La fin du monopole des pharmacies ne changera pas grand-chose aux prix des médicaments<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Autorité de la concurrence vient de publier un document "Comment dynamiser la concurrence dans la distribution du médicament en ville".
L'Autorité de la concurrence vient de publier un document "Comment dynamiser la concurrence dans la distribution du médicament en ville".
©Reuters

Du pareil au même

Dans un document qui vient d'être rendu public, l'Autorité de la concurrence assure que l'ouverture partielle du monopole des pharmacies sur la vente de médicaments "permettrait aux consommateurs de bénéficier de tarifs plus attractifs pour leurs achats […] d’automédication".

Claude Le Pen

Claude Le Pen

Claude Le Pen est un économiste français, professeur à l'université Paris-Dauphine où il dirige le master d’économie de la santé. Il est président du Collège des économistes de la santé.

 
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Atlantico : L'Autorité de la concurrence vient de publier un document "Comment dynamiser la concurrence dans la distribution du médicament en ville". L’ouverture partielle du monopole des pharmacies sur la vente de médicaments "permettrait aux consommateurs de bénéficier de tarifs plus attractifs pour leurs achats […] d’automédication", assure l’Autorité de la concurrence dans une étude sur la distribution du médicament en ville. Partagez-vous ces conclusions ?

Claude Le Pen : Oui et non. Il est vrai qu’en France nous avons une conception très étroite du monopole pharmaceutique. Celui-ci couvre tous les médicaments quels qu’ils soient, avec ou sans ordonnance, remboursables ou non remboursables. Cette situation est devenue minoritaire en Europe. Dans beaucoup de pays les médicaments avec ordonnance sont délivrés par un pharmacien mais pas forcément dans une pharmacie : par exemple  dans un  "rayon médicaments" – placé sous la responsabilité d’un pharmacien – dans un magasin généraliste. Quant aux médicaments sans ordonnances, on peut parfois les trouver partout. Si vous prenez l’Eurostar à la gare de Saint-Pancras à Londres, vous trouverez du paracétamol chez le marchand de journaux, au milieu des magazines, des piles et des paquets de chewing-gum. Il n’y a donc pas de réel obstacle d’ordre médical ou éthique à généraliser ce type de pratique qui existe, je le répète, dans de nombreux pays. Le Conseil de la concurrence reste relativement modéré : il suggère simplement de retirer les médicaments sans ordonnance du monopole officinal tout en maintenant la responsabilité d’un pharmacien qui pourrait alors être employé par une grande surface. Pourquoi pas ? La principale objection n’est pas d’ordre médical ou éthique – pour autant que le contrôle d’un pharmacien soit réellement assuré – mais d’ordre économique. Une telle mesure fragiliserait le réseaux officinal français à un moment où il n’est pas au mieux de sa forme : son chiffre d’affaire et ses marges ont actuellement tendance à baisser et un nombre croissant de pharmacies mettent la clé sous la porte. Le Conseil de la concurrence a tendance à minimiser ce risque en disant que les médicaments sans ordonnance ne représentent que 10% environ du chiffre d’affaire officinal. C’est vrai mais l’impact sur la rentabilité des officines est plus important. Il faut donc être prudent et veiller à ce qu’une telle mesure ne déstabilise pas la pharmacie française. Ce ne serait pas une bonne nouvelle : les Français paieraient peut-être un peu moins cher leurs médicaments sans ordonnance en grande surface, mais qu’y gagneraient-ils s’ils ne pouvaient plus trouver près de chez eux leurs médicaments de prescription, souvent essentiels pour leur santé ?

Quels sont les obstacles actuels au développement de la concurrence dans le secteur des médicaments ?

