La France en récession : ceux qui vont la subir de plein fouet, ceux qui pourront passer entre les gouttes <!-- --> | Atlantico.fr
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Avec une croissance nulle ou négative, l'emploi ne peut pas progresser.
Avec une croissance nulle ou négative, l'emploi ne peut pas progresser.
©Reuters

Le détail de la facture

La France est officiellement entrée en récession au premier trimestre 2013 avec une contraction du PIB de 0,2%. Une nouvelle grave qui va affecter le quotidien des Français. Voici lesquels et comment...

Philippe Waechter  et Philippe Crevel

Philippe Waechter et Philippe Crevel

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

 

Philippe Crevel est économiste et secrétaire général du Cercle des Epargnants depuis 2004.

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Atlantico : La France est officiellement entrée en récession au premier trimestre 2013 avec une contraction du PIB de 0,2%. Quels sont les Français qui vont être touchés par cette récession et comment ?

Philippe Crevel : La déclaration de récession ne change rien à la donne. La France flirtait avec la récession depuis plus d’un an. La récession est définie par deux trimestres successifs de recul du PIB. Ce dernier évolue au fil des trimestres entre -0,2 et + 0,1 % depuis la fin 2011La récession se matérialise également par la baisse du pouvoir, par les destructions d’emplois et par les faillites d’entreprises. Ces indicateurs qui sont tous dans le rouge prouvent bien que la France économique est enrayée.

Tous les Français sont touchés par cette récession. Évidemment, ce sont ceux qui perdent leur emploi ou qui sont déjà au chômage sont en premières lignes. Les augmentations d’impôt décidées par le gouvernement pour tenter de réduire le déficit public pénaliseront de très nombreux Français et tout particulièrement les classes moyennes. La baisse du pouvoir d’achat de 0,9 % en 2012 traduit bien que les ménages doivent restreindre leurs dépenses dans les prochains mois. La diminution de la consommation, au mois d’avril, traduit bien le climat économique très dégradé que nous connaissons depuis 2011. Pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat, la plus élevée enregistrée ces trente dernières années, les Français pourraient être amenés à puiser dans leur épargne. Le taux d’épargne a déjà légèrement baissé passant de 16% à 15,6 % du revenu disponible brut en un an.

Néanmoins, il est assez peu probable que les ménages diminuent fortement leur effort d’épargne car, en période de crise, la volonté de maintenir le niveau de l’épargne de précaution est élevée.

Philippe Waechter : La validation d'une entrée en récession pour l'économie française ne modifie pas les situations de façon brutale. L'observation des indicateurs de conjoncture suggérait depuis pas mal de temps que l'économie française était fragile. D'ailleurs cela se percevait déjà de façon significative sur le marché du travail. Le fait d'être en récession est juste la qualification d'une situation, pas plus. Surtout il ne s'agit pas d'une rupture comme cela avait été observé en 2008. A l'époque sous l'effet du choc de la faillite de la banque Lehman le système économique s'était arrêté. L'économie française n'est pas dans une dynamique semblable.

Depuis le début de l'année 2011 l'économie française stagne et le chiffre d'évolution de l'activité s'inscrit dans ce schéma. On le voit sur le graphique ci-dessous. C'est ce qu'il faut avoir à l'esprit quand on réfléchit à la conjoncture française. Quand on regarde ce graphe on peut avoir la perception d'une économie française en récession depuis deux ans déjà.

Dans une telle situation d'absence de croissance, le marché du travail se dégrade de façon significative. C'est ce qui peut être observé. La hausse du taux de chômage et du nombre d'inscrits à Pôle Emploi vont dans ce sens. Depuis plus d'un an on constate surtout que le retour à l'emploi est le souci premier dans la dynamique du marché du travail. En d'autres termes, les flux d'entrées à Pôle Emploi sont élevés mais stables depuis de nombreux mois même s'il y a d'importantes fluctuations d'un mois sur l'autre. En revanche les sorties de Pôle Emploi pour reprendre un emploi ont tendance à se réduire. C'est cette difficulté à retrouver un emploi qui est la caractéristique de la période actuelle. Cela traduit une activité en berne depuis longtemps. C'est cet enchainement qui est le plus préoccupant actuellement.

De par cette récession, jusqu'où le chômage va t-il s'envoler, notamment le chômage de longue durée ?

Philippe Crevel : Le taux de chômage pourrait se situer à 11 % d’ici la fin de l’année contre 10,6 % actuellement. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi était de 3 224 600 en France métropolitaine à la fin du mois de mars 2013, soit le niveau le plus élevé jamais atteint. . En un an, le chômage a progressé de 11,5 %. En prenant en compte, toutes les personnes qui recherchent un emploi et pouvant avoir actuellement un emploi à temps partiel, la France compte plus de 5 millions d'inscrits à Pôle emploi - à comparer avec une population salariée de 26 millions de personnes.

