Inceste : comment briser les chaînes du système ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"La victime passe souvent par la terreur de se croire en train de perdre la raison."
"La victime passe souvent par la terreur de se croire en train de perdre la raison."
©Reuters

Bonnes feuilles

L'inceste évoque le sexe, mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg, car cette agression est avant tout une organisation psychique particulière, sans laquelle le passage à l'acte serait impossible. Extrait de "Inceste, la réalité volée" (2/2).

Carole  Labédan

Carole Labédan

Carole Labédan est analyste transgénérationnelle, conférencière et enseignante. Le travail qu'elle mène depuis vingt ans est fondé sur la croisée de l'inconscient familial avec le désir de l'individu.

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La perversion incestueuse se prétend la loi commune, fondée sur la jouissance, l’exploitation délibérée du fragile par le brutal. Le mensonge parodie la parole, la parenté détourne l’alliance, l’absurde devient la raison du plus fort. Dans ces conditions, à proprement parler désespérantes, la victime qui se refuse à aligner sa conscience sur le code en vigueur souffre beaucoup avant de pouvoir authentifier ce qu’elle perçoit.

Elle passe souvent par la terreur de se croire en train de perdre la raison, puisque le consensus établi autour d’elle paraît accréditer les instruments qui la torturent. L’inceste est de ce point de vue le mode de torture le plus actif qui soit pour la psyché humaine, puisqu’il fait de celui ou celle qui devrait protéger l’enfant son bourreau privilégié, et cela en toute impunité le plus souvent. Être abusé précisément par le parent dont l’enfant espère amour et protection, c’est être pris dans une inversion diabolique. Le père est, dans le meilleur des cas, celui qui s’oppose aux forces troubles à l’oeuvre dans l’héritage psychique des lignées. Lorsqu’il le fait, c’est en se conformant aux lois de l’éthique, en choisissant l’élaboration (symbolisation), la distance et la patience qui caractérisent la bienveillance. Faute de ce choix, il devient activement (dans le passage à l’acte incestueux) ou passivement (en laissant le mensonge ambiant s’imposer comme une loi absolue) l’outil de la perversion.

Moins le père se positionne en tant qu’humain, plus l’enfant en quête d’humanisation redoute d’être fou ou de le devenir en sortant du territoire délimité par son père. La sensation d’être défini par un moi groupal, c’est-à-dire d’avoir une identité fragmentée, dépendante des relations de bénéfices et d’intérêts du groupe, prend alors une importance accrue. Dans les états proches de la psychose, la sensation de fragmentation est très présente : la personne se sent possédée, sans conscience d’un point focal qui permettrait une convergence, un rassemblement du ressenti, un point de vue de sujet. C’est souvent au moment où le désir sexuel s’éveille et cherche un contact avec un autre être humain que les épisodes psychotiques se révèlent : dans ce passage de la vie où la force de la pulsion est énorme, si la possibilité de canaliser cette puissance n’est pas inscrite en l’être, il est très difficile de rester rassemblé, présent à soi-même et à l’autre. En cela le père est véritablement un exorciste, lorsqu’il accomplit ce travail de contenir et d’orienter cette énergie, dont il est le représentant le plus emblématique dans la famille.

La fin du conte de Peau d’âne le résume bien : au mariage de sa fille, « nul prince, nul potentat, ne parut avec tant d’éclat que le père de l’épousée, qui d’elle autrefois amoureux avait avec le temps purifié les feux dont son âme était embrasée. Il en avait banni tout désir criminel et de cette odieuse flamme le peu qui restait dans son âme n’en rendait que plus vif son amour paternel ». L’enfant n’est pas devenue folle, et le père a accepté de reconnaître sa propre folie : dénouement le plus heureux qui puisse advenir dans le contexte incestueux.

Conscience de soi et réalité

Sortir de l’ombre portée par l’inceste et tout système incestuel demande de se faire confiance, d’écouter ce qui est ressenti dans sa propre intimité et d’en faire le socle de sa pensée, sans se couper en deux, en divisant le mental d’un côté et le corps physique de l’autre. Cette cohérence avec soi-même est possible, elle est nécessaire, même si elle est d’abord inconfortable. Plus chacun de nous est présent à ses sensations, plus il perçoit finement la réalité qui l’entoure, plus ce qui d’ordinaire passe inaperçu lui saute aux yeux. Si nous choisissons souvent, comme OEdipe, l’aveuglement, c’est que la réalité observable n’est pas souvent jolie, et que le système incestuel dont nous avons évoqué les armes règne en bien des lieux. Les mensonges, les convergences fondées sur l’intérêt et la jouissance, l’avidité, le déni de l’âme, le goût du pouvoir, ne sont pas rares…

Les êtres sensibles se sentent défaillir lorsque leurs yeux se dessillent, et pourtant la plupart choisissent de poursuivre leur évolution de conscience, quoi qu’il en coûte. Là encore, l’accompagnement thérapeutique vient souvent relayer ce qui n’a pas pu se jouer avec le père : confirmation que le monde que l’on rencontre n’est pas idéal, et capacité à trouver en soi le courage et la détermination pour y faire face, sans renier la dimension de l’âme, comme le père peut en donner l’exemple. L’extraordinaire puissance du père sur le plan symbolique n’est pas de tenir la mort à distance et de la refouler, mais au contraire de l’accepter et de lui donner du sens, comme un passage où chacun est mis à l’épreuve de ce qu’il a vécu et laissé en héritage derrière lui. Le père n’est pas un magicien dont la toute-puissance aplanirait tous les obstacles (le thérapeute n’est pas non plus celui ou celle par qui chacun pourrait obtenir satisfaction), mais un humain intègre, honorant les humains vivants ou morts, selon les lois de l’éthique.

Extrait de "Inceste, la réalité volée", Carole Labédan, (Bréal édition) 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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