En chantier : l'UMP face au défi de la reconquête de catégories sociales perdues<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UMP est en chantier
L'UMP est en chantier
©REUTERS/Benoit Tessier

Opération commando

Catégories modestes, jeunes, seniors se sont détournés de l'UMP à l'occasion de la présidentielle de 2012. Le "droit d'inventaire" sur lequel veut débattre le parti devra se pencher sur les raisons de leur désamour si l'UMP veut remporter les prochaines échéances électorales.

Yves-Marie Cann, François d'Orcival et Stéphane Rozès

Yves-Marie Cann, François d'Orcival et Stéphane Rozès

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA.

François d'Orcival est président du comité éditorial de Valeurs actuelles.

Stéphane Rozès est politologue, président de CAP (Conseils, analyses et perspectives), et enseignant à Sciences Po et HEC.

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Atlantico : L'UMP commence en cette rentrée politique son droit d'inventaire en échafaudant un début de programme en vue des municipales. Dans ce contexte de "mise à jour idéologique", quelles sont selon vous les catégories d'électeurs auxquelles la droite parlementaire doit tendre la main ?

Yves-Marie Cann : Le débat sur l’opportunité d’exercer un « droit d’inventaire » sur le bilan de Nicolas Sarkozy s’est intensifié ces dernières semaines. La proposition de Jean-François Copé d’organiser un débat à ce sujet divise toutefois l’UMP, y compris jusqu’à ses sympathisants. Dans un sondage réalisé par CSA et publié par Nice-Matin ce weekend, 60% des sympathisants de l’UMP estiment en effet qu’un tel débat n’est pas justifié. Ceci s’explique notamment par le fait que Nicolas Sarkozy conserve un capital de sympathie très important auprès d’eux : début août, 77% des sympathisants de droite déclaraient avoir une image positive de l’ancien chef de l’Etat dans notre Observatoire politique avec Les Echos. De même, la plupart des réformes emblématiques mises en œuvre au cours de son mandat s’avèrent toujours plébiscitées par son camp.

Ces résultats ne doivent toutefois pas empêcher l’UMP de faire une lecture critique de la période au cours de laquelle elle gouvernait le pays, c’est-à-dire de 2002 à 2012, et de ses défaites électorales. La crise économique et les mauvais résultats enregistrés en fin de période, notamment sur le front de la lutte contre le chômage, y ont sans doute beaucoup contribué. Il est toutefois un point que l’on évoque rarement, à savoir la défection  d’une partie de la population active. Alors que l’UMP s’est souvent revendiquée de la « France qui travaille » ou « la France qui se lève tôt », force est de constater que ce discours a perdu en crédibilité, ce qui devrait interpeller les dirigeants de l’UMP. De plus, le positionnement plutôt conservateur de l’UMP sur le registre des valeurs et du mode de vie a pu l’éloigner de l’électorat des grandes villes qui tout en étant plutôt sensible au libéralisme économique n’en manifeste pas moins un libéralisme culturel important.

François d'Orcival : Pour l'UMP comme pour tous les partis politiques, le scrutin qui va compter est celui des municipales. De son résultat dépendra le signal ou pas de la reconquête de l'électorat par la droite. C'est le premier scrutin, en dehors des partielles toutes perdues par la gauche, depuis l'élection de François Hollande. Il concerne la base même de l'implantation des partis. Les succès des socialistes aux précédentes élections locales ont préparé sa victoire à la présidentielle. On verra que tous vont se concentrer sur cette bataille. Or un scrutin municipal met en présence des personnalités et des programmes adaptés à une situation locale donnée. L'UMP doit donc présenter des équipes séduisantes pour les électeurs des communes. Le paradoxe de ce scrutin est qu'il aura une signification nationale tout en étant fait de batailles locales.

L' "inventaire" dont il est beaucoup question ces jours-ci concerne en réalité le scrutin suivant, celui des européennes, deux mois après les municipales. Il se jouera, lui, sur la confiance que les électeurs font à leurs partis respectifs. C'est un scrutin qui se lira comme un sondage national. Il révèlera la force et les faiblesses de chaque formation. Comme scrutin national il s'adresse nécessairement à tous les électeurs, comme un sondage, et pas à une catégorie particulière. L'enjeu pour l'UMP est de regagner sa capacité de convaincre.

Stéphane Rozès : La question du cahier des charges fixé par la direction de l’UMP nécessite que les réponses apportées s’élèvent au niveau du pays tout entier. Le pessimisme français vient essentiellement du fait que, comme pour une majorité de français depuis 2005, la question qui se pose est : dans le monde tel qu’il est, la France, son modèle républicain et social, a-t-elle encore un avenir ? Il y a bien sûr plusieurs catégories sociales qui peuvent vivre différemment ces sujets, mais l’exception française, le pessimisme français, la crise économique, sociale et morale que nous connaissons, vient d’abord de là, non pas tant des questions économiques et sociales.

