La douloureuse
Hausse des tarifs de l’électricité : à combien s’élèverait votre facture si vous étiez Allemand, Britannique, Espagnol ou Italien ?
La facture énergétique des ménages va continuer de grimper avec l'augmentation de 5% des tarifs réglementés de l'électricité ce jeudi 1er août.
Atlantico : Les ministères de l'Economie et de l'Ecologie ont publié ce mercredi 31 juillet la nouvelle grille détaillant les tarifs réglementés de l'électricité, hors taxe. La facture d'électricité va grimper de 5% en moyenne à partir de ce jeudi 1er août. Alors que la facture énergétique des ménages a déjà augmenté en moyenne de 200 euros en 2012, cette nouvelle hausse est la plus forte depuis dix ans. Comment l'expliquez vous ?
Stéphane Meunier : D’abord, il faut arrêter avec cette idée que l’ouverture du marché est responsable de ces augmentations de prix comme on le lit trop souvent. Sur le marché des ménages, mais également sur le marché des entreprises jusqu’en 2015 (date inscrite dans la loi NOME pour la fin des Tarifs Réglementés de Vente) l’ouverture du marché n’est pas une réalité.
En effet la fixation du prix de l’électricité reste un outil éminemment politique. En gardant la main sur ce sujet, les gouvernements se dotent ainsi d’un levier pour agir sur le pouvoir d’achat et d’un instrument de communication sensible pour l’opinion publique.
Or, pendant près de deux décennies entre 1990 et 2009, les gouvernements successifs français ont fait évoluer les prix trop faiblement, à tel point qu’en euros constants ils ont baissé.
(source : observatoire de l’industrie électrique)
L’objectif a sans doute été dans un premier temps de faire profiter les ménages du prix très compétitif du kWh sortant de nos centrales nucléaires, mais ensuite c’est probablement par manque de courage politique que les prix ont fini par ne plus refléter la réalité des coûts malgré les alertes des Présidents successifs d’EDF et de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Ainsi, la CRE a relevé un manque à gagner de 1,47 milliards d’euros pour EDF en 2012. Si ce rattrapage avait été effectué intégralement cette année, il aurait entraîné une hausse supplémentaire des tarifs de 7,6 %.
Néanmoins aujourd’hui la situation n’est plus tenable car toute entreprise, même publique, a besoin de dégager des marges pour préparer l’avenir. Or, le signal prix pour investir dans le renouvellement de nos centrales de production ou dans la transition énergétique a disparu. La situation est telle qu’un GDF SUEZ a annoncé en debut d’année l’arrêt de trois centrales à gaz alors qu’en même temps on importe de l’électricité produite en Allemagne à base de charbon. Cherchez l’erreur !
Enfin, si les ménages ne paient pas le prix l’électricité à son juste prix comment peut ont espérer leur donner un signal pour adopter des comportements vertueux pour réduire leur consommation ?
Dans une interview accordée au Monde, Henri Proglio, PDG d'EDF, affirme que, ailleurs en Europe, les hausses seront bien supérieures : "L'Allemagne a déjà relevé ses tarifs de 12% au 1er janvier, et il y aura d'autres hausses. Le mouvement sera le même en Grande-Bretagne" (lire ici). Quel est le montant moyen de la facture d'électricité dans les pays européens voisins de la France : Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Italie ? Comment se justifie-t-elle et comment se répartit-elle ? Y existe-t-il des tarifs sociaux ?
Stéphane Meunier :D’abord avant de comparer les situations chez nos voisins européens, il est bon de préciser de quoi on parle. Si on s’intéresse au pouvoir d’achat des ménages on regardera la facture d’électricité et pas uniquement le prix. Or, une facture d’électricité a trois composantes : le prix, la quantité de kWh consommée et les taxes.
- Le prix
Le prix reflète avant tout l’efficience économique d’un mix-énergétique, mais il peut également masquer des financements croisés. Ainsi il serait naïf de regarder le seul prix de l’électricité en Allemagne pour les particuliers sans se pencher sur une comparaison des prix pour les industriels. L’écart entre la France et l’Allemagne est du simple au double pour les ménages 0,15 contre 0,27, mais si on regarde le prix pour les entreprises alors on constate que par le jeu de subventions et d’exonérations de taxes les prix allemands pour les industriels sont tout à fait compétitifs par rapport à la France avec un écart de seulement 10% ! (voir l'étude UFE).
