Etat providence, réconciliation européenne, modernité économique : que nous reste-t-il de 1945 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UE s'est construite après la guerre sur un espoir de paix, mais la crise contraint le projet européen à trouver un nouvel élan.
L'UE s'est construite après la guerre sur un espoir de paix, mais la crise contraint le projet européen à trouver un nouvel élan.
©Reuters

Nouvelle donne

L'Union européenne s'est construite après la guerre sur un espoir de paix, mais la crise économique que traverse le continent contraint le projet européen à trouver un nouvel élan. Tour d'horizon d'un héritage en danger.

Gérard Bossuat et Pirro Vengu

Gérard Bossuat et Pirro Vengu

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

Pirro Vengu est chargé des relations publiques à Paris du think-tank paneuropéen European Council on Foreign Relations.

Diplômé de philosophie, d’histoire politique et de relations internationales, il consacre actuellement ses recherches à l’impact de la crise de l’euro sur les politiques européennes d’élargissement.

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Atlantico : Alors que l'Europe traverse une crise économique les plus importantes de son histoire, le débat autour de l'austérité et de la relance cristallise les passions et dans certains pays se développent des mouvements populistes. Alors que le projet européen avait été lancé après 1945 pour éviter de renouer avec les catastrophes des deux Guerres mondiales, la construction européenne a t- elle besoin aujourd'hui de trouver un nouveau moteur de construction ?

Gérard Bossuat : Le 8 mai 1945, date anniversaire de la capitulation allemande qui mettait fin à la Seconde Guerre mondiale en Europe, et le 9 mai 1950, date de la déclaration de Robert Schuman et Jean Monnet en faveur d’une réconciliation franco-allemande et d’une fédération européenne, se répondent. L’unité européenne est née de la guerre. J’y vois une belle réaction des peuples européens et des élites. Le projet européen est un acte de modernisation des esprits et des sociétés d’Europe de l’Ouest. Il est un "moment bienfaisant" de l’Europe occidentale auquel auraient aimé s’associer davantage les pays d’Europe orientale. Ils attendront 2004 et 2007. Déjà, avant la guerre avec le projet d’Aristide Briand et pendant la guerre avec les appels à une Europe unie lancés par des résistants français, italiens, belges, néerlandais, polonais, luxembourgeois, on savait que l’après- Seconde Guerre mondiale ne serait pas le même qu’en 1919. L’espoir de l’unité le disputait à l’espoir d’unité du monde. L’unité a pris forme avec le Congrès de la Haye, des mouvements européistes en mai 1948 puis avec la fondation par les États d’Europe occidentale, y compris la Grande-Bretagne, d’un Conseil de l’Europe, sans grands pouvoirs législatifs, incapable de combler l’attente, comme d’ailleurs l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) voulue par les Américains du Plan Marshall. En raison des résistances des Etats et des réserves de larges secteurs des opinions publiques, les plus européistes des politiques ( Schuman, Monnet, Adenauer) ont pensé pouvoir faire progresser l’unité grâce à des fédérations économiques plus spécialisées, telles que la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ou des projets d’armée européenne (CED), de fédération des transports, agricole etc…En 1957 les traités de Rome créèrent une union douanière et définirent un cadre pour lancer des politiques communes qui étaient autant d’unions sectorielles : agriculture, commerce extérieur, Europe atomique, monnaie. Monnet pensait que ce grignotage de la sphère économique générale par les unions pourrait conduire au « grand soir » de l’Union politique européenne et peut-être à un gouvernement fédéral européen et à des institutions fédérales communes (Parlement, Sénat, Conseil des gouvernements etc…).

