Qui seront les futurs géants du Web ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mark Zuckerberg, fondateur du réseau social Facebook.
Mark Zuckerberg, fondateur du réseau social Facebook.
©Reuters

Goliath

A la fin du mois de juillet, le prix de l'action en bourse de Facebook a de nouveau dépassé son prix d'introduction. Une première depuis mai 2012. Néanmoins, les internautes continuent de délaisser le réseau social. Au mois de mars 2013, Facebook a perdu près de 6 millions d’utilisateurs aux Etats-Unis et 1,4 million en Grande-Bretagne.

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice.

Il est un des pionniers d'Internet en France.

 

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Atlantico : Alors qu'à la fin du mois de juillet, le prix de l'action en bourse de Facebook a de nouveau dépassé son prix d'introduction, les internautes américains et britanniques n'en délaissent pas moins le réseau social. Comment expliquer ce phénomène ?

Benjamin Bayart : Il existe plusieurs sources d’explication. Il y en a une qui tient au fait que la jeunesse est en train de passer. Les utilisateurs gagnent en expérience et ne font plus le même usage d’Internet qu’à leur début. Ils sont plus expérimentés et ne se satisfont plus d’outils aussi primitifs qu’avant. On peut également parler d'une forme de perte de confiance liée au fonctionnement de l’outil.

Pour la première explication, il faut faire une différence entre la percée du numérique, qui est explosive, et la percée d’Internet qui est lente. Par exemple, quand vous vous mettez à lire votre journal sur ordinateur ou sur tablette plutôt que sur du papier c’est la percée du numérique. Mais quand vous vous mettez à avoir plus d’amis en ligne que vous n’en avez jamais rencontré, c’est la percée de l’Internet. Le passage à Facebook, c’est un signe d’utilisation du numérique. Mais le système très centralisé que représente ce réseau social est insatisfaisant pour quelqu’un qui est plus expérimenté en termes d'utilisation du numérique.

Les gens ont tous massivement souscrit à un accès Internet entre 2003 et 2008. Mais l’influence que le numérique à sur votre façon de vivre en société ne se fait pas du jour au lendemain. Ce n’est pas parce que vous avez acheté un modem que vous êtes un internaute chevronné. Ce n’est pas une bascule immédiate. Il existe une courbe d’apprentissage de l’utilisateur qui passe par des phases. Certaines de ces phases sont très caractéristiques et très faciles à reconnaître. Le "kikoo LOL" par exemple est identifiable rapidement. Avant on s’échangeait des blagues potaches dans les diners. Maintenant on s’envoie des photos rigolotes sur nos smartphones. C’est une phase très particulière et qui est plutôt tôt dans la courbe d’apprentissage. Il se trouve que plus on avance dans l’apprentissage, moins on se satisfait de Facebook. En effet, cet outil devient beaucoup trop fermé, il ne permet pas de faire ce que l’on veut.

Peut-on dire que le web est en train d’évoluer ?

Les gens gagnent en expérience et cherchent d’autres outils. Ils ne vont pas remplacer Facebook par un outil mais par plusieurs. Ils vont se mettre à utiliser des outils de messagerie instantanée plutôt que d’utiliser celui intégré à Facebook. Ils vont se mettre à poster leurs photos avec Instagram plutôt que de les publier sur Facebook etc. Ils vont fonctionner beaucoup plus en intégration d’outils qu’en outils intégrés. Ils ont donc gagné en maturité.

Et il va se produire des problèmes très similaires autour d’Apple. Les gens avaient besoin pour basculer dans le monde du smartphone d’un objet extrêmement intégré et simple à utiliser. Une fois que vous êtes un utilisateur averti, il y a un certain nombre de détails dans le "tout intégré" qui ne vont plus vous satisfaire. Donc vous allez au fur et à mesure vous reportez vers d’autres applications, d’autres logiciels plus performants que ceux proposés par Apple. Vous allez préférer une agrégation d’outils qui vous correspondent plutôt qu’un outil "tout intégré". C’est caractéristique de l’utilisateur qui mûri.