Le recul du PIB devrait se poursuivre au deuxième trimestre avec un espoir de stabilisation au second semestre. Cette amélioration conjoncturelle combinée à un effet démographique pourrait permettre qu'une décélération des destructions d’emploi intervienne d’ici la fin de l’année. Il faut noter qu’un nombre important de départs à la retraite est attendu cette année. En effet, le prochain report de l’âge légal à la retraite décidé par la loi sur les retraites n’intervient qu’au 1er janvier 2014 et que le dispositif Hollande sur le départ à 60 ans joue à plein en 2013.

Philippe Waechter : Avec une croissance nulle ou négative, l'emploi globalement ne peut pas progresser. Généralement pour que l'emploi redémarre il faut un rythme de progression de l'activité supérieur ou égale à 1.5%. On en est encore loin. Davantage de flexibilité pourrait faire baisser ce seuil mais avec une contraction de l'activité de -0.2% au premier trimestre on est encore loin du compte. Le chômage va donc continuer de progresser. Et même si la croissance repartait dans la deuxième partie de l'année il est peu probable que l'on assiste à un changement radical sur le marché du travail. En effet il faut que les entreprises soient rassurées sur l'évolution et la pérennité de leur activité pour embaucher de façon plus dynamique. Il y a donc un décalage entre le moment où les premiers signes de reprise s'observent et le moment où le marché du travail retrouve une allure plus favorable. Cela indique qu'au mieux, c’est-à-dire si la croissance redémarrait après l'été, le marché du travail commencerait à s'améliorer au cours des premiers mois de 2014. D'ici là le taux de chômage va continuer de progresser. Une problématique associée à cela est une augmentation du chômage de longue durée. A la fin du mois de mars l'ancienneté moyenne était de 485 jours en hausse de 21 jours sur un an et 39.9% des inscrits à Pôle Emploi avaient une durée de chômage de plus d'un an. Ces situations ne vont pas s'inverser spontanément et la dégradation va se poursuivre.

Ceci étant la gestion de l'emploi permet aussi de réduire le nombre de chômeurs. C'est l'objectif par exemple des emplois d'avenir dont le but est de réduire les flux de personnes entrant à Pôle Emploi. Cependant ce type de mesures est déconnecté de la conjoncture et ne peut pas être une méthode sur le long terme car cela est coûteux.   

Certains Français vont-ils perdre leurs allocations ? Faut-il également s'attendre à davantage de Français au RSA ?

Philippe Crevel : Aujourd’hui, les prestations sociales réduisent en partie la baisse du pouvoir d’achat. Elles ont augmenté de 4 % en 2012. Les dépenses retraite du fait des départs à la retraite mais aussi les dépenses familiales avec l’allocation de rentrée scolaire sont responsables de cette hausse. Les prestations versées par l’UNEDIC ont progressé l’année dernière de 5,2 %. Le taux de pauvreté des Français qui est de 14 % en France pourrait atteindre 15 % ce qui constituerait un record sur ces vingt dernières années. Par voie de conséquences, le nombre de bénéficiaires du RSA devrait poursuivre sa progression. 2,14 millions de foyers touchent le RSA. En 2012, le nombre de bénéficiaires s’était accru de 5 %. Il est fort à parier que cette année la progression sera équivalente.

L’augmentation des dépenses sociales qui représentent déjà un tiers du PIB constituera un frein au rétablissement des équilibres publics. Si la récession perdure, le gouvernement devra arbitrer entre une augmentation des impôts, une diminution des dépenses non sociales ou un déficit majoré. L’augmentation des prélèvements obligatoires a un effet pervers car elle pèse fortement sur l’activité économique pouvant entraîner la France dans un cercle vicieux récessif.

Philippe Waechter : Avec la crise le nombre de chômeurs augmente et la durée du chômage aussi comme on le notait ci-dessus. Cela pose dès lors plusieurs questions. La première est celle de l'indemnisation des chômeurs. Plus la crise dure plus des choix doivent être faits avec des personnes qui sont progressivement exclus de ces procédures. Il est difficile de disposer d'une comptabilisation fine de qui est indemnisé et sous quelle forme, on doit cependant percevoir qu'une dégradation continue de l'activité et du marché du travail augmentent le nombre de personnes qui devront être indemnisés. Toutefois, lorsque la situation dure le nombre d'exclus augmentent. La durée limitée des indemnisations est une nécessité pour que le système global soit stable mas cela a un caractère fort d'exclusion et de difficultés ensuite à revenir dans le circuit habituel. C'est cette situation qu'il est difficile de gérer. La durée de la crise accentue et amplifie ce phénomène. Tant que la dynamique de l'activité ne se sera pas retournée ce déséquilibre augmentera.