Mais le « conte de Noël » n’a pas fonctionné comme les pères de l’Europe le pensaient. Les Etats se sont reconstruits et ont développé des politiques en faveur de leurs populations (État-providence) ; les Communautés européennes ont été efficaces économiquement pourtant, donnant aux Européens de l’Ouest un marché commun multiplicateur de richesses, faisant de l’Ouest européen la plus grande puissance économique du monde.Mais il n’y a toujours pas de gouvernement fédéral européen. En revanche la paix est établie en Europe, sur toute l’Europe. Cette attente des pères de l’Europe a été satisfaite ; le bilan est donc positif. Jusqu’à maintenant, la sécurité de l’Union est assurée en dépit des crises tragiques ayant touché les Balkans après la dislocation de l’URSS. Il est vrai que la solution a été apportée par une réunion d’acteurs internationaux l’ONU, l’OTAN, l’UE, animée par les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie. Laissée à ses propres forces ou à celles des grands Etats européens, l’Union européenne, aurait-elle pu résoudre la crise ? On en doute évidemment en raison de la faiblesse militaire de l’Union et des divergences d’analyse géopolitique de ses membres. Le rêve européen n’a pas fonctionné non plus pour résoudre la grave crise financière et économique qui nous insécurise depuis 2007. Pourtant depuis le 9 mai 1950, des institutions communes ont été mises en marche : la Commission européenne, l’exécutif, le Conseil des ministres, le Parlement européen et le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernements. Pour résumer, observons que depuis 1950 une législation communautaire été adoptée, une définition de l’intérêt commun a été élaborée, des pratiques d’administration et de gouvernance communes sont opérationnelles, un budget commun existe. A la différence de l’avant-guerre, des instruments de gestion des crises sont à la disposition des institutions communautaire pour répondre aux crises financières ou économiques surtout. Ces instruments fonctionnent en synergie avec des institutions mondiales (FMI, Banque mondiale, G8, G 20). Pourtant, si la crise financière, d’origine américaine, a été résorbée dans ses conséquences les plus dangereuses, reste une crise économique caractérisée par la stagnation de la production et l’augmentation du chômage aux conséquences très graves pour les gouvernements démocratiques.

Si le rêve européen de paix sur le continent a été réussi, celui du retour à la prospérité ne l’est pas. Or la prospérité est consubstantielle à la paix par l’Europe. Simon Nora déclarait en 1966 que la création d’un grand marché concurrentiel « était le seul rêve digne de mobiliser une génération qui avait connu les fruits amers du nationalisme malthusien et querelleur ». Quel pourrait être le nouveau moteur de la construction européenne ? L’idéal de pacification inter-européenne pacifique des pères fondateurs ne doit jamais être oublié ni l’effort relâché, mais il convient de répondre à de nouveaux défis, perpétuellement renouvelés dans un monde dangereux. On n’attend pas ici la présentation programmatique de solutions à la crise. Une perspective néanmoins s’ouvre pour la décennie à venir. Les analystes économiques disent que la cause de la crise économique relève de l’inadaptation des vielles économies industrialisées à faire évoluer le système actuel de production fondé sur la consommation sans retenue des ressources naturelles. On cherche une augmentation du PIB et non pas celle de l’indice de bonheur brut ! Pour permettre l’accès des peuples européens à des ressources durables, à des revenus plus sûrs et donc à une économie mieux adaptée à la réalité du XXIe siècle, l’Union européenne pourrait se donner comme but de transformer les modes de production en Europe en organisant le passage à une nouvelle économie fondée sur de nouvelles énergies, sur la production de biens durables, sur la valorisation du bien-être personnel et l’épanouissement des individus, sur l’innovation technique pour le bien des personnes, sur la formation des jeunes aux nouveaux métiers. Les linéaments d’une telle politique existent dans le programme de l’UE pour 2020, « Europe 2020 ». L’UE a su faire partager aux différents sommets de la Terre ses préoccupations concernant la protection de la planète. Elle peut être à l’origine d’une nouvelle économie, d’un nouveau rêve européen, au lieu de s’enfermer dans des batailles abscondes sur les taux d’endettement budgétaire. Ainsi l’Union pourra créer un projet civilisateur commun et spécifique et « s’accorder avec elle-même pour se proposer aux autres comme un interlocuteur indépendant apportant aux tensions mondiales des solutions neuves » (Simon Nora, 1966).