Mais il existe aussi une forme de mécontentement. Ces plateformes ont besoin de se monnayer et pour cela il faut donc vendre quelque chose. Vendre des espaces publicitaires, vendre la vie privée des gens, etc. Autant les utilisateurs acceptent volontiers qu’on vende leur vie privée quand ils ne comprennent pas ce qu’on est en train de vendre, autant sur Facebook cela commence à atteindre un stade qu’ils ont de plus en plus de mal à accepter. Sur Facebook, la marchandise c’est vous. Vous n’êtes pas le client, c’est faux de le croire ! Il y a un moment où les gens le ressentent et cela ne les intéresse plus d’être la marchandise. La publicité est parfaitement acceptée par les internautes à partir du moment où elle n’est pas intrusive.

L’arrivée de nouvelles plateformes telles que Path ou Instagram ainsi que la prochaine généralisation du web 3.0 vont nécessairement entraîner une redistribution des cartes. Dans le futur, quelles sont les entreprises qui pourraient s'imposer en tant que "géants du web" ? 

Je pense qu’il va y avoir des innovations, et donc des géants, qui vont apparaître dans des domaines très différents. Les géants d’aujourd’hui sont les entreprises qui collectent énormément de données sur leurs utilisateurs et qui les vendent. Les géants de demain seront plus probablement les entreprises qui collectent beaucoup de données, pas forcément sur leurs utilisateurs, et qui produisent du service avec. C’est ce qu’on appelle le dictata. Par exemple, en consultant les logs des téléphones portables, je pense qu’il n’y a pas de difficultés majeures à établir une carte précise mise à jour à la seconde près des embouteillages. Il suffit de regarder les axes où les téléphones sont immobiles alors qu’ils étaient mobiles deux minutes avant. Cela définit l’utilisateur qui est en voiture puis à l’arrêt. S’il y a une multiplication des cas, il y a nécessairement bouchon. Ce genre d’usage du web, qui consiste à prendre de la donnée massive pour en tirer un service,  est quelque chose qui va se développer dans les cinq à dix ans à venir.  En effet, ces informations prises individuellement sont assez pauvres. Mais ensemble, elles fournissent un service. Et rendre ce service exploitable par et pour l’utilisateur ça a de la valeur.

Après il y a un certain nombre de géants qui passent inaperçus. L’exemple type en est Linux. Mais parce que Linux n'est pas une entreprise et n'est pas valorisée, les économistes ne le voient pas. Tout le monde est conscient qu’Androïd est l’OS le plus répandu sur les smartphones. Mais personne ne réalise qu’Androïd est un produit dérivé de Linux. C’est donc une des grosses difficultés pour détecter des futurs géants. On parle de géant essentiellement à partir du moment où il représente une masse économique. Quels sont les prochains géants à représenter un poids économique ? Je pense que c’est dans le dictata que ça va se passer. Les gens qui sauront exploiter les données publiques permettant d’apporter de la valeur représenteront le futur de l’économie web.

Apple est actuellement en difficulté financière et dans l’obligation de faire un emprunt obligataire, MSN Messenger est arrivé à son terme… Le web semble ainsi fonctionner de manière cyclique. La durée de vie d’une entreprise numérique est-elle nécessairement courte ?

Non, le cycle n’est pas forcément court. Certains produits deviennent obsolètes à grande vitesse. Typiquement MSN appartient à Microsoft et Microsoft n’a pas disparu. Par contre, le protocole de MSN est lui devenu complètement désuet. Plutôt que de le renouveler Microsoft a préféré acheter Skype. Les grandes boîtes qui survivront sont celles qui détecteront les "jeunes pousses utiles" et qui les rachèteront à temps. Si IBM existe encore c’est parce qu’il a été capable de répéter ce schéma plusieurs fois. La liste des grands groupes changent assez peu au final. Facebook pourrait disparaître parce que l'entreprise est centrée sur un seul produit. Ce n’est plus le cas de Google. Certes, la majorité du chiffre d’affaires provient du moteur de recherches et de la publicité mais ils sont capables de faire de la pub en-dehors de leur moteur de recherches. Ils ont tout un tas d’autres produits dont un grand nombre s’arrêtent assez rapidement.

Propos recueillis par Maxime Ricard.

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