1929, 1974, 2008 : les points communs des trois grandes crises économiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Les crises économiques de 1929, 1974 et 2008 ont des points communs.
Les crises économiques de 1929, 1974 et 2008 ont des points communs.
©Reuters

Bonnes feuilles

L’auteur Philippe Chalmin analyse les crises économiques de 1929, 1974 et 2008. Extrait de Crises : 1929, 1974, 2008, histoire et espérances (2/2).

Philippe Chalmin

Philippe Chalmin

Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine où il dirige le Master Affaires Internationales. Membre du Conseil d’Analyse Economique auprès du Premier Ministre, il est le président fondateur de CyclOpe, le principal institut de recherches européen sur les marchés des matières premières.

Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont le récent « Demain, j'ai 60 ans : Journal 2010 - 2011 ».

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Voici donc croquées à larges traits les principales caractéristiques des trois grandes crises du "long" XXe siècle : 1929, 1974 et 2008. On ne peut qu’être frappé par les points communs de ces trois épisodes de l’histoire économique mondiale tant en ce qui concerne leurs causes que leur déroulement.

On constate en premier lieu que chacune d’entre elles a frappé un monde en pleine euphorie. La crise met un terme aux Années folles, aux Trente Glorieuses, à la nouvelle économie. Elle frappe dans un ciel serein que certes quelques Cassandre avaient scruté avec angoisse mais dont personne n’avait pris au sérieux les prophéties. Au contraire, ces longues périodes de prospérité avaient contribué à un véritable sentiment d’immunité. Tout marchait si bien que, enfin, on avait trouvé la martingale idéale.

Que des politiques tiennent ce genre de discours, passe encore, mais lorsqu’il s’agit d’économistes reconnus comme Fischer ou Samuelson, il y a vraiment de quoi s’inquiéter. En 2009, la reine Elizabeth II s’étonna à juste raison de cet aveuglement des économistes. À quoi servaient-ils au fond ?

De manière plus sérieuse, il est clair que l’euphorie économique amène les régulateurs à fermer les yeux sur des prises de risque qui, en d’autres temps, auraient été jugées extravagantes. Cet excès de confiance explique les difficultés à prendre rapidement la mesure d’une véritable crise. Après le grand beau temps donc, non seulement un orage mais une tempête lourde qui fait oublier pour longtemps les rayons du soleil ; et surtout ne pas croire les météorologues s’ils disent qu’il ne pleuvra jamais plus.

Deuxièmement, les trois crises ont été caractérisées par la montée des inégalités au sein des sociétés, cela étant d’ailleurs la conséquence de la prospérité antérieure. Si le constat est évident en 1929 et en 2008, il l’est moins pour 1974, ce qui explique probablement que cette crise ait été la moins financière des trois. Alors que la réduction des inégalités, par le biais de l’État providence, est typique des social-démocraties de marché occidentales, au point dans certains cas d’en exagérer le caractère égalitariste, leur augmentation est le propre des pays émergents et en développement, comme la Chine ou la Russie en 2012. En 1929 et 2008, l’écart entre les revenus les plus extrêmes augmenta sans commune mesure avec la croissance de certains secteurs tels la haute technologie : les 1 % les plus riches virent leur part dans la richesse nationale croître d’une manière que l’on pourrait qualifier d’indécente si la morale avait là quelque place.

Cette augmentation des inégalités s’accompagna d’un primat du matériel sur toute forme d’idéologie et même de spiritualité. En 1929 comme en 2008, on assista à l’apologie du "golden boy", de Gatsby à Jérôme Kerviel, des boîtes de la Prohibition aux salles de marché de la City. En 1974, l’approche fut un peu différente, la société de consommation des années 1960 triomphait : enfin on pouvait consommer bien au-delà de ses simples besoins primaires.

Le primat du matériel, l’augmentation des inégalités, l’illusion d’un bonheur de pacotille, tout ceci contribua à semer les graines d’une véritable crise morale qui, en 1974, éclata bien avant la crise économique elle-même. Mais en 1929 et en 2008, elle était déjà là, sous-jacente.

