La Russie a-t-elle ses chances en Afrique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Quelques grandes entreprises russes développent une véritable stratégie en Afrique."
"Quelques grandes entreprises russes développent une véritable stratégie en Afrique."
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Concurrence

Alors que la Chine, qui va envoyer 500 militaires au Mali, joue des coudes pour s'imposer en Afrique face aux anciennes puissances coloniales, la Russie semble plus en retrait sur le continent, malgré son potentiel.

Julien  Vercueil

Julien Vercueil

Julien Vercueil est maître de conférences en sciences économiques et chercheur au Centre de recherche Europe-Eurasie de l'Inalco. Il est l'auteur  de Les pays émergents Brésil-Russie-Inde-Chine... Mutations économiques et nouveaux défis chez Bréal.

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Atlantico : Quelle est la stratégie russe pour être, elle aussi, une puissance pouvant être présente en Afrique ?

Julien Vercueil : Il n’y a pas à proprement parler de politique africaine de la part de la Russie. Quelques grandes entreprises russes développent une véritable stratégie en Afrique. Celles qui sont publiques en réfèrent aux autorités politiques, mais cela ne participe pas d’un plan d’ensemble clairement défini à l’échelle du continent africain. En revanche, être présent en Afrique offre des perspectives dont la Russie aurait tort de se priver. Nous ne sommes plus à la période soviétique, dans laquelle les motivations principales de la présence africaine de l’Union soviétique étaient idéologiques. De plus, cette présence était, même à l’époque soviétique, de niveau souvent subalterne : il faut rappeler que la première visite d’un chef de l’Etat russe ou soviétique en Afrique australe date de… 2006, avec Vladimir Poutine en Afrique du Sud. La présence de la Russie dans la région est donc aujourd’hui essentiellement liée à l’activité internationale de ses grandes entreprises, soutenue par l’intensification des coopérations envisagées avec l’Afrique du Sud dans le cadre du forum des BRICS.

En Afrique du Nord, les relations sont plus anciennes mais ont été largement bouleversées par le récent "printemps arabe". La Russie a prolongé les liens (notamment militaires) du temps soviétique avec la Libye du colonel Khaddafi, ce qui l’a menée à voir le renversement du régime, aidé par les occidentaux, comme une menace pour ses intérêts dans ce pays. Gazprom reste néanmoins présent sur plusieurs gisements gaziers et pétroliers libyens qui ont progressivement repris leurs activités. Avec l’Egypte, des contrats sur le nucléaire civil ont été signés avec le président Moubarak en 2008, même s’ils ne sont pas complètement remis en cause il n’est pas sûr qu’ils aboutissent en l’état. Il est significatif que ce soit en Algérie, qui n’a pas connu renversement de régime, que les projets russes continuent d’avancer significativement, notamment sur l’énergie.

De quels atouts bénéficie la Russie ? Quels sont ses liens historiques avec le continent ? Comment ceux-ci peuvent lui donner un avantage par rapport à d'anciennes puissances coloniales, comme la France par exemple ?

L’histoire ne joue pas un rôle déterminant dans les perspectives de la Russie en Afrique subsaharienne. C’est principalement en se projetant dans le futur que les pays africains s’adressent à leur partenaire russe. Quels sont les atouts de la Russie ? Ceux qui correspondant à ses avantages comparatifs classiques, qui n’ont pas beaucoup changé depuis vingt ans : secteur pétrolier et gazier, extraction minière, nucléaire civil et armement, pour l’essentiel. Dans tous ces domaines, la Russie entend imposer non pas tant ses technologies que ses prix et, dans une certaine mesure, son positionnement international indépendant, lequel permet aux autorités africaines de diversifier leurs interlocuteurs étrangers. Par exemple, un projet d’oléoduc reliant le Mozambique au Zimbabwe (avec des extensions possibles à la Zambie, au Malawi et au Bostwana) est porté par Rosneft. Son président, Igor Setchine, est un ancien spécialiste de l’Afrique. Dans ces projets structurants, l’économique et le diplomatique marchent main dans la main. L’atout de la Russie en Afrique subsaharienne est d’apparaître comme un partenaire pragmatique, géographiquement et historiquement lointain, mû par des considérations davantage économiques que géopolitiques. C’est une grande différence avec d’autres régions du monde comme l’Europe centrale et orientale, le Proche-Orient ou l’Asie centrale, où le passé proche est plus pesant. Cela peut ouvrir quelques portes aux entreprises russes.

Peut-on parler d'un intérêt soudain pour l'Afrique ? Que peut gagner la Russie à cette présence sur le continent ?

Ce regain d’intérêt apparent correspond surtout à de nouvelles stratégies de développement des grandes compagnies qui désormais sont en capacité de proposer des partenariats un peu partout dans le monde. Gazprom, Rosneft, Rosatom (nucléaire), Alrosa (diamants) se voient désormais comme des "global players", firmes internationalisées à l’image des grandes multinationales occidentales et asiatiques ou de quelques entreprises russes privées, comme Lukoil (pétrole, présent en Afrique de l’Ouest) ou Severstal (acier, présent au Liberia notamment). L’Afrique est une zone de prospection, car de nombreux pays, surtout en Afrique australe, combinent transformations institutionnelles et ouverture économique.

N'y a-t-il pas, en filigrane de cet appétit pour le continent africain, une volonté de s'arroger une part des intérêts occidentaux et/ou chinois ?

Il y a déjà concurrence, mais la question est de savoir à quelles conditions cette concurrence pourrait déborder du cadre économique et dégénérer en conflits politiques. Je pense, par exemple, que des problèmes pourraient survenir dans le cas où des transferts de technologie sensibles (armement et nucléaire) seraient envisagés par la Russie vers des pays africains dont les institutions ne sont pas stabilisées.

On voit bien les questions posées aux pays occidentaux - et surtout européens - par les contrecoups du printemps arabe. La crise du Mali a aussi montré la fragilité d’une partie des pays d’Afrique de l’Ouest. Il ne faut donc pas croire que la croissance économique brillante de certains pays africains, largement dépendante de l’envolée des prix des matières premières, effacera d’un coup les fragilités institutionnelles et socio-politiques qui en minent la stabilité. Il y a donc des risques objectifs si les autorités russes (mais pas seulement, la Chine et les Occidentaux sont aussi concernés) n’en font pas l’analyse approfondie.

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