Hausse des tarifs de l’électricité : à combien s’élèverait votre facture si vous étiez Allemand, Britannique, Espagnol ou Italien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La facture d'électricité va grimper de 5% en moyenne à partir de ce jeudi 1er août.
La facture d'électricité va grimper de 5% en moyenne à partir de ce jeudi 1er août.
©Reuters

La douloureuse

La facture énergétique des ménages va continuer de grimper avec l'augmentation de 5% des tarifs réglementés de l'électricité ce jeudi 1er août.

Stéphane Meunier et Jacques Percebois

Stéphane Meunier et Jacques Percebois

Stéphane Meunier est consultant au sein du cabinet de conseil Sia Partners en charge de l'énergie.

Jacques Percebois est professeur agrégé en Sciences économiques spécialisé dans l'économie d'énergie et d'environnement.

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Atlantico : Les ministères de l'Economie et de l'Ecologie ont publié ce mercredi 31 juillet la nouvelle grille détaillant les tarifs réglementés de l'électricité, hors taxe. La facture d'électricité va grimper de 5% en moyenne à partir de ce jeudi 1er août. Alors que la facture énergétique des ménages a déjà augmenté en moyenne de 200 euros en 2012, cette nouvelle hausse est la plus forte depuis dix ans. Comment l'expliquez vous ? 

Stéphane MeunierD’abord, il faut arrêter avec cette idée que l’ouverture du marché est responsable de ces augmentations de prix comme on le lit trop souvent. Sur le marché des ménages, mais également sur le marché des entreprises jusqu’en 2015 (date inscrite dans la loi NOME pour la fin des Tarifs Réglementés de Vente) l’ouverture du marché n’est pas une réalité.

En effet la fixation du prix de l’électricité reste un outil éminemment politique. En gardant la main sur ce sujet, les gouvernements se dotent ainsi d’un levier pour agir sur le pouvoir d’achat et d’un instrument de communication sensible pour l’opinion publique.

Or, pendant près de deux décennies entre 1990 et 2009, les gouvernements successifs français ont fait évoluer les prix trop faiblement, à tel point qu’en euros constants ils ont baissé.

(source : observatoire de l’industrie électrique)

L’objectif a sans doute été dans un premier temps de faire profiter les ménages du prix très compétitif du kWh sortant de nos centrales nucléaires, mais ensuite c’est probablement par manque de courage politique que les prix ont fini par ne plus refléter la réalité des coûts malgré les alertes des Présidents successifs d’EDF et de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Ainsi, la CRE a relevé un manque à gagner de 1,47 milliards d’euros pour EDF en 2012. Si ce rattrapage avait été effectué intégralement cette année, il aurait entraîné une hausse supplémentaire des tarifs de 7,6 %.

Néanmoins aujourd’hui la situation n’est plus tenable car toute entreprise, même publique, a besoin de dégager des marges pour préparer l’avenir. Or, le signal prix pour investir dans le renouvellement de nos centrales de production ou dans la transition énergétique a disparu. La situation est telle qu’un GDF SUEZ a annoncé en debut d’année l’arrêt de trois centrales à gaz alors qu’en même temps on importe de l’électricité produite en Allemagne à base de charbon. Cherchez l’erreur !

Enfin, si les ménages ne paient pas le prix l’électricité à son juste prix comment peut ont espérer leur donner un signal pour adopter des comportements vertueux pour réduire leur consommation ?