La question du droit d’inventaire, selon moi, doit être posée de cette façon. En quoi le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans sa façon d’être et de faire, a-t-il répondu à la promesse de 2007 de mettre le pays en mouvement sans renoncer à son identité ? Voila l’ampleur du sujet. Ce n’est qu’à partir du moment où cette réponse sera donnée qu’on pourra voir la part et la contribution de telle ou telle catégorie sociale.

La présidentielle 2012 avait révélé un grand désamour des classes populaires pour l'UMP, ces dernières ayant voté à 60% pour François Hollande au second tour. Pensez vous que cette catégorie électorale peut revenir à droite ? Sous quelles conditions ?

Yves-Marie Cann : Nos données d’enquête sont en effet assez claires à ce sujet. Au premier tour de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy n’est arrivé qu’en troisième position parmi les catégories populaires avec 20% des votes, devancé par Marine Le Pen (23%) et François Hollande (30%). Le désamour des classes populaires n’est toutefois pas nouveau, celles-ci votant traditionnellement plus à gauche qu’à droite.

On peut toutefois émettre l’hypothèse que des éléments conjoncturels sont venus renforcer ce désamour. Au-delà du « style présidentiel » de Nicolas Sarkozy souvent critiqué, cette désaffection peut aussi s’expliquer par sa politique économique et fiscale. Celle-ci a entretenu l’idée selon laquelle l’UMP se souciait davantage de la France d’en haut (« les riches ») que de celle d’en bas. Le bouclier fiscal et les montants restitués à plusieurs grandes fortunes ont fortement marqué les esprits. François Hollande a aussi marqué des points en cours de campagne avec sa proposition de taxer à 75% les revenus supérieurs à un millions d’euros. En s’opposant à cette proposition, l’UMP et ses représentants ont  à nouveau accrédité l’idée d’un parti défendant d’abord les intérêts des plus fortunés. Il ne suffit pas de se revendiquer comme « populaire » pour capter les votes des catégories populaires, encore faut-il y donner un minimum de consistance.

François d'Orcival : Avant de voter majoritairement pour Hollande, les classes populaires avaient commencé par déserter la gauche. Elles ont marqué leur déception à l'égard de la droite, mais Sarkozy en avait regagné en fin de campagne une bonne partie. La gauche les a-t-elle conservées comme électeurs depuis qu'elle est au pouvoir ? C'est douteux. Ces classes sont en effet les plus sensibles aux questions dites de société plus qu'aux dossiers économiques (emploi, pouvoir d'achat) parce qu'elles sont sans illusion sur le personnel politique. C'est évidemment pour elles que Hollande a renoncé à présenter son projet de droit de vote pour les étrangers. Mais sa politique est par ailleurs très contraire au sentiment et aux valeurs exprimés par ces couches populaires: sur la famille, sur le mariage gay (qui a beaucoup choqué ces électeurs), sur l'école (très critiquée), sur la sécurité (délinquance en hausse générale, folle affaire des prisons), sur l'identité de la France (absence de politique d'immigration),etc. La gauche aura beaucoup fait pour le succès de la droite en général.

Stéphane Rozès : Il est loin le temps où les catégories sociales se sentaient tenues par une quelconque fidélité. Autrefois, les individus appartenaient à la classe populaire, au culte catholique, ou étaient agriculteurs, et leur identité modelait leur vote. Aujourd’hui, chaque individu se sent beaucoup plus libre d’exprimer au travers du vote sa vision de la société, de sa confiance et de ses attentes à l’égard des forces politiques.

En 2007, ce qui a fait que les classes populaires ont pu voter pour Nicolas Sarkozy au lieu de voter pour le Front national, ce n'est pas qu'il pointait l’immigration et l’insécurité, mais parce qu’il tenait un discours de la nation, associant le capital et le travail à travers le triptyque travail/mérite/pouvoir d’achat. En 2007, Nicolas Sarkozy a récupéré l’électorat populaire non pas sur la ligne Buisson, mais sur la ligne Guaino. La différence est décisive. C’est pour cela que Buisson mène la droite dans le mur. Il a tordu le bâton, à partir du discours de Grenoble, en faisant pointer l’autre par Nicolas Sarkozy et se faisant renforçant le Front national. La question de la nation n’est pas celle du nationalisme.

J’aime cette phrase de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes ». Allons aux causes ! Si elle fait un droit d’inventaire, l’UMP doit aller aux causes des problèmes, sinon elle restera dans la gesticulation et ne parlera pas à l’inconscient du pays.

