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La Chine veut réformer son système anti-trust : les multinationales occidentales sont-elles en ligne de mire ?
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Double jeu

Ne voulant plus jouer le rôle de banquier du monde, Pékin préfère investir ses capitaux dans des actifs étrangers.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Début 2012, Pékin avait annoncé la couleur : désormais, en dépit de ses énormes réserves de change (5.000 milliards de dollars), Pékin n’était plus intéressé à jouer le rôle de banquier du monde ni à recycler ses excédents commerciaux en prêtant aux entreprises ou aux gouvernements du reste du monde. Si Pékin acceptait encore de recycler ses excédents commerciaux renouvelés, ce serait désormais principalement par le biais d’acquisition d’actifs à l’étranger : infrastructures de transport, de télécommunications ou d’énergie, gisements de ressources naturelles ou mieux encore entreprises à dimension technologique.

La Chine, supposée devenir le banquier du monde par de trop nombreux économistes occidentaux, s’avérait alors être en réalité un immense fonds « private equity ». Elle révélait  qu’elle n’avait aucune propension particulière à consentir de simples prêts à intérêt et qu’elle ambitionnait au contraire d’affecter sa capacité financière à acquérir à l’étranger, immédiatement ou à terme, les divers « business » porteurs de rentabilité à moyen terme (depuis les terres agricoles jusqu’aux start ups en passant par les ports et les autoroutes).

Et, une fois encore, Pékin s’en est tenu à la tactique qu’il avait annoncée.

Tout d’abord, depuis début 2012, il est soudain devenu extrêmement réticent à consentir des prêts aux entreprises et aux gouvernements étrangers.

1) Alors que le montant  d’obligations  de l’Etat américain détenu par Pékin était resté stable depuis 2009, la Chine a entrepris spectaculairement de le réduire, en mai et plus encore en juin 2013 (dernier chiffre connu, baisse de 40 milliards de dollars).

2) Trois ans après l’éclatement de la crise de la zone euro, la Chine ne s’est en définitive pas du tout impliquée dans le financement des gouvernements de la zone euro (le Mécanisme Européen de Stabilité (M.E.S.) qui ne plaisait par ailleurs pas à la Chine est, il est vrai, resté lettre morte). Et si quelques gouvernements européens ont bien réussi à obtenir des financements supplémentaires de la part de la Chine, ils ont, été à l’évidence obligés en contrepartie de libéraliser davantage la vente d’infrastructures, de gisements et  d’entreprises aux capitaux chinois, privés ou publics.

3) Quant aux grands pays émergents (Inde, Brésil, Turquie, Afrique du sud, Indonésie, Thaïlande….), ils subissent, tous simultanément depuis avril 2013, une crise de financement qui s’avère de plus en plus grave. La Chine, en dépit de son énorme capacité financière déjà mentionnée, s’est jusqu’à présent bien gardée de leur consentir immédiatement des financements supplémentaires. Elle préfère sans doute attendre que ces pays soient encore plus aux abois pour leur consentir, comme aux pays européens, du financement supplémentaire à la condition expresse qu’ils cessent de s’opposer à vendre aux capitaux chinois, leurs infrastructures de transport ou leurs gisements de ressources naturelles ou encore leurs entreprises à dimension technologique.

Ensuite, Pékin a pris toutes sortes d’initiatives fortes pour que les Etats-Unis et les pays européens lèvent les diverses barrières qui jusque récemment étaient disposées à l’encontre des capitaux chinois.

Tout d’abord, un rappel : de telles barrières se justifient totalement. A un triple égard : celui de l’absence de réciprocité, celui de la réticence aux flux de capitaux publics étrangers, celui de l’enjeu stratégique.

1) Absence de réciprocité. Pékin lui-même met toutes sortes d’obstacles à l’acquisition majoritaire d’entreprises chinoises par des capitaux occidentaux. Après l’achat d’IBM Ordinateurs (devenu Lenovo), après l’achat de Volvo, après l’achat de club Méditerranée, après l’achat en cours de aux Etats-Unis, Pékin manifeste son avidité à acheter toujours plus d’entreprises américaines et européennes ; et ce alors même que par ailleurs il entend continuer à maintenir pour les entreprises occidentales qui cherchent à s’implanter en Chine, la norme de la joint-venture (50%/50%, 50% pour l’entreprise occidentale-mère et 50% pour un incontournable partenaire chinois) et qu’il entend aussi  soumettre leurs filiales en Chine à toutes sortes de contraintes arbitraires et exorbitantes.

