Sudoku ou mots croisés : que faut-il emmener à la plage pour mieux faire travailler son cerveau ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A la plage, on peut bronzer... mais on peut aussi faire travailler sa mémoire.
A la plage, on peut bronzer... mais on peut aussi faire travailler sa mémoire.
©REUTERS/Daniel Munoz

Dilemme

Les adeptes des chiffres préfèrent l'un. Les fans des lettres préfèrent l'autre. Dans tous les cas, ces jeux sont d'excellents amis de la mémoire.

Michel Dib et André Nieoullon

Michel Dib et André Nieoullon

Michel Dib est neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière depuis plus de vingt ans. Membre de la Société Française de Neurologie, il est auteur de plusieurs ouvrages scientifiques et destinés au grand public, notamment Apprivoiser la migraine aux Editions du Huitième Jour.

André Nieoullon est Professeur de neurosciences à l'Université d’Aix-Marseille, Président du Conseil Scientifique de la Fédération pour la Recherche sur le Cerveau, Directeur scientifique-adjoint pour les sciences de la vie et de la santé au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (Direction Générale de l’enseignement supérieur), et Directeur du Collège des écoles doctorales des universités d'Aix-Marseille.

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Atlantico : On pense souvent que les grilles de sudoku et les mots croisés permettent de garder le cerveau en bonne santé en développant la mémoire. Laquelle de ces activités fait le plus travailler notre intellect ? Pourquoi ?

Michel DibJe dirais les mots croisés car ils font appel à plus de cellules cérébrales (centres de la mémoire, du raisonnement, un processus plus complexe, plus riche).

André NieoullonS’agissant précisément de mémoire, il est clair que s’adonner aux mots croisés est un exercice qui va faire appel plus que le Sudoku à nos capacités mnésiques. En effet, faire des mots croisés suppose une culture et donc un acquis permettant de trouver les mots correspondant aux définitions. Et plus les grilles sont réputées difficiles, plus la mémoire est sollicitée. Les définitions comportant des sens cachés, au-delà de la culture il faut ajouter une solide capacité de raisonnement au second degré, voire plus, selon les auteurs. Dans le cas du Sudoku la situation est différente. Après tout, les éléments permettant de remplir les grilles sont connus et simples : des chiffres de 1 à 9.  Il s’agit alors de développer des stratégies obéissant à des logiques, plus ou moins complexes en fonction des éléments fournis : c’est la rareté des indices qui va déterminer le niveau de difficulté. Clairement on est ici dans le cadre de mises en œuvre de stratégies et l’entraînement est alors l’un des facteurs déterminants de l’efficacité.

Pour les mots croisés, les éléments permettant de remplir les grilles, même s’il s’agit de simples lettres, obéissent à des contraintes beaucoup plus élevées. Mais les stratégies et l’expérience jouent là aussi un rôle majeur. Par exemple, certains cruciverbistes aguerris sont des fans inconditionnels de tel ou tel auteur bien connu de grilles de mots croisés. Dans ce cas, la proximité des protagonistes fait que l’esprit du cruciverbiste rejoint souvent plus facilement, dans une forme de joute à distance, celui de l’auteur et on a presque envie de savoir qui triomphe finalement de l’autre. En d’autres termes, le cruciverbiste entre dans le jeu de l’auteur et peut ainsi plus facilement déjouer ses pièges…

En termes neurologiques, donc, en simplifiant on peut considérer que le sudoku est d’abord un jeu de stratégie et de logique mathématique alors que les mots croisés font appel à une culture et à une mémoire sémantique bien supérieure, le plus souvent mâtinée de composantes émotionnelles sur laquelle surfe l’auteur des grilles. On peut se risquer alors à considérer que le Sudoku va plutôt mettre en œuvre des capacités de l’hémisphère gauche, hémisphère calculateur et de la rationalité, de façon schématique. Alors que les mots croisés, sans minimiser la part de la stratégie et donc de la contribution de l’hémisphère gauche vont également mobiliser fortement les capacités de réflexion liées à l’hémisphère droit, plus enclin à l’interprétation de données à connotation émotionnelle et au vécu de tout un chacun.

En tout état de cause, ce qui rejoint les deux exercices est la nécessité d’avoir un fort potentiel de déduction à la base de ces jeux mais aussi de développer une impérieuse nécessité de mobilisation intense des processus d'attention pour optimiser l’efficacité. De ce point de vue, une forme d’éveil "actif" est absolument nécessaire pour aboutir, ce qui est souvent incompatible avec une relaxation. Traités sous cet angle et à ce niveau, ces exercices intellectuels sont de fait loin d’être seulement récréatifs…

Faut-il être plutôt bon en calcul pour faire des grilles de sudoku et plutôt littéraire pour des mots croisés ?