Piro Vengu : En 60 ans, l'idée européenne a débouché sur un objet politique et juridique encore inachevé. Deux idées maîtresses ont dominé ces six dernières décennies :

  • Il fallait lier les Etats dans une destinée commune au moyen d’une réussite économique collective puis à travers des outils politiques devenus malheureusement, au fil des traités, de moins en moins lisibles ; 

  • Pour parvenir à un tel objectif, il était nécessaire qu'un petit groupe d'Etats constitue la locomotive économique et politique capable d’entraîner le reste. Ce rôle de locomotive a toujours été assumé par le couple franco-allemand.

La crise financière puis monétaire et enfin économique et sociale qui frappe l’Europe, et plus précisément la zone euro, depuis près de 5 ans a mis à mal ces deux piliers fondamentaux sur lesquels s'est bâti l'édifice européen. D’une part, l’Union européenne - comme entité politico-juridique - est parue incapable de gérer la crise budgétaire et monétaire de ses Etats membres et a dû réajuster sa voilure en pleine tempête, provoquant par là des retards, des erreurs d’appréciation (en témoigne le dernier épisode chypriote) et in fine des tensions parmi ses Etats membres. D’autre part, le couple franco-allemand n’a pas su confirmer en temps de crise son rôle de leadership bicéphale mais s’est laissé aller à des malentendus criants, encore à l'œuvre aujourd’hui, sur les avantages et les inconvénients d’une politique d’austérité au sein de la zone euro.

En ce sens, oui, l’Union Européenne a besoin de retrouver un nouveau souffle. Mais ce renouveau ne peut passer que par le redressement économique de la zone euro, condition sine qua non pour retrouver à la fois l’approbation populaire européenne et le prestige international auquel l’Union Européenne prétend. Il ne s’agit certes plus d’assurer la paix entre les Etats mais bien de conquérir la paix sociale au sein d’une Union où les jeunes semblent condamnés à vivre moins bien que leurs parents. 

Alors que l'Europe semble prendre la voie de l'austérité dans les pays les plus touchés par la crise, et de la rigueur budgétaire pour les autres, cette orthodoxie budgétaire risque- t-elle de remettre en cause les acquis sociaux établis dans la plupart des pays après 1945 ?

Gérard Bossuat : Les débats et les solutions proposées par le Conseil et la Commission ou par la BCE (la Banque centrale européenne, ndlr) pour résorber la dette budgétaire des pays du sud européen (Grèce, Chypre, Espagne, Italie) et de l’Irlande relèvent d’une thérapie violente qui remet en cause les acquis de l’Etat providence. En France, Pierre Laval avait tenté en 1935 une déflation qui avait cassé toute reprise. On pourrait se dire qu’il est normal que des situations acquises en 1945 évoluent, que la retraite à 60 ans n’est plus acceptable dans une société où la durée de vie augmente rapidement, que l’effort de protection sociale doit être mieux réparti selon les revenus des individus. Cependant, la remise en cause d’acquis sociaux est toujours mal acceptée, surtout si elle est la conséquence de troubles imprévus ou si elle se produit alors qu’éclatent des affaires d’enrichissements illicites. L’austérité est rejetée quand elle se produit à la suite des malversations de financiers sans conscience ou quand elle relève d’un emballement du système financier libéral, dévoué aux seuls profits des détenteurs de capitaux ou encore quand elle résulte d’un défaut de régulation du pouvoir politique lié à des choix doctrinaux. Elle est rejetée si son résultat conduit à plus de chômage et donc à davantage de drames humains qui sont dans nos journaux (suicides, expulsions, paupérisation, crise du logement, absence de soins, mépris pour les étrangers). La crise bancaire en Grèce a provoqué un affichage indécent de l’extrême droite fascisante, une tension dans la société et une perte de confiance en soi attisée par les leçons de certains pays plus stables qui ont été ressenties comme un déshonneur. La réconciliation européenne est en effet menacée alors qu’elle est un principe fondateur pour l’unité européenne. On a vu croître les conflits verbaux entre « pays sages » et « pays irresponsables », entre le Nord et le Sud, entre pays latins et pays germaniques ou nordiques réputés plus sages.