Les jeunes de droite sont quant à eux de plus en plus tentés par le vote Front National, qui apparaît à leurs yeux plus légitime sur les questions de souveraineté. Cette tendance peut-elle être inversée ?

Yves-Marie Cann : Au-delà du cas Marine le Pen, c’est surtout la tentation du vote protestataire qui est saisissante auprès des plus jeunes. D’après nos données, 18% des 18-24 ans ont voté pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle en 2012 et 16% se sont portés sur Jean-Luc Mélenchon. Le contexte économique et social y contribue certainement. C’est aussi le signe de l’incapacité des partis de gouvernement à engager un dialogue avec de larges pans de la jeunesse.

En ce qui concerne les jeunes de droite tentés par le Front national et Marine Le Pen, nous sommes ici dans un cas de figure assez classique. Sachant que le Front national ne fait plus aussi peur que par le passé et alors que Nicolas Sarkozy adoptait une posture particulièrement droitière lors de la campagne présidentielle, certains ont pu se dire, à tort ou à raison, « pourquoi préférer la copie à l’original ? ».

François d'Orcival : On observe en effet l'arrivée d'une nouvelle génération jeune très engagée. La manif pour tous en a été la démonstration la plus spectaculaire. Cette nouvelle génération rebelle n'est pas seulement abritée par le Front national. Elle agit partout et constitue les gros bataillons de la droite forte ou populaire au sein de l'UMP.

Stéphane Rozès : Je ne crois pas que la raison du vote des jeunes soit celle-là. Je crois que les jeunes ont besoin de se projeter dans l’avenir. Ils ont toute leur vie devant eux et sont pris entre le fait de s’intégrer dans la nation et les difficultés pour se projeter dans l’espace et le temps. Pourquoi sont-ils tentés par le Front national, alors qu’ils ont été un temps les plus pro-européens ? Quand l’Europe n’est plus "la France en grand", la question qui se pose est celle de la compatibilité entre la France et le monde extérieur.

Si l’actuelle majorité échoue à faire la démonstration que le pays peut sortir de l’axe mortifère selon lequel pour survivre dans le monde tel qu’il est, il faut renoncer à ce que l’on est, ça fera la dynamique du Front national.

Les seniors, qui représentent traditionnellement un bastion pour la droite, ont moins voté à pour l'UMP en 2012 qu'en 2007. Peut-on parler d'un désamour durable, ou seulement temporaire ?

Yves-Marie Cann : La droite et l’UMP conservent un avantage sur la gauche auprès des seniors. Mais il est indéniable que des points ont été perdus en 2012. Ceci peut s’expliquer par plusieurs raisons. J’en identifie au moins trois.

La première, c’est l’usure due à l’exercice du pouvoir. Après dix années passées en responsabilités, il est difficile de susciter une dynamique électorale et de renouveler son socle programmatique. En résulte la désaffection d’une partie des anciens soutiens, sans que ceux-ci soient irrémédiablement perdus. De plus, il ne faut pas oublier que le vote des électeurs au second tour de la présidentielle résulte d’un arbitrage non seulement entre deux programmes ou deux sensibilités politiques mais aussi entre deux personnalités. En l’occurrence, les doutes des seniors sur la crédibilité de Ségolène Royal en 2007 ont pu favoriser Nicolas Sarkozy. Dans une configuration opposant celui-ci à François Hollande, l’avantage concurrentiel du Président sortant était moins évident.

Enfin la démographie a pu jouer : les seniors de 2012 ne sont pas tout à fait les mêmes qu’en 2007. Bascule aujourd’hui dans cette catégorie une génération sans doute plus favorable à la gauche que celles qui l’ont précédée. Les quinquagénaires et les soixantenaires d’aujourd’hui sont ceux qui avaient massivement voté pour François Mitterrand en 1981 !

François d'Orcival : Les séniors paient lourdement le fait d'avoir beaucoup voté à droite. Ils sont les plus frappés par l'impôt, à travers leurs revenus, leur épargne, et maintenant leurs pensions de retraite. Mais ils sont également très sensibles à la société telle que la dessine la gauche, et très sévères à son égard. Ils sont les premiers à avoir tiré la leçon du vote de 2012. On l'a vu dans les élections partielles et les enquêtes d'opinion.

Stéphane Rozès : L’électorat âgé a eu un problème avec Nicolas Sarkozy. Il faut comprendre que la progression de la gauche dans les élections intermédiaires est venue du fait qu’une partie de l’électorat de droite a été heurté par la façon dont Nicolas Sarkozy portait la fonction présidentielle. Certaines de ses attitudes, de ses propos, de son exposition de la vie privée, était incompatible avec la vision qu’ont les Français, et en particulier l'électorat âgé, de la fonction.

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