des droits des étrangers remonte à loin. Depuis la suspension de l'immigration en 1974,  toutes les dispositions concernant  les migrants sont devenues plus restrictives : lois Pasqua, (1994, 1996), critères de regroupement familial de plus en plus exigeants, droit d'asile en chute, absence d'avancée sur le droit de vote local des étrangers non-communautaires, suspicion permanente sur les mariages mixtes, abolition de la carte de séjour de 10 ans, recherche ubuesque des ascendances de Français nés à l'étranger.

On peut estimer que ces restrictions à l'immigration légale ont favorisé la montée des sans-papiers dont la régularisation est un enjeu permanent. Les dispositions que Manuel Valls tente d'assouplir avaient abouti à une conception qu'on peut résumer ainsi, "il faut déjà être intégré pour pouvoir résider" (et non l'inverse, ce qui était la norme autrefois) : parler le français, connaître les valeurs de la République, avoir un CDI, avoir un logement, vivre à la française, quasiment. Dans d'autres pays d'Europe, ces apprentissages sont offerts aux migrants, sur place, et le processus aboutit ou non.

Quels sont les avantages procurés par une naturalisation en France ? Quelles peuvent être les motivations d'une telle demande ?

Maxime Tandonnet : Les étrangers en situation régulière, et en particulier ceux qui sont munis d’une carte de résident de 10 ans, ont strictement accès aux mêmes droits sociaux que les Français. La naturalisation permet en revanche d’obtenir le droit de vote et l’accès aux métiers de la fonction publique qui restent réservés aux Français. Devenir Français, c’est surtout pour certains, l’aboutissement d’un parcours et une grande fierté.

Mehdi Thomas Allal : Les avantages sont très nombreux. Ils sont à la fois directs et indirects : parmi les premiers, on trouve évidemment le droit de vote et, autre exemple, un plus large accès aux métiers de la fonction publique ; parmi les seconds, il est clair que les personnes naturalisées sont moins discriminées dans tous les domaines. Peut-être aussi, parce qu'elles font preuve d'une plus grande abnégation face aux difficultés, voire d'un certain patriotisme. Ces motivations sont parfois tout simplement matérielles. Mais le plus souvent elles impliquent un sentiment de dépassement du pays d'origine, parfois même vécu comme une trahison par la personne concernée et dans son entourage.

Maryse Tripier : Les avantages de la naturalisation sont immenses dans notre pays car la nationalité et la citoyenneté (existence de droits civiques, de vote, sociaux...) sont plus étroitement liées que dans d'autres pays. L'accès à la fonction publique évidemment, l'absence de tracasseries administratives auxquelles sont soumis les étrangers, mais aussi une circulation plus facile dans le monde et la possibilité de participer plus activement à la vie sociale et politique. Les obstacles étaient souvent le refus de la double nationalité dans certains pays d'origine, un rapport affectif aux origines parfois.

Changer les critères de naturalisation a-t-il un effet sur la cohésion sociale ?

Maxime Tandonnet : A titre personnel, je considère que l’accès à la nationalité française n’est en aucun cas un simple outil d’intégration, ce qui n’aurait strictement aucun sens, mais l’aboutissement d’un parcours et la concrétisation de votre appartenance effective à la nation considérée comme une famille, dont vous maîtrisez la langue, les bases de la culture, dont vous respectez les valeurs essentielles, les institutions et les règles de vie, avec laquelle vous partagez le sentiment d’une communauté de destin. Un équilibre délicat est à définir, afin de ne pas brader les critères de la nationalité ni les rendre inaccessibles. En étant trop restrictif, on engendre des frustrations et des sentiments d’injustice. En étant trop large, on affaiblit l’unité et la cohésion de l’ensemble. Je ne suis pas certain qu’il faille se polariser sur les chiffres globaux, mais plutôt se centrer sur les conditions de l’entrée dans la communauté nationale.