Michel Dib Non, pas forcément. Il s'agit plus d'un trait initial de mémoire dirigé vers les chiffres ou plutôt vers les noms propres. Chacun de nous est né avec une tendance et une capacité de mémorisation différentes (chiffres, lettres, nom propres, etc)

André Nieoullon La propension à être performant dans l’un ou l’autre de ces exercices dépend réellement de l’affinité que l’on a pour chacun d’entre eux, s’agissant avant tout d’activités récréatives. Néanmoins, il existe des inconditionnels des mots croisés qui ne se livreraient pas à la moindre grille de sudoku et réciproquement. Le caractère populaire de ces deux types d’exercices est clairement lié à leur accessibilité du fait de gradations considérables dans les difficultés. Aussi, aimer les chiffres et développer des stratégies et des capacités de déduction est certainement une force pour aborder le sudoku ; de même, pour aimer les mots croisés il faut aimer les mots, sinon développer de fortes capacités littéraires. De façon intéressante, sudoku et mots croisés font maintenant partie des méthodes pédagogiques dans l’enseignement primaire pour développer cet esprit de logique et de stratégie et il est étonnant de voir des enfants de 7-8 ans résoudre des grilles de sudoku "pour débutants" avec une facilité déconcertante, ce qui reste un peu plus difficile pour les mots croisés… Clairement, ces jeux de l’esprit font partie de notre culture et on peut parier que ces enfants entraînés à ces exercices sont de futurs champions en puissance.

Ces jeux permettent-ils de lutter contre certaines maladies neurodégénératives comme Alzheimer ? Quelle fréquence permettrait de diminuer le risque ?

Michel Dib : Non mais ces jeux permettent de développer le réservoir de cellules cérébrales et remplacent celles qui meurent par la démence.

André Nieoullon Cette question est évidemment centrale, s’agissant de prévention possible de la survenue de certaines maladies neurologiques. A ce stade il faut rester prudent dans les assertions et simplement s’en tenir à quelques constats. D’abord, l’un des fondements de ces propositions est lié au fait qu’il est avéré par des études épidémiologiques incontestables que le niveau socio-culturel élevé d’un individu peut être considéré comme un "facteur de protection" contre les démences et en particulier la maladie d’Alzheimer, ce qui ne signifie pas que l’inculture et le manque d’éducation soient des facteurs de risques

Statistiquement, la proportion de malades est moindre dans une population donnée pour les personnes exerçant ou ayant exercé une activité intellectuelle. Ensuite, de nombreuses données des neurosciences attestent du bien fondé d’avoir une activité intellectuelle comme "facteur de protection" contre les effets du vieillissement. Naturellement ces dernières données sont à prendre avec toutes les précautions qui s’imposent du fait de la difficulté des quantifications mais il est admis par la communauté des spécialistes que faire travailler son cerveau permet de minimiser les effets de l’âge. Aussi, les recommandations sont clairement d’éviter les attitudes "passives" (par exemple en regardant sans but réel mais plutôt par habitude la télévision) et de privilégier au contraire toute activité intellectuelle nécessitant à la fois une mobilisation des ressources attentionnelles et une forme de socialisation, qui reste fondamentale pour le "bien-vieillir". Par là, on rejoint les bienfaits conférés à la pratique du sudoku et, naturellement, des mots croisés, qui, on l’a vu, conjuguent nécessité d’un éveil intellectuel  et rationalisation du traitement de l’information, assimilables à une optimisation du fonctionnement cérébral.

Difficile par contre de dire qu’elle est la bonne fréquence pour réellement diminuer le risque. Le sentiment qui vient immédiatement à l’esprit est de conseiller des pratiques régulières, par exemple quotidiennes s’agissant de personnes retraitées, considérant aussi que l’entraînement accroît la performance et donc en quelque sorte représente une forme de récompense liée à l’exercice. Nombreux sont les seniors qui aiment à témoigner avec fierté de leur efficacité dans ces exercices. Encourageons-les !

Ces activités sont-elles adaptées au niveau de difficulté optimale pour l’entrainement de notre cerveau ? Y a-t-il des niveaux à préférer pour que l’exercice soit efficace ? Lesquels ?

Michel Dib : Non c'est progressif, il faut systématiquement essayer de monter de niveau.

André Nieoullon :Si vous m’avez bien compris, non seulement il n’y a pas d’âge pour ces exercices mais, en plus, il n’y a pas de performance minimale à accomplir pour maintenir son cerveau en forme ! L’une des recommandations que l’on peut faire est de toujours adapter les exercices à son propre niveau de compétences, sans sombrer dans la facilité. On l’a vu, ce qui est essentiel est de faire travailler son cerveau en maintenant une sorte d’éveil compatible avec une mobilisation des ressources attentionnelles. Ici d’ailleurs peut-on souligner que le niveau de performance ne peut être maintenu trop longtemps dans le temps et qu’il vaut mieux privilégier des séances relativement courtes de ces exercices quelque peu épuisants intellectuellement que de s’inscrire dans la durée pour sommeiller sur ses grilles… Pourquoi faut-il adapter le niveau de ses grilles à son niveau de compétences ? C’est très simple à comprendre. L’un des dangers est de se mettre en position d’échec vis à vis de ces exercices. Dans ce cas, on constate en général un abandon rapide de ces jeux lorsque leur résolution fait trop souvent défaut… et l’exercice devient contre-productif. Il n’y a pas de honte à résoudre des grilles pour débutants plutôt que des grilles de haut niveau, l’intérêt, on l’a vu, étant de maintenir actif son cerveau. Alors, à vos grilles et bonne récréation !

Propos recueillis par Karen Holcman

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