La fin de l’Etat providence inauguré dès 1979 avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, accélérée par les choix idéologiques de la Droite américaine de Reagan et Bush fils, validée par la transition pseudo-démocratique mafieuse en Russie, a ruiné l’idée de la solidarité. Cependant dans nos pays d’Europe de l’Ouest le débat démocratique, sans occulter la réalité de certains déséquilibres structurels, a limité, en raison de l’alternance politique en France en mai 2012 et en Italie en avril 2013, les dérives vers l’abolition des régulations et renforcé la solidarité. Au contraire ces régulations ont été rétablies. Reste à mieux définir ce que pourrait-être une nouvelle société plus solidaire, plus responsable et plus efficace, ces valeurs de la Résistance. Le travail à faire revient aux Etats, par un débat démocratique national mais aussi aux institutions de l’Union européenne.

Piro Vengu : Il ne faut pas perdre de vue qu’une des raisons principales de la crise que nous traversons actuellement est la différence de compétitivité entre les différentes économies de la zone euro. Ceci nous oblige à voir d’un œil plus critique les quinze à vingt dernières années : une période que certains pays européens ont mise à profit pour réformer progressivement leur économie sans forcément détricoter les conquêtes sociales de l’après-guerre (exception faite des adeptes du libéralisme économique à la Thatcher), tandis que d’autres ont laissé filer de manière irresponsable les prix et le coût du travail, l’euro leur permettant de s’endetter au même prix que les Etats jouissant de meilleurs fondamentaux économiques.

Vu du Nord de l’Europe l’austérité permet de corriger le déficit de réformes des pays du Sud. Dans cette optique, l’austérité est même jugée comme le moyen le plus efficace pour permettre aux Etats membres de l’UE de réformer leurs économies. Mais malgré son bien-fondé, cette idée ne permet pas de mesurer à quel point le couple austérité-réforme est inopérant dans les conditions actuelles sans provoquer un détricotage sans précédent des acquis sociaux (diminution drastique des salaires et des retraites, augmentation du temps de travail, coupes dans le budget de la sécurité sociale) et un appauvrissement de masse inacceptable des pays du Sud. La tragédie d'un pays comme la Grèce aujourd’hui est que les conditions actuelles (récession pluriannuelle et chômage de masse) ne lui permettent plus de se serrer la ceinture de manière efficace.

Mais au-delà des menaces réelles qui pèsent en effet sur les acquis sociaux (qui sont la première variable d’ajustement), je pense que les pays du Sud sont entrés depuis un an dans la deuxième phase de l’austérité, plus dangereuse, qui consiste à augmenter la pression fiscale sur les ménages et les petites entreprises. Cette pression fiscale a des conséquences immédiates aussi bien sur la consommation que sur l’innovation, dans des secteurs aussi divers que le numérique ou l’immobilier, qui sont cruciaux pour retrouver la croissance. Le FMI l’a bien compris, appelant récemment à ne plus augmenter les impôts en Europe.

L'austérité peut-elle déconstruire ou constituer une menace pour le projet européen ?

Gérard Bossuat : La solidarité intereuropéenne bénéfice de programmes de l’Union qui doivent renforcer la solidarité interrégionale ou sociale (Fonds social européen, FEDER) ; Mais l’Union ne délivre pas un message clair en cette période de troubles. Ainsi avait-elle laissé entendre qu’il faudrait couper dans les programmes d’urgence alimentaire si indispensables pour les associations caritatives. Qu’est-ce que la modernité économique et sociale européenne ? Faut-il en passer par les tendances idéologiques du moment, faut-il laisser le marché dicter ses conditions ? A l’évidence non, mais la réponse n’est pas assez collective car les États membres de l’Union ont toujours du mal à définir ce qu’est le bien commun européen ou l’intérêt général européen. Les pionniers actuels de l’unité doivent donc ouvrir des voies nouvelles.