2) Réticence normale aux flux de capitaux publics étrangers. Quand la Chine acquiert des actifs à l’étranger, il s’agit soit de capitaux de l’Etat chinois soit de capitaux d’entreprises contrôlées par lui. Or dans l’histoire, les divers pays souverains se sont toujours méfiés à juste titre de la prise de contrôle des actifs de leur économie par des capitaux appartenant à des Etats étrangers. Quand l’Etat chinois a commencé à s’emparer à grande échelle des actifs de pays comme le Soudan ou le Cambodge, ces pays, progressivement mais inévitablement, ont perdu  leur souveraineté pour se subordonner à la Chine.

Le Japon, les Etats-Unis et les pays européens ont donc très normalement mis des barrières pour s’éviter cela. Dernier exemple en date : l’entreprise chinoise a conclu une convention pour l’achat (pour 4,7 milliards de dollars) de l’entreprise américaine Smithfield pork (la plus grande entreprise de la filière porcine américaine) mais cet achat pour se concrétiser doit encore recevoir l’aval du Congrès américain.

3) Enjeu stratégique. Si les Etats-Unis, les pays européens et le Japon levaient unilatéralement tous les obstacles à l’achat de leurs actifs par les capitaux chinois, Pékin, qui en a la capacité financière, s’emparerait sans tarder de leurs actifs les plus essentiels et en particulier de ceux qui sont les plus stratégiques : les entreprises à dimension technologique. Un atout essentiel passerait alors des démocraties occidentales entre les mains de l’Etat totalitaire chinois, celui de la domination technologique. Et la Chine entend bien emporter cette partie-là aussi.

Après ce rappel, venons en maintenant aux initiatives qu’a successivement prises Pékin.

Début 2012, il a d’abord obtenu de l’Allemagne qu’elle ne s’oppose plus aux achats d’entreprises allemandes par les capitaux chinois, ce qui a immédiatement conduit à l’aliénation à la Chine de très belles PME industrielles allemandes. Récemment, peu après son voyage en Chine, le Président Hollande a fait une déclaration de fonds qui indique que la France à son tour ne résistera plus beaucoup à l’acquisition de ses actifs par des capitaux chinois.

Enfin et surtout, le Président des Etats-Unis, Obama lui-même, peu après sa rencontre en juin en Californie avec le nouveau Président chinois Xi, a surpris le monde en annonçant que s’ouvrait une grande négociation entre la Chine et les Etats-Unis sur les investissements entre les deux pays. Il est possible que ce soit une manœuvre astucieuse des Etats-Unis mais nous avons tout lieu de redouter que ce soit une concession très grave de la Maison-Blanche face aux pressions de Pékin. Preuve que c’est Pékin qui est à l’initiative de cette négociation, la capitale chinoise s’est réjouie beaucoup plus bruyamment que Washington de l’ouverture de cette négociation.

Dans une telle négociation en effet, Washington en réalité a tout à perdre et n’a rien à gagner.

Pékin ne manquera pas d’insister sur la levée des barrières américaines, ce qu’elle peut obtenir si elle réussit à mettre le lobby des multinationales américaines dans son camp ; par contre, Pékin a fait savoir urbi et orbi qu’elle ne céderait jamais sur ce qui reste essentiel à ses yeux, la norme de la joint-venture pour les filiales en Chine d’entreprises américaines.

Pékin, dès lors qu’il aurait obtenu une convention avec Washington, saurait faire jouer les tribunaux américains en sa faveur (quitte à payer très cher des juristes-mercenaires américains) tandis que les entreprises américaines resteraient très démunies pour faire valoir devant les tribunaux chinois les éventuelles dispositions plus favorables qui auraient été obtenues pour elles par Washington.