Le deuxième point est que la baisse de l'emploi associée à cette conjoncture dégradée fragilise le financement des systèmes sociaux, celui-ci restant très dépendant du nombre d'emplois dans son financement. Le souhait qui avait été évoqué de réduire la part de l'emploi dans le financement des systèmes sociaux est encore insuffisant. Ce sera là un des points majeurs de l'année 2013. Le président François Hollande indique que parmi les réformes structurelles il y aura celle de la retraite mais aussi celle des indemnités chômage. Cela traduit bien la nécessité d'un mode de financement pérenne et stabilisé. Cela veut dire aussi que pour les bénéficiaires des prestations le cadre serait mieux défini.

Au niveau des entreprises, comment les entrepreneurs vont-ils être touchés ? Quels types d'entreprises vont subir un choc ? Quels sont les secteurs industriels qui vont être les plus touchés ?

Philippe Crevel : Les entreprises face à une contraction de la richesse nationale sont touchées à travers une moindre demande interne. Du fait de nos mauvais résultats à l’exportation, la demande externe ne peut pas suppléer à la défaillance du marché intérieur. La France est confrontée à un processus de désindustrialisation lourd du fait d’un mauvais positionnement et d’une dégradation continue du taux de marge des entreprises qui est à son plus bas niveau depuis 1985. La récession se traduit par une diminution de la demande interne. Plus de 61 000 entreprises ont fait faillite en 2012 soit une progression de 2,7 % par rapport à 2011. Au mois de janvier, l’augmentation serait en recul avec une hausse sur un an de 1,3 %.

Si tous les secteurs sont touchés, il faut souligner que ce sont les entreprises intervenant dans les activités immobilières et dans le domaine du transport qui sont le plus impactées. Les défaillances devraient être encore nombreuses durant tout le premier semestre avec un ralentissement espéré en fin d’année. Les PME industrielles, les commerces en concurrence directe avec la vente en ligne, le bâtiment ne seront pas à la fête dans les prochains mois. L’industrie automobile devrait encore connaître des mois difficiles, les ménages pouvant reporter l’achat de leur voiture ou acquérir une voiture d’occasion en lieu et place d’une voiture neuve.

Les mesures prises par le gouvernement avec le crédit d’impôt compétitivité ont un effet limité. Ce qui est inquiétant, c’est la poursuite de la chute de l’investissement au moment même où la France devrait organiser un choc d’offre afin de repositionner l’outil de production sur le haut de gamme. Il est indispensable de mettre un terme aux pertes de marché à l’exportation pour pouvoir espérer arrêter la destruction d’emploi et les dépôts de bilan.

Philippe Waechter : Dans la situation de l'économie française, le point de fragilité tourne autour des entreprises. L'aspect majeur à souligner est le repli de l'investissement. Le détail des chiffres sur la croissance publiés par l'INSEE montre que, depuis de nombreux trimestres, l'investissement des entreprises suit une dynamique médiocre et que depuis 3 trimestres le repli est significatif.

Cela traduit une incertitude quant à la conjoncture économique. L'absence de débouchés incite les entreprises à un comportement plus attentiste. Cependant cela ne peut s'arrêter là. Les entreprises ont aussi besoin d'un cadre social et fiscal plus stable pour oser s'investir et prendre le pari d'un choix de long terme. Les réformes structurelles ont cet objet en définissant un marché du travail plus flexible mais aussi en présentant un cadre plus stable pour les retraites et le financement des systèmes sociaux. Tant que ce cadre ne sera pas stabilisé les entreprises tarderont à investir ce qui sera pénalisant pour l'économie française. C'est pour cela que la période actuelle est importante. La réunion récente du président Hollande et des chefs d'entreprise entre dans ce cadre. La priorité du gouvernement doit se faire sur les entreprises et la reprise de l'investissement.

La situation est très précaire du côté des entreprises car les taux de marge y sont très faibles en moyenne ce qui limite la capacité de financement de l'investissement des entreprises. Si le cadre plus stable est effectivement mis en place et emporte l'adhésion des entrepreneurs alors la situation s'améliorera à terme et la dynamique française retrouvera alors une situation favorable. C'est cela l'enjeu de 2013. Son échec serait dramatique pour l'activité et l'emploi.

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