Les vols dans les grandes surfaces explosent mais la crise est loin d’en être la seule explication<!-- --> | Atlantico.fr
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Les vols dans les rayons de supermarchés représentent pas loin de cinq millions d'euros de pertes pour le secteur de la distribution.
Les vols dans les rayons de supermarchés représentent pas loin de cinq millions d'euros de pertes pour le secteur de la distribution.
©Reuters

Dans la poche !

Des antivols sur la viande dans les supermarchés ou encore une vache dépecée en plein champ pourraient laisser penser que les Français rencontrent des difficultés à se nourrir. Mais la réalité est plus complexe...

Christophe Soullez et Jean-Pierre Corbeau

Christophe Soullez et Jean-Pierre Corbeau

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012 . 

Jean-Pierre Corbeau est Professeur de Sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours où il est responsable de la licence professionnelle de « Commercialisation des vins ».
 

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Atlantico : Selon le baromètre mondial du vol dans le commerce et la distribution (GRTB) de Checkpoint system, les vols dans les rayons des magasins auraient coûté en 2011 près de 4,9 milliards d’euros aux distributeurs français. Ce chiffre représenterait une augmentation de 2,9% par rapport à l’année précédente. Que penser de ces données ? Cette tendance est-elle toujours d’actualité ?

Christophe Soullez : Les données fournies par des organismes dont l’activité principale est de vendre des dispositifs de protection contre les infractions dont on annonce la hausse sont toujours à prendre avec précaution. Pour de telles entreprises, et parce qu’elles ont besoin de vendre leurs produits, elles ont plutôt intérêt à dire que le phénomène est en hausse afin que les commerces s’équipent de plus en plus.

D’une part, on sait que les vols à l’étalage sont des infractions qu’il est assez difficile de quantifier car les politiques de dépôt de plainte des différentes enseignes commerciales ne sont pas les mêmes. Dans certains cas, pour des produits à faible valeur ajoutée, il n’y aura pas de dépôt de plainte. Il peut aussi arriver que si une personne est interpellée en flagrant délit de vol, les responsables du magasin décident de ne pas déposer plainte dès lors que la personne a rendu le produit et ne s’est pas mal comportée.

D’autre part, et bien que le sujet soit tabou, de nombreux vols ont pour auteur des employés. C’est qui est appelé la démarque inconnue. Il y a très peu d’informations sur ce phénomène et il est pourtant bien réel.

Si on regarde les statistiques administratives, c’est-à-dire les vols à l’étalage enregistrés par les services de police et les unités de gendarmerie et qui ont donc fait l’objet d’une plainte, on observe, au contraire, une baisse des procédures de 4,5 % (67 529 faits en 2011 contre 70 764 en 2010). Sur la période 1996-2012, le nombre de faits constatés oscille entre 50 000 et 70 000.

Bien que la grande distribution refuse de communiquer sur la question, certains éléments, comme l’apparition d'antivols sur la viande ou la mise sous clefs de certains produits alimentaires, soulèvent des questions. La nourriture est-elle en première ligne ? 

Christophe Soullez : Actuellement, il est quasi impossible de disposer d’informations précises sur la nature des biens volés. Toutefois, dans un contexte de crise économique, d’aggravation du chômage et de précarité, et dans la mesure où certains produits alimentaires ont un coût élevé, il n’est pas illogique de penser que le secteur de l’alimentation soit devenu la cible de certains voleurs, qu’ils soient externes ou internes à l’entreprise.

Jean-Pierre Corbeau : Il y a en effet des endroits où l’on constate ce phénomène. Le plus surprenant néanmoins est que les délinquants ne sont pas forcément les plus nécessiteux. Il est important de ne pas faire cette erreur d’analyse. En effet, au sein des couches populaires, la nourriture n’est pas prioritaire parmi les postes de dépenses. Elle est reléguée au profit de choses qui peuvent paraître plus superflues.

