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Les raisons d’un grand écart : pendant que les pays européens les plus riches continuent de s’enrichir, les plus pauvres continuent de s’appauvrir
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Creuser sa tombe

Le dernier classement de la Banque mondiale des pays les plus riches, en fonction de leur PIB par habitant, sacre la Norvège championne du monde. Ce classement met surtout en évidence le creusement de l'écart entre les pays du nord et les pays du sud de l'Europe.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico La Banque mondiale a classé la Norvège comme étant le pays le plus riche du monde en fonction du PIB par habitant. Puis vient la Suisse (3e), le Danemark (6e), la Suède (7e). L'Allemagne et la France sont respectivement 14 et 15e. Les pays du sud de l'Europe eux s'enfoncent et voient leurs PIB par habitant baisser. Comment expliquer que les pays riches continuent de s'enrichir et que les pays plus pauvres continuent de s'appauvrir au sein de la zone Euro ?

Philippe Crevel : Le classement de la Banque mondiale sur les pays les plus riches fait la part belle aux petits Etats en ce qui concerne la population comme la Norvège, le Qatar, la Suisse, l’Australie, le Danemark, la Suède ou Singapour. Parmi les 10 premiers, 9 appartiennent à cette catégorie, la 10ème place étant occupée par les Etats-Unis. Pour être en tête de peloton, il vaut également mieux être bien doté en énergie ou en matières premières. C’est le cas de la Norvège mais aussi du Qatar, de Koweït et de l’Australie. Etre une  place financière comme la Suisse permet également d’être bien placé. La Suisse occupe ainsi la troisième position ou Singapour. Les mieux classés ont également comme caractéristique de bénéficier d’un fort consensus social et politique. C’est le cas des pays d’Europe du Nord qui de plus ont misé sur les hautes technologies. Ce classement souligne l’impact de la forte augmentation des cours des matières premières et de l’énergie ces dernières années.

Le classement de la Banque mondiale permet, par ailleurs, de mesurer le recul voire le déclin de certains Etats d’Europe du Sud. Le PIB par habitant du Portugal passe de 23.716$ en 2008 à 20.182$ en 2012. Celui de Grèce est passé de 30.399$ en 2008 à 22.083$ en 2012. La France est également à la peine avec un PIB par habitant en baisse et une peu honorable 15ème place.

Les plans d’assainissement des finances publiques ont abouti à des contractions du PIB. La montée forte du chômage, en Grèce ou en Espagne, réduit le montant des revenus entraînant par définition un recul du PIB par habitant. En France, ce phénomène est accentué par l’augmentation de la population, environ 200 000 par an. La France a besoin de plus de croissance que ses voisins pour maintenir le PIB par habitant. A contrario, l’Allemagne qui connaît une diminution de sa population depuis plusieurs années, est dans la situation inverse.

Il n’en demeure pas moins qu’au sein de la zone euro, le Nord et le Sud divergent de plus en plus. D’un côté, les pays industriels ayant réussi à maîtriser leurs coûts et leur dette publique, et de l’autre le Sud en proie à une désindustrialisation rapide.  

Plus finement, quand on regarde les situations de ces pays, notamment en répartition de la richesse parmi la population, que constate-t-on ? La richesse des pays en termes de PIB par habitant va-t-elle forcément de paire avec la richesse de la population ?

Tout indicateur est arbitraire. Le PIB par habitant en prenant en compte la parité du pouvoir d’achat comporte, à ce titre, des défauts. Il n’en demeure pas moins qu’il permet d’effectuer assez facilement des comparaisons entre les pays. Certes, cet indicateur est incomplet pour mesurer la force d’une économie ou l’influence d’un pays. Les Etats-Unis, première puissance mondiale, n’arrive qu’en 10ème position selon le classement de la Banque Mondiale. La Chine, seconde puissance économique arrive bien plus loin. Ces deux Etats qui ont respectivement 314 millions et 1,344 milliard d’habitants sont deux grandes puissances démographiques comme l’est également l’Inde. Les Etats-Unis concourent à la sécurité collective de l’Europe via l’OTAN par exemple et contrôle plus ou moins Internet. La Chine produit, de son côté, plus de la moitié des biens industriels. Il faut noter que les Etats bien classés le doivent également par une forte homogénéité sociale aidée en cela par la petite taille de leur population.Un grand État est sujet aux inégalités.

La richesse de la population peut également se mesurer en fonction du patrimoine détenu. Le classement obtenu diffère alors de celui du PIB par habitant. Une récente étude de la BCE a révélé que l’Allemagne figurait en fin de classement avec un patrimoine médian de 51 400 euros contre 267 000 euros pour les Chypriotes.