Mais il y a énormément de concurrence dans le secteur pharmaceutique ! Les firmes pharmaceutiques se font concurrence entre elles par l’intermédiaire de leurs visiteurs médicaux, les génériques font concurrence aux produits originaux, dits "princeps", les médicaments sans ordonnance se font une concurrence entre eux, etc. Il est vrai que ce type de concurrence ne touche pratiquement pas le consommateur. C’est une concurrence auprès des médecins, pour être prescrit, et auprès des pharmaciens, pour être délivré, tout spécialement dans le cas des génériques et des médicaments sans ordonnance. Et d’aucuns trouvent même cette concurrence parfois excessive ! Ajoutons qu’il existe aussi une concurrence – relativement modérée mais bien réelle – entre médecins et entre pharmaciens, grossistes ou détaillants. En revanche les médecins et les pharmaciens disposent d’un monopole vis-à-vis du reste de la société. Un non-médecin n’a pas le droit de "prescrire" un médicament (même si on peut donner son avis, un conseil à titre gracieux) et ce dernier ne peut être vendu qu’en officine. C’est ce dernier point qu’attaque le Conseil de la concurrence. La raison de ce double monopole est évidente : le médicament est produit complexe, à la fois potentiellement bénéfique et potentiellement dangereux, et dont la consommation doit obéir à des règles strict de "bon usage". En ayant autorisé les médicaments sans ordonnance, on a cassé le monopole de prescription des médecins : les patients peuvent "s’auto-prescrire" des médicaments. Faut-il dans la foulée casser également le monopole des pharmaciens ? J’aurais plutôt tendance à penser que non et que le contrôle du pharmacien est d’autant plus important que celui du médecin n’existe plus.

Quel serait, concrètement, l'impact de cette ouverture partielle à la concurrence pour le consommateur ? Serait-elle la même pour tous les types de médicaments ?

Si on appliquait les suggestions du Conseil de la concurrence, les Français devraient trouver dans certains magasins, des grandes surfaces ou des magasins spécialisés type parapharmacie, un "rayon médicament" où seraient dispensés des produits sans ordonnance, à prix libres. Je ne suis d’ailleurs pas du tout certain que cela marche. Il faudra en effet rentabiliser l’aménagement du rayon et justifier l’emploi d’un ou plusieurs pharmaciens à temps plein pour vendre des produits qui ne sont déjà pas très chers et dont on espère faire encore baisser les prix ! Par ailleurs il faut savoir que l’Etat n’est pas du tout prêt à libéraliser le médicament sans ordonnance. Pour des raisons de sécurité il s’efforce de maintenir le plus de produits possibles avec une obligation de prescription. Donc dans le monopole officinal traditionnel. La réussite économique de ces "rayons médicaments" ne pourrait se concevoir qu’avec de très forts débits et donc dans des centres commerciaux ou des zones urbaines denses. Pas sûr qu’à la fin cela démocratise réellement l’accès au médicament !

Comment pourrait-on autrement dynamiser la concurrence au sein du secteur, et surtout rendre les médicaments plus accessibles ?

Mais le médicament est certainement un des biens les plus accessibles en France : ne nous rabâche-t-on pas les oreilles avec le fait que nous sommes les champions du monde de la consommation pharmaceutique ! Ce qui n’est d’ailleurs plus complètement vrai. Il existe 22.500 officines en France, ce qui constitue pratiquement le record d’Europe, et elles couvrent tout le territoire même si "les pharmacies des champs" sont de plus en plus menacées. Pratiquement tous les médicaments existants sont vendus en France, ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays, même développés. Le médicament n’est pas cher et la très grande majorité d’entre eux sont remboursés à 100% par la sécurité sociale et les mutuelles et les Français les payent avec leur chère carte verte Sesam-Vitale. On n’a vraiment pas de problème d’accessibilité au médicament en France – avec ou sans ordonnance ! C’est pourquoi il faut relativiser le constat que fait le Conseil de la Concurrence.  D’ailleurs, sa suggestion qui tendrait à le banaliser à travers la libéralisation du circuit de distribution va plutôt à l’encontre de la politique des pouvoirs publics qui, depuis plusieurs années, vise à responsabiliser les Français et à leur faire prendre conscience que le médicament "n’est pas un produit comme les autres".  De même, il ne me semble pas prendre suffisamment acte de la révolution du médicament par Internet qui se développe dans le monde – y compris aux Etats-Unis – avec de graves risques tenant au manque de contrôle des prescriptions, aux erreurs de livraison, à la perméabilité aux produits de contrefaçon, etc. Raison de plus pour ne pas déstabiliser le réseau officinal qui constitue une protection efficace contre ces risques. Bref, je suis d’accord pour améliorer l’information des consommateurs et la transparence sur les prix. Mais mesurons bien les conséquences de nos décisions, avant de jouer aux apprentis-sorciers.

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