Jacques Percebois : Les raisons de la hausse, ce sont les tarifs  réglementés de vente (TRV)  de l’électricité, fixés par le gouvernement sur demande d’EDF et après avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE),  qui au 1er août 2013 vont augmenter de 5% et cela concerne la quasi-totalité des ménages français et une grande partie des professionnels. Ces prix devraient augmenter à nouveau de 5% au 1er août 2014 et probablement encore de 5% au moins au 1er août 2015. Rappelons que certains consommateurs, surtout chez les gros industriels, peuvent bénéficier de prix librement négociés avec leur fournisseur (prix dits en "offre de marché") et ils ne sont donc pas concernés.  La loi française impose que les prix réglementés suivent les coûts de fourniture, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui,  et ces coûts ont augmenté fortement ces dernières années. Pour cela il faut rappeler la structure des coûts pour un client domestique. Le prix TTC payé par un ménage français est, en moyenne aujourd’hui,  de 14,12 centimes d’euro par kWh. Environ 40% du prix  correspond au coût de production sortie centrale, 35% au coût des réseaux de transport et de distribution - Réseau de transport d'électricité (RTE) et Electricité réseau distribution France (ERDF) - et 25% à des taxes diverses, dont la TVA mais aussi la fameuse Contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui sert à financer les dépenses mutualisées qui correspondent à des missions de service public. Plus de 60% de cette CSPE sert à financer le surcoût des énergies renouvelables (éolien et surtout photovoltaïque) qui bénéficient d’un prix d’achat garanti très rémunérateur et situé bien au-dessus du prix du marché. Le surcoût est mutualisé sur l’ensemble des consommateurs.

Environ 30% de la CSPE finance la péréquation spatiale pour les zones non interconnectées (Corse, DOM-TOM) et le reste finance diverses opérations dont le tarif social dit de première nécessité. Or tous les postes de coût sont orientés à la hausse : il faut investir dans les centrales nucléaires pour des raisons de sûreté mais aussi si ont veut en prolonger la durée de vie (investissements dits de "jouvence"), il faut investir dans de nouvelles centrales pour assurer la pointe de consommation. Les péages d’accès aux réseaux, qui sont fixés par une commission de régulation indépendante, doivent eux aussi  augmenter si on veut moderniser ces réseaux et développer les interconnexions électriques avec le reste de l’Europe. Le niveau de la CSPE doit lui aussi augmenter fortement (c’est aujourd’hui 10% du prix TTC payé par un ménage), car les renouvelables coûtent cher, comme vient de le rappeler un récent rapport de la Cour des Comptes. Malgré tout le prix payé par le consommateur français restera nettement en dessous du prix moyen observé en Europe (de l’ordre de 30%) car partout les prix montent pour les mêmes raisons. Cela est dû, en France, au fait que le coût du nucléaire amorti est bas. Le consommateur français continue de bénéficier de l’effort fait par les ses parents dans les années 1974-1990. A cette époque les prix avaient fortement augmenté pour financer les investissements liés à l’accélération du programme électronucléaire.

Dans une interview accordée au Monde, Henri Proglio, PDG d'EDF, affirme que, ailleurs en Europe, les hausses seront bien supérieures : "L'Allemagne a déjà relevé ses tarifs de 12% au 1er janvier, et il y aura d'autres hausses. Le mouvement sera le même en Grande-Bretagne" (lire ici). Quel est le montant moyen de la facture d'électricité dans les pays européens voisins de la France : Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Italie ? Comment se justifie-t-elle et comment se répartit-elle ? Y existe-t-il des tarifs sociaux ?

Stéphane Meunier :D’abord avant de comparer les situations chez nos voisins européens, il est bon de préciser de quoi on parle. Si on s’intéresse au pouvoir d’achat des ménages on regardera la facture d’électricité et pas uniquement le prix. Or, une facture d’électricité a trois composantes : le prix, la quantité de kWh consommée et les taxes.

  • Le prix

Le prix reflète avant tout l’efficience économique d’un mix-énergétique, mais il peut également masquer des financements croisés. Ainsi il serait naïf de regarder le seul prix de l’électricité en Allemagne pour les particuliers sans se pencher sur une comparaison des prix pour les industriels. L’écart entre la France et l’Allemagne est du simple au double pour les ménages 0,15 contre 0,27, mais si on regarde le prix pour les entreprises alors on constate que par le jeu de subventions et d’exonérations de taxes les prix allemands pour les industriels sont tout à fait compétitifs par rapport à la France avec un écart de seulement 10% ! (voir l'étude UFE).

  • La quantité

Tous les pays, voir toutes les régions au sein d’un même pays, ne sont pas à égalité. Premièrement, la zone climatique est un élément déterminant pour le niveau de consommation. C’est pourquoi il est juste de comparer la France à la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Belgique plutôt que les pays du sud de l’Europe.