- La quantité
Tous les pays, voir toutes les régions au sein d’un même pays, ne sont pas à égalité. Premièrement, la zone climatique est un élément déterminant pour le niveau de consommation. C’est pourquoi il est juste de comparer la France à la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Belgique plutôt que les pays du sud de l’Europe.
Deuxièmement, le fait de se chauffer à l’électricité, au gaz ou au fuel change fondamentalement la donne. Or, tous les pays n’ont pas fait le même choix que la France en concentrant notre politique énergétique sur l’électricité nucléaire et par voie de conséquence sur le chauffage électrique. A tel point que la France représente aujourd’hui près de 50% de la thermosensibilité en Europe (i.e. pour 1°C de moins en hiver, la consommation augmente en Europe de 5 000 MW dont 2 300 MW pour la France).
Enfin la performance énergétique de l’habitat est également un critère explicatif déterminant. Or, nous disposons d’un parc construit essentiellement avant les réglementations thermiques de 1974… Et de plus la surface des logements d’un pays, d’une ville à une autre est très différente selon le prix local du foncier.
- Les taxes
Hors TVA, l’énergie est une commodité propice aux taxes partout en Europe. Ainsi en France, le consommateur s’acquitte de la CSPE, une contribution qui finance les subventions pour les EnR (57%), la péréquation tarifaire (le prix est le même pour tout le monde y compris dans les DOM), et les tarifs sociaux (3%). Et cette contribution a explosée depuis 2010 en grande partie à cause du photovoltaïque.
En Angleterre, de nombreuses contraintes pèsent également sur les électriciens qui en répercutent ensuite les coûts sur le prix des consommateurs. Ainsi, ils ont une obligation de faire réaliser des travaux d’isolation par leur client ou encore de dépenser un certain montant en vue de venir en aide aux ménages précaires (mesure qui remplace nos tarifs sociaux).
En Allemagne, les consommateurs doivent s’acquitter d’une taxe en faveur du développement des énergies renouvelables l’EEG (Erneuerbare Energien Geset) que les industriels ne paient que partiellement au détriment des ménages qui financent le manque à gagner.
Bref, il est très difficile, voire trompeur, de comparer le montant que chaque ménage européen paie pour sa facture d’énergie.
Au travers de cette analyse, on se rend surtout compte que le prix / le montant de la facture pour les ménages est un révélateur de la stratégie politique d’un pays en matière industrielle et de choix sociétaux… mais aussi un révélateur de l’acceptabilité de cette politique au regard du pouvoir d’achat et de la proportion de l’énergie dans ce pouvoir d’achat.
Henri Proglio a-t-il raison de dire que la France gardera l'électricité la moins chère d'Europe ? A quoi tient vraiment la compétitivité des tarifs français ? Et qu'en est-il si on inclut le coût des infrastructures publiques pour le contribuable ?
Stéphane Meunier : Alors quelle est la stratégie de la France en matière de prix de l’électricité ? Le débat sur la transition énergétique nous apporte peu de réponse…
Malgré la fermeture annoncée de Fessenheim, on peut néanmoins parier sur le fait que le mix énergétique restera encore très centré sur le nucléaire dans les 10 – 20 ans à venir avec le prolongement la durée de vie des centrales nucléaires, déjà bien amortie, mais dont les coûts de maintenance s’accroissent avec leur âge et aussi avec les nouvelles exigences de sécurité post-Fukushima. Les coûts de production devraient donc rester très compétitifs, mais ils continueront sans nulle doute d’augmenter.
Coté réseau d’acheminement, des nombreux investissements de modernisation sont nécessaires (enfouissement, smart grid…), mais la situation de la France n’est pas différente des autres pays dans le monde.
Néanmoins, si on prend l’exemple de l’Allemagne, nos voisins germaniques devront très probablement payer une note beaucoup plus salée que nous pour adapter leur réseau de transport et de distribution à l’éloignement et à l’intermittence des moyens de production renouvelables du fait de leur très ambitieux plan d’atteindre 80% d’EnR dans le mix énergétique à horizon 2050). Sans compter qu’il est nécessaire de disposer en back-up de centrales thermiques (gaz ou charbon) qui sont plus coûteuses que le nucléaire.
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