Comment le médicament est devenu le meilleur ami de l'homme<!-- --> | Atlantico.fr
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48 boîtes de médicaments par habitant ont été consommées en moyenne en France en 2011.
48 boîtes de médicaments par habitant ont été consommées en moyenne en France en 2011.
©Reuters

Bonnes feuilles

A travers son témoignage personnel, l'auteur met le doigt sur un mal qui nous touche tous à divers degrés : l'hypocondrie. Extrait de "Confessions d'un hypocondriaque" (2/2).

Christophe  Ruaults

Christophe Ruaults

Christophe Ruaults est journaliste et hypocondriaque.
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S’il est essentiel de choisir le bon médecin, il l’est tout autant de trouver le bon pharmacien. C’est un partenaire de votre santé avec qui la relation ne peut être qu’exclusive, il fait partie de votre garde rapprochée. Mon pharmacien est une pharmacienne et cette femme est une perle. Lors de nos rencontres, très régulières, elle s’empresse de me demander comment je vais, avant même de lire l’ordonnance qui va l’en informer. Vous observerez qu’il est très rare de ne pas en avoir une en poche lorsque l’on sort de chez le médecin. Redoutable efficacité des visiteurs médicaux, missionnés par les laboratoires pour faire des généralistes nos dealers ― quarante-huit boîtes de médicaments par habitant en France en 2011.

La pharmacie est idéalement située sur mon parcours de santé, à mi-chemin entre le cabinet du Dr Hausler et mon repaire, une étape, lors du retour, pour faire les provisions et satisfaire la goinfrerie de Charlie. Combien de fois ai-je dû affronter le regard réprobateur de Claire en posant sur la table de la cuisine mon sachet rempli de boîtes de différentes tailles et de différentes couleurs.

― Tu vas finir par te rendre malade avec tous ces médicaments !

― Tu ne crois pas que tu exagères un tout petit peu ?

― Pas autant que toi. Enfin, Thomas, avec tout ce que tu as pris dans ta vie, je suis sûre qu’on pourrait soigner pendant un an un pays d’Afrique, et je ne te parle pas des effets secondaires sur ton organisme.

― Justement, il y a certains de ces médicaments qui ont des effets secondaires et d’autres qui les atténuent, c’est pour ça qu’il y en a autant.

― Parfois tu devrais aussi prendre en compte les effets secondaires sur ta vie avec moi.

― Il n’y a rien dans ce sachet qui va agir sur ma libido !

― Je ne te parle pas de ça, idiot, je te dis simplement que… Soupir, regard de Claire perdu dans le lointain, pas d’humeur à prendre du recul ce matin-là.

Chez ma pharmacienne, aucun état d’âme. Elle assure le job sans sourciller, une vraie pro. Et surtout, elle n’essaye pas d’écouler auprès de moi ses médicaments génériques aux noms barbares. Dans l’hypothèse où elle s’y risquerait, la mention « non substituable » que le Dr Hausler prend soin d’apposer sur mes ordonnances lui barrerait la route. Cétirizine Biogaran, ça vous met en confiance pour soigner une allergie ? Alors que Virlix, c’est autre chose. Prononcez le nom à haute voix et constatez comme il est agréable en bouche, il glisse sur les papilles comme un bonbon fruité. Intuitivement, on sait que notre Virlix va faire sans regimber ce pour quoi il a été conçu : maintenir à distance les éruptions cutanées et rhinites intempestives qui nous gâchent l’existence. Un nom de médicament, c’est très important, on ne le choisit pas au hasard. C’est comme un engagement qui est pris, celui de nous faire du bien lorsque nous irons mal, il doit porter en lui l’idée d’une présence rassurante dans la maison. Pour savoir s’il sonne juste, c’est simple, vous devez pouvoir donner ce nom à votre animal de compagnie. J’ai d’ailleurs baptisé mon Jack Russel, Guronsan. Il passe l’essentiel de ses journées à dormir et ce qu’il en reste à me regarder d’un air consterné. L’énoncé de son nom est l’une des rares occasions de voir un peu de vie animer son corps ou du moins sa tête, qu’il redresse d’un air vaguement intéressé avant de replonger dans sa neurasthénie.

En ce qui concerne les génériques, je n’ai pas toujours été contre. J’étais même prêt à me racheter une conscience en apportant par ce biais ma contribution au redressement des comptes publics mais évidemment, Charlie ne l’entendait pas de cette oreille.

― On va faire un test, mon p’tit gars.

― Si tu veux.

― Coltramyl et Thiocolchicoside. D’après toi, où se cache le générique ?

― Hum…

― Lequel des deux est la pâle copie d’un principe actif dont le brevet est tombé dans le domaine public, faite par d’anciens élèves besogneux, alors que l’autre résulte d’une molécule originale, mise au point par un premier de la classe ?

― Je dirais…

― Lequel des deux porte un nom de maladie plus que de médicament ?

― Si tu ne me laisses pas en placer une, ça va être difficile de te répondre.

― Lequel semble parler une langue étrangère, comme s’il ne souhaitait faire aucun effort pour s’intégrer dans l’armoire à pharmacie ?

― O.K., laisse tomber, tu as gagné.

Charlie avait visé juste. Songerait-on à appeler son bouledogue Thiocolchicoside ? C’est un nom à coucher dehors, qui n’évoque rien d’autre que son statut de produit chimique, une molécule impersonnelle noyée dans la masse. Aucune image apaisante ne nous vient à l’esprit quand on l’entend, juste celle de laborieux laborantins en blouse blanche manipulant des éprouvettes dans des pièces aux murs gris. À croire que leurs parts de marché modestes empêchent les fabricants de génériques de se payer des études marketing dignes de ce nom. Pourtant, cela leur permettrait d’accroître leur chiffre d’affaires. C’est le bouledogue qui se mord la queue.

Extrait de "Confessions d'un hypocondriaque", Christophe Ruaults (Editions Michalon), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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