Deuxièmement, le fait de se chauffer à l’électricité, au gaz ou au fuel change fondamentalement la donne. Or, tous les pays n’ont pas fait le même choix que la France en concentrant notre politique énergétique sur l’électricité nucléaire et par voie de conséquence sur le chauffage électrique. A tel point que la France représente aujourd’hui près de 50% de la thermosensibilité en Europe (i.e. pour 1°C de moins en hiver, la consommation augmente en Europe de 5 000 MW dont 2 300 MW pour la France).

Enfin la performance énergétique de l’habitat est également un critère explicatif déterminant. Or, nous disposons d’un parc construit essentiellement avant les réglementations thermiques de 1974… Et de plus la surface des logements d’un pays, d’une ville à une autre est très différente selon le prix local du foncier.

  • Les taxes

Hors TVA, l’énergie est une commodité propice aux taxes partout en Europe. Ainsi en France, le consommateur s’acquitte de la CSPE, une contribution qui finance les subventions pour les EnR (57%), la péréquation tarifaire (le prix est le même pour tout le monde y compris dans les DOM), et les tarifs sociaux (3%). Et cette contribution a explosée depuis 2010 en grande partie à cause du photovoltaïque.

 (Source CRE)


En Angleterre, de nombreuses contraintes pèsent également sur les électriciens qui en répercutent ensuite les coûts sur le prix des consommateurs. Ainsi, ils ont une obligation de faire réaliser des travaux d’isolation par leur client ou encore de dépenser un certain montant en vue de venir en aide aux ménages précaires (mesure qui remplace nos tarifs sociaux).

En Allemagne, les consommateurs doivent s’acquitter d’une taxe en faveur du développement des énergies renouvelables l’EEG (Erneuerbare Energien Geset) que les industriels ne paient que partiellement au détriment des ménages qui financent le manque à gagner.

Bref, il est très difficile, voire trompeur, de comparer le montant que chaque ménage européen paie pour sa facture d’énergie.

Au travers de cette analyse, on se rend surtout compte que le prix / le montant de la facture pour les ménages est un révélateur de la stratégie politique d’un pays en matière industrielle et de choix sociétaux… mais aussi un révélateur de l’acceptabilité de cette politique au regard du pouvoir d’achat et de la proportion de l’énergie dans ce pouvoir d’achat.

Jacques Percebois : Le prix de l’électricité est nettement plus élevé pour un client domestique au Danemark (29,97 centimes d’euro),  en Allemagne (25,95 centimes d’euro), en Belgique (23,27), en Italie (21,86), en Espagne (18,22) et même en Angleterre (16,82). Mais les raisons ne sont pas les mêmes partout. Au Danemark par exemple le niveau élevé s’explique pour partie par un poids important des taxes, en Allemagne cela tient en grande partie au coût des renouvelables (l’équivalent de la CSPE représente 30% du prix TTC contre 10% en France). Dans certains pays de l’est de l’Union européenne, le prix réglementé peut être plus bas mais il ne reflète pas alors les vrais coûts. Mais il est très important de ne pas confondre prix de l’électricité et facture d’électricité. La facture c’est un prix du kWh multiplié par une quantité de kWh consommés, pour le chauffage par exemple. La facture d’électricité d’un Allemand n’est pas sensiblement plus élevée que celle d’un Français car une grande partie du chauffage se fait au gaz et non à l’électricité et de plus l’isolation des bâtiments est souvent meilleure en Allemagne qu’en France. Pour réduire sa facture il faut donc améliorer l’efficacité dans les usages et plus le prix du kWh  monte, plus l’incitation à l’efficacité s’accroît. La facture d’un ménage italien peut être plus faible car cela dépend du climat, plus clément en Italie du sud qu’au nord de la France. La facture énergétique (électricité, gaz, produits pétroliers) ne doit pas non plus être confondue avec la facture d’électricité  Le gaz est en moyenne moins cher que l’électricité pour certains usages. Le choix du combustible, l’isolation des bâtiments, l’efficacité des appareils utilisateurs sont des facteurs explicatifs importants dans les divergences observées au niveau des factures.