L’Espagne, l’Italie et la France, mal classées en matière de PIB par habitant, figurent en tête pour la richesse. Le patrimoine moyen français est de 233 000 euros, celui des Espagnols de 291 000 euros (en 2008 avant la chute de l’immobilier). Le patrimoine moyen à Chypre est de 671 000 euros et celui de l’Italie de 275 000 euros. Ce décalage est lié à la valorisation de l’immobilier. Avec le PIB par habitant, nous mesurons un flux essentiellement économique quand le patrimoine représente un stock issu d’une richesse passée.

La situation contrastée des pays européen vis à vis de l'euro a-t-elle jouée un rôle ?

L’euro a permis durant ses huit premières années de rapprocher les niveaux de développement des pays membres avec une croissance soutenue en Europe du Sud. Mais, l’absence de mécanisme de régulation et de compensation des déficits conduit à des ajustements brutaux. Étant donné que l’arme de la dévaluation qui permet d’appauvrir un pays de manière indolore n’existe pas, il faut en passer par une réduction directe du PIB et donc à un appauvrissement réel de la population. In fine, le résultat est le même. Sans l’euro, il est fort probable que les pays les plus fragiles auraient connu d’importantes tensions en 2009 comme en 2012.

Cette tendance à l'enrichissement des pays riches et à l'appauvrissement des pays pauvres va-t-elle perdurer en Europe ? Pourquoi ?

L’affaiblissement de certains Etats d’Europe est intimement lié à la crise que nous vivons depuis 2009. Il faut, de ce fait, espérer que la zone euro puisse sortir rapidement de la récession. Des pays comme l’Espagne ou le Portugal semblent avoir accompli une grande partie du travail d’assainissement même si la situation des banques espagnoles peut encore être jugée inquiétante.

Néanmoins, au-delà de la situation conjoncturelle, l’Europe souffre de ses dysfonctionnements. L’Union européenne n’est pas un État fédéral doté d’outils permettant de corriger des inégalités. En Allemagne comme aux Etats-Unis, il existe des fonds fédéraux ou des systèmes de péréquation fiscale qui évitent une divergence trop forte des différents Etats. En outre, l’absence de barrière linguistique facilite la mobilité de la population. Au sein de la zone euro, la solution à la crise des dettes passe par une restauration de la compétitivité et conduit donc à des diminutions de salaire et à une réduction des dépenses publiques. Il faut souligner que la Grèce comme l’Espagne avaient enregistré de forts taux de croissance durant la première partie des années 2000 du fait d’un recours massif à l’endettement rendu possible par des taux d’intérêt très bas. La création de bulle d’endettement associée à une inflation plus forte que dans le cœur de la zone euro a abouti à une nette détérioration de compétitivité des Etats d’Europe du Sud. La cure d’austérité vise à remettre les compteurs à zéro au prix d’un appauvrissement relatif. Pour éviter que ces Etats n’entrent pas dans un cycle dépressif incontrôlable que les investissements redémarrent afin de tirer profit des gains de compétitivité obtenus.

Comment améliorer globalement la situation ?

L’Europe, par absence de consensus et de volonté politique, a privilégié une méthode comptable pour régler la crise des dettes publiques laissant à chaque État le soin de mener les réformes structurelles. L’Europe est avant tout une zone de régulation dotée d’une monnaie unique. Il faudrait franchir une nouvelle étape en réalisant un grand pas vers le fédéralisme avec à la fois l’instauration de moyens de transferts financiers pour juguler des crises asymétriques qui frappent un ou plusieurs Etats de la zone. Il pourrait être imaginé que l’indemnisation du chômage revienne à l’échelon européen qui aurait évidemment, en contrepartie, un fort droit de regard sur l’organisation du marché du travail. Il faut, en effet, comme dans un État prévoir des mécanismes d’apurement des dettes.

En France, nul ne regarde les régions déficitaires et celles qui sont excédentaires. Or, en Europe, la monnaie unique n’a pas abouti à des mécanismes de péréquation et de compensation. Le système actuel, par sa structure même, est un moteur à inégalités croissantes, du fait de l’absence de force de rappel. Les pays à excédents commerciaux disposent d’entreprises ayant des taux de marge élevés leur permettant d’investir et d’améliorer leur compétitivité. L’investissement constitue une des priorités que l’Europe et les Etats membres devraient avoir afin d’éviter la spirale du déclin que les Etats du sud connaissent. Il faut non pas jouer sur la demande qui ne favorise que les pays exportateurs mais créer un choc d’offre. 

Propos recueillis par Manon Hombourger

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