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La problématique du bruit en open space est importante, les salariés ont beaucoup de mal à se concentrer.
La problématique du bruit en open space est importante, les salariés ont beaucoup de mal à se concentrer.
©Reuters

L'enfer, c'est les autres

Outre-Atlantique, des architectes en sont arrivés à la conclusion que l'open space impacterait négativement la productivité. Pourtant, on trouve cette organisation du travail dans plus de 60 % des entreprises en France...

Stéphanie Guemmi

Stéphanie Guemmi

Stéphanie Guemmi est ergonome et psychologue du travail chez Technologia.

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Atlantico : Une récente étude américaine menée par l'agence d'architecture et de design Gensler démontre que l'open space impacte négativement la productivité (lire ici). Que pensez-vous des résultats de cette étude ?

Stéphanie Guemmi : Je partage l'idée, dans le sens où c'est ce que nous constatons aux travers de nos expertises. Il faut aller plus loin dans cette phrase, c'est-à-dire que c'est l'open space tel qu'il est conçu, implanté dans nos entreprises qui pose problème, pas le concept en soi.


Alors que cette organisation est plébiscitée par une large partie des entreprises, 60 % des Français travaillent actuellement en open space, elle ne semble pas réellement favoriser l'efficacité. N'a-t-on pas surestimé les vertus de l'open space ?


L'idée première de l'open space était de promouvoir des espaces de travail pour favoriser les échanges, la communication entre des salariés. Ce concept d'échange a était détourné au bénéfice des m². Ainsi, aujourd'hui l'open space est synonyme d'espace de travail restreint, de promiscuité...


Deux problèmes majeurs se posent actuellement dans le concept d’open space :

  • le premier c’est qu’on implante les postes de travail en dépit du métier exercé. Tous les métiers n’ont pas le même fonctionnement et les mêmes besoins. L’activité même est oubliée. Si un espace projet a besoin d’échanger, de communiquer… un service de ressources humaines, un service juridique n’a pas les mêmes besoins. On ne peut pas mettre tous les métiers en open space.
  • le second c’est que le concept est utilisé pour gagner des m². Or si on mettait la surface nécessaire par poste de travail, on pourrait très bien avoir le bénéfice des échanges entre les salariés, favoriser la communication, tout en leur créant un environnement de travail individuel et suffisant pour que chacun ait son propre espace. Nous avons rencontrés des open space qui donnaient satisfaction aux salariés, mais la surface par poste de travail avoisinait les 20m², or ce que l’on rencontre la majeure partie du temps de sont des surfaces de 5/6 m².


Outre la productivité, quelles sont les autres nuisances de l'open space pour  les salariés ?

Il y a un impact sur la santé et sur le collectif de travail. La problématique du bruit est importante, les salariés ont beaucoup de mal à se concentrer, ils sont régulièrement interrompus dans leurs activités ce qui occasionnent une charge cognitive importante. A cela s'ajoute un bruit de fond continu qui est épuisant. Bon nombre de salariés se disent davantage fatigués dans ce type de configuration.

Le collectif est amoindri, chacun cherchant des espaces physiques et/ou temporel pour arriver à faire son travail, il en arrive le résultat inverse, c'est-à-dire que les personnes s'isolent les uns des autres. Bien entendu, il y a toujours des exemples qui font l'exception comme un groupe projet rassemblé sur un même plateau, mais la tendance est quand même le délitement du collectif.

Entre une difficulté à réaliser son travail, une fatigue lancinante, un collectif amoindri, on a la beaucoup d'ingrédients pour créer des conditions de travail délétères qui vont générer du stress.

Les économies en termes de coût et de gain d'espace compensent-elles les pertes liées à la productivité ?

Difficile à dire par manque d'études réelles et précises sur le sujet, cependant de ce que l'on peut voir, je pense qu'à court terme les économies sont réelles, mais qu'en deux/trois ans la tendance s'inverse. Un certain nombre d'entreprises effectue des travaux d'aménagement dans les deux ou trois ans qui suivent leur aménagement initial pour remettre des cloisons, prendre des surfaces complémentaires, rajouter des pieds au plan de travail pour pouvoir séparer les benchs... A cela il faut ajouter les arrêts maladies et c'est sans compter la baisse de productivité directe.


Créé dans les années 1990, l’open space était présenté comme révolutionnaire. Est-ce le début de la fin de ce mode d'organisation du travail ?

Malheureusement, je pense que l'open space tel qu'il est conçu aujourd'hui a encore quelques belles années devant lui. Dans la situation de la course du prix du m², les entreprises voient en l'application de l'open space une économie non négligeable. Bien que l'open space soit de plus en plus décrié, il faudra encore quelques années avant d'en revenir.

De plus, pour contrecarrer les problématiques énoncées haut et fort, de nombreux spécialistes en aménagement prônent des solutions pour répondre à la problématique du bruit et de la concentration. Aussi, on voit fleurir des micros espaces en accès libre, pour permettre aux salariés de réaliser les réunions, informelles, les échanges téléphoniques… Sauf que l’on constate que ces espaces, souvent très stylisés, sont peu ou pas utilisés par les salariés. Parce que souvent ces espaces sont mal situés (au milieu ou à proximité des open space), sont d’une conception phonique insuffisante, de ce fait la problématique de la gêne du bruit n’est que déplacée. Avec tous ces nouveaux moyens, les entreprises pensent qu’il suffit d’installer ce type d’équipement pour contrebalancer la problématique des open space.


Y a-t-il d'autres tendances en matière d'aménagement de bureau qui pourraient le supplanter ?

Malheureusement, on voit arriver une autre tendance encore plus désastreuse : le "desk sharing" ou "bureau partagé". Le principe est une implantation en open space, avec en complément la disparition du bureau attitré. Il y a quelques années ce concept était utilisé pour certains métiers comme par exemple des commerciaux qui venaient 4/5 jours par mois dans leur entreprise, aussi ils partageaient leurs bureaux avec leurs homologues. C'était une rationalisation de l'occupation de l'espace que l'on peut entendre. Aujourd'hui on commence à voir apparaître dans certaines entreprises, ce principe pour des sédentaires. Les entreprises qui implémentent ce procédé partent du principe qu'entre les jours de RTT, les congés, les arrêts maladies..., le taux d'occupation des locaux au quotidien n'est pas à 100%. Aussi, ils invoquent le partage du poste de travail pour rationaliser les m². Le résultat dans ces entreprises, c'est que le matin quand vous arrivez, vous ne savez pas si vous allez trouver une place, il faut "tourner", parfois le salarié se retrouve avec des personnes d'autres services. Les salariés vivent très mal cette situation. Alors certains nous disent, préférer ne plus venir et privilégier le télétravail. Le collectif, la communication, les échanges entre collègues, l’organisation, le fonctionnement du service... tout est touché, sans oublier l’isolement du salarié et du stress que cela va occasionner.

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