Mehdi Thomas Allal :C'est surtout un danger dénoncé à tort par l'extrême-droite, alors que l'acquisition de la nationalité a tendance à renforcer le sentiment d'appartenance et donc la cohésion sociale. Cela permet de mettre plus de gens sur un même pied d'égalité. Cela permet également aux personnes concernées de jouer un rôle de modèle vis-a-vis des membres de leur entourage, et permet donc de lutter contre le communautarisme. En bref, c'est un facteur d'intégration.

Maryse Tripier : Changer (c'est-à-dire simplement élargir ou assouplir les critères d'accès) ne peut que favoriser la cohésion sociale. Ce serait moins important, si on accordait une vraie citoyenneté aux étrangers intégrés. Comment faire comprendre qu'un Anglais qui vit en Dordogne, a plus d'accès à l'emploi et à la vie politique locale qu'un immigré maghrébin de longue date ? Si on ne change rien sur la citoyenneté et le traitement des étrangers, la recherche de la nationalité ne peut qu'augmenter. Cependant les flux sont stables depuis le boom de l'après guerre.

La naturalisation ne règle pas tout. Les minorités visibles, les harkis, les originaires des DOM TOM, les nouveaux Français musulmans en savent quelque chose. La cohésion sociale ne dépend pas que des "papiers". Les discriminations relèvent d'une logique psychosociale plus ancrée encore et les dispositifs juridiques devraient les combattre. Néanmoins, la perspective d'une naturalisation, octroyée dans des conditions identiques sur le territoire, dans le respect de critères objectifs offre à la fois un horizon et des conditions à respecter pour les intéressés.

Quelle a été l'évolution des naturalisations sur les trente dernières années ? Existe-t-il une différence entre une politique de droite et une politique de gauche ?

Maxime Tandonnet : Si on prend les 3 principales voies d’accès à la nationalité française - naturalisation par décret, mariage et droit du sol -  elles sont en augmentation continue, sauf au cours des deux dernières années : 92 410 en 1995, 128 096 en 2002, 131 904 en 2007, 137 452 en 2008, 135 842 en 2009, 142 275 en 2010 (cf : rapport sur la politique de l’immigration). Si l’on se situe sur le long terme, d’après les chiffres de la Commission européenne (Eurostat) la France est l’un des pays les plus ouvert à l’acquisition de la nationalité : 135 800 en 2010, loin devant l’Allemagne (96 100), l’Italie (59 400)  Espagne (79 600). Seul le Royaume-Uni fait plus (203 600). Bien sûr, la gauche comme la droite ont la tentation d’exploiter ce sujet, soit pour donner des gages d’ouverture, soit pour marquer la fermeté. Il serait logique que la communauté nationale, dans son unité et dans son ensemble, s’interroge et se prononce sur les critères d’adhésion qu’elle entend définir. Ce sujet, fondamental pour l’avenir de la nation, devrait être sanctuarisé, ne jamais donner lieu à des polémiques ou annonces politiciennes et électoralistes, mais au contraire faire l’objet d’un consensus national. En sommes nous capables ? Je n’en suis malheureusement pas sûr.

Mehdi Thomas Allal : Globalement, l'évolution de ces trente dernières années s'est alignée sur l'idéologie suivante, qu'elle que soit la couleur politique du gouvernement : un meilleur contrôle des flux migratoires, en échange d'une meilleure intégration des populations déjà sur place. Une véritable rupture a été de ce point de vue engagée vers la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. La ligne "Buisson" s'est progressivement imposée en vue de restreindre l'accès a la nationalité. Cette "extrême droitisation" d'une partie de la droite républicaine a eu des effets considérables sur le vote des minorités d'origine étrangère, qui s'est porté massivement sur le candidat de gauche.

Maryse Tripier : La droite a été toujours à l'initiative des restrictions des droits des étrangers, la gauche a parfois renversé la tendance (régularisations de 1981), mais elle n' a pas changé les règles du jeu. A titre personnel, je trouve incohérent de refuser le droit de vote local aux étrangers non communautaires intégrés et de crier au loup sur une augmentation des naturalisations. C'est l'idée pernicieuse qu'il y aurait des "vrais Français" et d'autres non.

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