Dans la plupart des pays de l’Union européenne il existe des tarifs sociaux (c’est d’ailleurs l’Angleterre qui a donné l’exemple)  pour les consommateurs en situation de "précarité énergétique". Pour les industriels, la France est également bien placée, comme le rappelle une récente étude de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Ainsi en 2011 le prix moyen de l’électricité pour les industriels étaient, selon cette étude, de 3243 dollars par tonne équivalent pétrole (tep) en Italie, contre 1828 en Allemagne, 1481 en Angleterre, 1413 en France et 1212 en Suède. 

Henri Proglio a-t-il raison de dire que la France gardera l'électricité la moins chère d'Europe ? A quoi tient vraiment la compétitivité des tarifs français ? Et qu'en est-il si on inclut le coût des infrastructures publiques pour le contribuable ?

Stéphane MeunierAlors quelle est la stratégie de la France en matière de prix de l’électricité ? Le débat sur la transition énergétique nous apporte peu de réponse…

Malgré la fermeture annoncée de Fessenheim, on peut néanmoins parier sur le fait que le mix énergétique restera encore très centré sur le nucléaire dans les 10 – 20 ans à venir avec le prolongement la durée de vie des centrales nucléaires, déjà bien amortie, mais dont les coûts de maintenance s’accroissent avec leur âge et aussi avec les nouvelles exigences de sécurité post-Fukushima. Les coûts de production devraient donc rester très compétitifs, mais ils continueront sans nulle doute d’augmenter.

Coté réseau d’acheminement, des nombreux investissements de modernisation sont nécessaires (enfouissement, smart grid…), mais la situation de la France n’est pas différente des autres pays dans le monde.

Néanmoins, si on prend l’exemple de l’Allemagne, nos voisins germaniques devront très probablement payer une note beaucoup plus salée que nous pour adapter leur réseau de transport et de distribution à l’éloignement et à l’intermittence des moyens de production renouvelables du fait de leur très ambitieux plan d’atteindre 80% d’EnR dans le mix énergétique à horizon 2050). Sans compter qu’il est nécessaire de disposer en back-up de centrales thermiques (gaz ou charbon) qui sont plus coûteuses que le nucléaire.

Jacques Percebois : Certains pays bénéficient d’un prix de l’électricité plus bas qu’en France : c’est le cas en Suède ou en Norvège où une grande partie de l’électricité est d’origine hydraulique. Les barrages ont souvent amortis et ainsi les coûts de fonctionnement  sont faibles. Notons que le bas prix de l’électricité en France est également dû pour partie  au fait que 10 à 12% de notre électricité est d’origine hydraulique (et à 75% d’origine nucléaire). Le cas limite est bien sûr celui du Canada et notamment du Québec qui a la chance de bénéficier d’un potentiel  hydraulique considérable. A noter qu’en principe dans les pays de l’OCDE les prix doivent refléter les coûts et ils sont à la charge du consommateur et non pas du contribuable, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays du monde où l’énergie est souvent subventionnée (c’est alors le contribuable qui paie). Cela n’exclut pas certaines exceptions : le contribuable peut par exemple financer des dépenses de recherche-développement ou supporter certaines "externalités" (en cas d’accident par exemple, surtout si les assurances ne sont pas en mesure de financer tous les coûts liés à un sinistre).

Existe-t-il des pays européens où les tarifs sont plus avantageux qu'en France ? Lesquels et pourquoi ?

Jacques Percebois : Régulièrement la Commission européenne demande que l’on mette fin aux tarifs réglementés de vente et que les prix soient fixés par le seul marché. En France les TRV seront abolis pour les professionnels qui ont souscrit une capacité supérieure à 36kVA mais ils resteront la norme pour les ménages et les petits professionnels (PME). C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux pays de l’UE encore aujourd’hui. En revanche elle rappelle l’obligation de lier les prix et les coûts. Quand on investit les coûts augmentent donc les prix doivent suivre.

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