Enfin chacune des crises a connu son lot de chocs externes qui ont souvent servi de révélateurs. Ce furent bien sûr les craquements du système bancaire, de la faillite du Kredit Anstalt de Vienne en mai 1931 à celle de Lehman Brothers en septembre 2008. Certes, en d’autre temps, il y avait déjà eu des faillites de banques ou d’institutions financières (aux États-Unis, la Continental Illinois en 1984, puis le système des Caisses d’épargne – Savings and Loans – en 1986), mais celles de 1929 et de 2008 furent presque systémiques en enclenchant un véritable effet de domino alors que les épargnants cherchaient désespérément de la sécurité.

Les marchés de matières premières connurent aussi de véritables chocs en 1974 et 2008. En 1929, on était encore pour l’énergie et les métaux au temps des cartels. Mais en 2008 et surtout en 1974, les matières premières furent une des causes majeures du déclenchement de la crise et, en 1974, du choc inflationniste qui suivit. Dans les trois cas, l’absence de coordination monétaire ne fit qu’aggraver la situation en privilégiant le "chacun-pour-soi". La dévaluation américaine de 1933, l’abandon de Bretton Woods en 1971, l’instabilité totale des marchés monétaires au début du xxie siècle, firent de ces marchés des caissons amplificateurs des tensions liées à la crise économique.

Ajoutons aussi la dimension géopolitique qui préside à ces périodes. Certes en 1929, l’Europe se congratule à Genève et à la Société des Nations, mais le couple infernal dettes-réparations continue à empoisonner les relations transatlantiques. En 1974,la décolonisation est à peine terminée et grâce à ses matières premières, le Sud espère prendre le pouvoir : c’est la grande impasse de ce que l’on appela alors le dialogue Nord-Sud. 2008 est marquée par la montée des pays émergents – et surtout de la Chine – mais aussi par le relatif échec du G20. À chaque fois, les contemporains ont du mal à appréhender l’ampleur exacte des mutations de la planète, qu’ils exagèrent ou à l’inverse sous-estiment.

En 1929 comme en 2008, l’ultime étincelle qui mit le feu aux poudres est venue de la passion et de la folie des marchés. Il est fascinant de constater combien les êtres les plus rationnels, ceux qui construisent les modèles les plus pointus, peuvent être saisis par une sorte de folie qu’a posteriori, rien ne peut justifier. L’historien sait que les arbres ne montent jamais au ciel, mais dans le feu des marchés ceux qui le pensent sont nombreux. C’est même une constante de l’histoire et il suffit pour s’en convaincre d’évoquer la folie qui saisit les Pays-Bas entre 1637 et 1640 sur les marchés des bulbes de tulipes : un seul bulbe d’une tulipe rare mais dont on ne savait s’il donnerait une fleur put s’échanger pour le prix d’une demeure patricienne à Amsterdam ! Il en fut ainsi durant l’été 1929 sur le marché boursier américain, en 1974 pour nombre de matières premières comme le sucre, en 2008 pour l’immobilier, les marchés boursiers et la plupart des matières premières. Bien sûr chaque marché a sa propre histoire, mais l’effet d’euphorie est collectif. Et c’est lorsque l’euphorie atteint son comble que les valeurs sur les marchés deviennent déraisonnables ; c’est alors que l’on peut commencer à parler de bulle et que celle-ci, à l’image des bulles de savon, finit par éclater.la plupart des matières premières. Bien sûr chaque marché a sa propre histoire, mais l’effet d’euphorie est collectif. Et c’est lorsque l’euphorie atteint son comble que les valeurs sur les marchés deviennent déraisonnables ; c’est alors que l’on peut commencer à parler de bulle et que celle-ci, à l’image des bulles de savon, finit par éclater.

Extrait de "Crises : 1929, 1974, 2008. Histoire et espérances" (François Bourin Editeur), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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