La modernité européenne n’est certainement pas la fin des régulations économiques et sociales, pas plus qu’une destruction des mécanismes du marché, mais elle doit résulter d’une tension pragmatique entre les deux nécessités avec l’objectif de retrouver les grands équilibres sans augmenter le prix à payer par les plus fragiles. La question fondamentale est de savoir si l’unité de pensée et d’action des 27 est possible, ce qui n’est pas gagné étant données les résistances des catégories sociales les plus aisés au nom de la liberté d’entreprendre. L’unité de pensée des pays membres et des institutions n’est pas plus assurée dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. L’accord au sein de la zone euro est sans doute plus facile à obtenir, mais sur quelles bases faire une relance ? Quelle nouvelle économie proposer ?

Piro Vengu : Depuis le début de la crise de la zone euro et les déboires de sa gestion par les Etats membres, la dimension politique de l'UE a fait irruption de manière violente dans les débats nationaux et l’on peut affirmer que cette irruption a pris la forme d’un débat obsessionnel sur l’austérité, ses motifs et ses conséquences. Ce que l'on a coutume d'appeler aujourd'hui l'austérité est la réponse de nature essentiellement quantitative (rigueur budgétaire et hausse d’impôts) que les Etats de l'Union Eeuropéenne ont décidé de donner à la crise de la zone euro. Les économistes eux préfèrent parler de politique pro-cyclique (indiquant par là que l’austérité pratiquée actuellement est une politique qui accentue le ralentissement économique).  Il est toutefois utile d’avoir à l'esprit que le débat entre austérité et l’« assouplissement quantitatif » (traduction quelque peu barbare du terme anglais "quantitative easing" qui désigne les politiques monétaires de relance de l’économie) dépasse aujourd’hui les clivages partisans, en Europe comme ailleurs (Etats-Unis, Japon) : l’on voit ainsi en France la gauche de la gauche tout comme l’opposition de droite  demander la fin de la politique d’austérité du gouvernement actuel.

Malheureusement en Europe, le débat sur l’austérité a donné naissance à des dissensions profondes qui, sans reprise économique et redressement de la situation sociale, risquent de s’enraciner dans les opinions publiques européennes et porter préjudice au projet européen sur le court comme sur le moyen terme. Dans un tel contexte, il faut saluer la nouvelle décision de la Commission européenne d’accorder plus de temps à certains pays, y compris la France, pour parvenir à baisser leurs déficits, desserrant ainsi quelque peu l’étau de l’austérité, à condition que les efforts de réforme de leurs économies se poursuivent. Il ne faut pas oublier que les élections européennes de 2014 approchent. Elles seront un test majeur pour l’avenir de l’Union d’où l’importance de faire le maximum dans le temps imparti.

Sur quel projet l'Union européenne peut-elle relancer son processus de construction ?

Gérard Bossuat : Si on s’en tient au projet politique, l’histoire rappelle d’une part la grande confusion existant entre fédération et coopération intergouvernementale. Briand en 1929 propose un lien fédéral entre les Européens. Mais on voit bien, à lire le texte, qu’il s’agit de coopération intergouvernementale qui conserverait aux Etats leur pleine souveraineté. Pendant la guerre, outre Churchill appelant de ses vœux un conseil de l’Europe sans plus de précision institutionnelle, à Alger le Comité français de la Libération nationale (CFLN), en 1943, envisage la création de fédérations régionales. D’ailleurs, de Gaulle, en mars 1944, propose la création d’une fédération de l’Ouest européen. Il y a des débats sur les abandons ou les partages de souveraineté qui se poursuivront en 1949 à propos des institutions du Conseil de l’Europe et de l’OECE. Seule la CECA est clairement supra nationale et fait figure d e modèle tant que l’ambiance porte aux fédérations sectorielles. Mais déjà les traités de Rome font rentrer plus directement les Etats dans le jeu institutionnel laissant à la Commission européenne une autonomie réelle. Bref, que ce soit dans les années 50 ou dans les années 2000, l’unité européenne hésite entre le modèle fédéral ou intergouvernemental, chaque modification des traités apportant des nuances en empruntant à l’un ou à l’autre des modèles.