Les populations qui se livrent à ce genre d’actes sont dans des "logiques de marque", particulièrement pour les produits à destination des enfants. Les parents se disent que leurs enfants ont droit aux mêmes marques que leurs camarades d’école. Cela concerne les sucreries hors-repas, en raison de la logique marketing, ou encore la viande, marqueur social.

Enfin, il existe des logiques que je qualifierais d'"apéros" ou de "goûters" dans les magasins. Ainsi, je ne dirais pas que le pourcentage de gens  précaires pratiquant le vol augmente mais comme le pourcentage de Français précaires augmente, les actes délictuels de ce genre augmentent mécaniquement.

Cependant, l’abattage clandestin et les réseaux parallèles de revente de viande sont davantage à craindre que les vols à l’étalage.

Les vols dans les supermarchés seraient donc plutôt motivés par une logique de "bonus" plutôt que de nécessité...

Christophe Soullez : Je pense que les deux hypothèses sont envisageables et se rejoignent d’ailleurs. Si de plus en plus de familles ou d’individus ont des difficultés à se nourrir correctement, notamment avec des produits coûteux mais nécessaires à l’équilibre alimentaire, il n’est pas illogique que le phénomène des vols alimentaires augmente. Toutefois, comme je l’indiquais, les informations dont nous disposons sont assez peu précises pour pouvoir répondre avec certitude.

Jean-Pierre Corbeau : La première chose est que le budget alimentaire est actuellement devenu le budget d’ajustement du foyer. Le coût de la téléphonie, de l’Internet et globalement de l’accès aux médias et aux produits culturels est incompressible, de la même manière que le loyer. Ainsi, c’est le budget alimentaire qui est touché. Au-delà des véritables vols de nécessité, on trouve des gens, souvent pas les plus pauvres, qui décident sciemment de réduire leur budget alimentaire puis qui se livrent à des vols de "bonus".

L’énergie aussi est souvent ajustée mais cela est également directement lié à la consommation alimentaire puisque bien souvent ce sont les frigos et les congélateurs qui sont coupés. Or, cela conduit les foyers à consommer des produits frais qui sont plus chers ou au contraire à ne se nourrir que de produits de longue conservation dont la consommation excessive n’est pas très bonne pour la santé. Ainsi, en cas de précarité, l’alimentation n’est plus considérée comme prioritaire, il s’agit d’une logique d’organisation consciente. Dans les couches moyennes en phase de paupérisation, les priorités se situent au niveau de la téléphonie et accès à internet. On retrouve dans les enseignes plus onéreuses comme Monoprix des gens à fort pouvoir d’achat se font prendre à nourrir leurs enfants. Et cela n’a rien à voir avec des questions de niveau social.

La France est, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, le troisième pays le plus touché d’Europe par les vols en grande surface. Comment l’expliquer ?

Jean-Pierre Corbeau : La France est l’un des pays d’Europe dans lequel la grande distribution est la plus développée, ce qui entraîne naturellement une augmentation des vols. En effet, qui dit grande surface, dit peu de personnels pour des espaces commerciaux immenses et donc une plus grande tentation de commettre des actes de délinquance. On constate effectivement que ce genre de rapines se produit moins souvent dans les petites épiceries, particulièrement la consommation sur place.

Bien que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni soient des économies puissantes, ce sont aussi celles qui ont développé une importante inégalité sociale. Ce phénomène renforce l’envie d’accéder aux marques et aux produits de "riches", bien que la notion soit toute relative. Il s’agit d’ailleurs là d’un des plus grands paradoxes de la sociologie moderne que beaucoup de gens essaient de régler par le biais de l’éducation alimentaire : les gens les moins aisés sont ceux qui gaspillent le plus d’argent dans leur manière de s’alimenter. Ils ne consomment pas de manière saisonnière et achète souvent moins de marques de distributeurs que les gens les plus aisés qui ne ressentent pas le besoin d’acheter des marques alimentaires pour ce qu’elles représentent. 

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