Comme on le pressent, la carte-maîtresse dans l’issue de ces négociations, est l’attitude qu’adopteront les multinationales américaines et européennes. Si comme elles l’ont fait trop souvent par le passé, elles exercent du lobbying sur leurs propres gouvernements en faveur de Pékin, la négociation se poursuivra  pour aboutir à un accord très favorable à Pékin. Si au contraire, elles refusaient un tel lobbying, la négociation ne tarderait pas à s’interrompre sur un constat de divergence profond entre les intérêts du gouvernement américain et ceux du gouvernement chinois.

Il s’agit donc maintenant pour Pékin de mettre dans son jeu les multinationales américaines. Pékin connait fort bien le comportement des managers qui exercent le pouvoir au sein des multinationales. Ces managers savent fort bien qu’en continuant à jouer le jeu de Pékin, ils contribuent à ce que celui-ci finisse par s’emparer d’elles (et indirectement à ce qu’ultimement les pays démocratiques soient défaits par Pékin). Mais ces managers ont par ailleurs une propension marquée à se comporter comme le roi Louis XV (« après nous, le déluge »). Ce qui compte pour les managers, c’est l’évolution à court terme du résultat et du cours de bourse de leur entreprise puisque ce sont ces deux éléments qui sont à la base de leurs énormes rémunérations.

Ces managers sont donc particulièrement sensibles aux diverses manœuvres que Pékin initie en leur direction.

Pékin a ainsi déjà puni spectaculairement les multinationales japonaises pour ne pas avoir dissuadé le gouvernement japonais d’opérer un raidissement géopolitique à l’égard de Pékin : le gouvernement chinois a montré alors une première fois sa capacité à nuire aux multinationales récalcitrantes ; il a suffi que le parti communiste chinois donne la consigne de ne pas acheter les marques japonaises pour que subitement les entreprises japonaises concernées perdent des parts de marché.

De la même façon, en orchestrant à partir de septembre 2012 une campagne de presse en Chine contre Apple, Pékin a réussi à montrer à nouveau sa capacité de nuire aux multinationales les plus puissantes (en septembre 2012, la capitalisation boursière d’Apple était la plus forte de Wall Street). Les ventes d’Apple s’effondrèrent sur le marché chinois (essentiellement au profit de Samsung, l’entreprise de Corée du sud) et sans tarder, le cours de l’action Apple subit un recul retentissant.

Plus récemment, le Parti Communiste Chinois s’en est pris à Glaxo (GSK), la grande multinationale britannique de la pharmacie, avec les mêmes intentions et avec les mêmes résultats.

Dans chaque cas, il s’agit pour Pékin de rappeler aux multinationales étrangères que la part de leurs profits qui est réalisée grâce à la Chine est désormais devenue tellement importante qu’elles sont désormais à la merci du bon vouloir des autorités chinoises.

Les multinationales allemandes ont tellement bien compris le nouveau message de Pékin qu’elles furent les premières à se montrer dociles et à œuvrer pour que Berlin ne résiste plus aux pressions qu’exerce Pékin sur l’un ou l’autre dossier (sur celui des panneaux solaires en particulier). C’est avec cette grille de lecture que l’on peut expliquer que Berlin ait accepté de capituler face à Pékin sur le dossier des panneaux solaires et à emmener derrière lui les autres pays européens et Bruxelles.

Et maintenant Pékin vient d’annoncer très récemment qu’il venait d’adopter un plan antitrust et qu’il était à ce titre prêt à punir les multinationales étrangères qui prendront des positions dominantes sur le marché chinois (alors que lui-même s’est déjà arrogé une position mondialement dominante sur le marché de l’acier ou sur celui des panneaux solaires et que Huawei s’emploie à prendre une position dominante sur toute la filière Information Technology).

On voit bien la manœuvre : il s’agit pour Pékin de rendre les multinationales américaines encore plus craintives face à lui ; l’idée est de les désolidariser de Washington et mieux encore d’obtenir que leur lobby désavoue toute éventuelle attitude de fermeté de Washington face à Pékin dans la grande négociation mentionnée plus haut sur le dossier des investissements.

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