Sans rentrer dans les détails, observons qu’une forte exigence d’Europe démocratique existe. Laissons de côté les eurosceptiques extrêmes qui peuvent souhaiter la fin de l’Union. Pour les autres, eurosceptiques déçus par l’Union, ou au contraire européistes fidèles à l’idéal des pères fondateurs, leur désir est de participer aux décisions prises par les institutions. Comment faire ? Personne n’a encore tenté d’utiliser la procédure du référendum d’initiative populaire. En revanche le rôle du Parlement a été amélioré par le traité de Lisbonne. Il contrôle mieux le processus d’élaboration de la loi européenne. Mais il semble bien que cette revalorisation du rôle des citoyens européens passe par une autre façon d’élire les députés. Ils devraient tous être issus d’une circonscription propre, et rendre compte ainsi de leur action devant des citoyens plus proches d’eux. Une élection tenue le même jour dans toute l’Union favoriserait une campagne électorale plus animée et européenne. La définition de positions communes par les grands courants politiques européens, servant de base à la campagne nationale, rendrait plus lisibles les enjeux. Comment faciliter la prise de conscience du public des perspectives de l’unité ? Seule l’existence de médias de qualité, dédiées à la politique européenne, plurilingues évidement, pourrait contribuer à l’émergence d’une conscience européenne commune par delà les diversités issues de l’Histoire.

Piro Vengu : L'austérité est devenue l'objet d'un affrontement politique croissant au sein de l'Union au point d’obscurcir la lecture des décisions prises par les institutions européennes et de disqualifier leur compétence. Dans une telle obscurité, nous faisons l’impasse sur les insuffisances collectives autant que sur la cohérence des réformes mises en œuvre au sein de l’Union. On explique souvent la crise actuelle par le manque de cohésion des politiques économiques des Etats membres de la zone euro. Force est pourtant de constater que l’Union et les Etats membres ne prennent même pas la peine de coordonner leurs efforts de réformes. Si l’on se concentre trop sur les réformes à l’échelle nationale l’on risque de répéter les mêmes erreurs d’arbitrage qui nous ont menés à la crise de compétitivité que nous connaissons.

Le premier exemple criant qui illustre cela est le retard pris sur la mise en place de l’union bancaire, pourtant un pendant essentiel aux règles de contrôle budgétaire mises en œuvre ces dernières années. Un autre exemple : les privatisations initiées dans les pays du Sud. Au lieu de répondre au seul impératif de remplir rapidement les caisses des Etats elles pourraient faire l’objet d’une redéfinition du paysage industriel européen et être à l’origine de fusions ou de restructurations appuyés par des investissements collectifs concentrés sur des domaines d’avenir qui tiennent compte des objectifs stratégiques communs de l’Union. Un troisième chantier concerne la diminution progressive et équilibrée de la pression fiscale imposée par l’austérité, qui va jusqu’à décourager aujourd’hui la propriété privée, tandis que les jeunes (entrepreneurs ou non) ne sont pas exemptés d’une imposition qui risque de les pénaliser durablement.

Un des paradoxes essentiels de la crise actuelle est qu’elle débouche sur une situation où les pays débiteurs ont le sentiment de perdre leur souveraineté alors que la souveraineté des pays créanciers en sort renforcée. Les trois exemples énoncés précédemment indiquent pourtant bel et bien que la solution à nos problèmes de compétitivité passe par un partage de la souveraineté, ce à quoi la structure actuelle de l’Union européenne ne permet pas de répondre convenablement. A défaut d’assurer par magie la baisse du chômage tout projet de relance du projet européen ne pourra se dispenser de donner des réponses claires aux citoyens européens sur le partage de souveraineté nécessaire pour gouverner notre espace économique commun.

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