Le gouvernement doit trouver 6 milliards d'euros d'impôts en 2014... mais où reste-t-il des réserves d'argent disponibles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie a affirmé lundi qu'il y aurait une augmentation des impôts en 2014.
Le ministre de l'Economie a affirmé lundi qu'il y aurait une augmentation des impôts en 2014.
©flickr / pasukaru76

Chasse au trésor

Le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a affirmé lundi qu'il y aurait une augmentation des impôts en 2014 pour réduire le déficit à 2,9% du PIB l'année prochaine. Il espère récolter 6 milliards d'euros en augmentant les prélèvements obligatoires. Qui va vraiment payer cette nouvelle hausse ?

François  Tripet et Pascal Salin

François Tripet et Pascal Salin

François Tripet est avocat fiscaliste. Avocat au Barreau de Paris depuis 1978, Francois Tripet est essentiellement un " patrimonialiste international " qui, avec son équipe, apporte son concours et son assistance à plus d'un millier de familles réparties sur les cinq continents. Il est l'auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 ).

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur en sciences économiques, agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Ses ouvrages les plus récents sont  Français, n'ayez pas peur du libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2007; Revenir au capitalisme pour éviter les crises, Paris, Odile Jacob, 2010.

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Atlantico : Pierre Moscovici a annoncé ce lundi une hausse d'impôts pour 2014. Il souhaite notamment augmenter les prélèvements obligatoires de 0,2 point. Quels pourraient être les prélèvements concernés ? De quelles marges le gouvernement dispose-t-il encore ?

François Tripet : Pour avoir une augmentation d’impôts, la première recette complémentaire c’est la hausse de la TVA. Elle peut se faire en faisant entrer dans le champ d’action de la TVA des objets qui ne s’y trouvaient pas ou en augmentant le taux appliqué aux produits. L’avantage de la TVA c’est qu’elle couvre la totalité de la consommation du pays, et donc par conséquent on a des augmentations de recettes significatives avec un taux d’augmentation relativement faible, le seuil de tolérance de la TVA est élevé. Son inconvénient majeur c’est qu’elle touche plus les petits portefeuilles que les gros.

La CSG-CRDS présente l’avantage de frapper tous les revenus d’activités. Un demi-point de hausse de la CSG permettrait d’avoir des recettes complémentaires importantes. On peut également envisager une hausse de la TIPP qui touche la consommation d’essence. La question de la cotisation retraite, s’inscrit dans un problème d’équilibre des caisses de retraite. On diminue les pensions avant tout pour sortir du déséquilibre, et avoir moins de besoin budgétaire pour réduire le trou. Revenir à l’équilibre permet indirectement d’éviter une aggravation des déficits. Toucher aux allocations familiales est une action non renouvelable. Cela concernait 15% de la population et ce n’est pas sûr que cela puisse rapporter 1 milliard. Actuellement il faut en trouver 10 fois plus, c’est une recette de poche qui ne sera valable que pour 2014. L’impôt sur le revenu parait intouchable, tout comme les droits de donation ou de succession, car ils ont déjà été trop augmentés, il parait peu probable d'aller plus loin. L’autre possibilité est de réduire les dépenses publiques, mais c’est un débat parlementaire long est difficile à mener. D’où une résistance au niveau des coupes budgétaires.

La marge d’augmentation des prélèvements est relativement faible, la réserve d’impôts supplémentaires qu’ils peuvent instituer sans dégât majeur est de l’ordre de 2 à 4 milliards. La variable d’ajustement providentielle c’est l’amnistie et/ou la régularisation. Quand on ne peut plus toucher aux dépenses ni à la fiscalité, ni augmenter l’endettement, il ne reste qu’à faire revenir les milliards perdus. Il y a 200 milliards à l’étranger, beaucoup souhaite les rapatrier.

Pascal Salin : Il est maintenant devenu évident pour la majorité des Français que l'État ne peut pas indéfiniment vivre à crédit et augmenter son endettement. Mais pour inverser la tendance il y a, d'un point de vue purement comptable, deux méthodes : diminuer les dépenses publiques ou augmenter les recettes. Malheureusement, jusqu'à présent, le précédent gouvernement, comme l'actuel, ont préféré augmenter les taux d'impôts ou créer de nouveaux impôts dans l'espoir d'accroître les recettes, au lieu de diminuer les dépenses. Même si l'actuel gouvernement a annoncé son intention de réduire les dépenses publiques, cette réduction reste dans le vague.

Où espère-t-il alors trouver de nouvelles recettes ? Il est évidemment difficile de le savoir, même si l'on a parlé d'augmentations de la TVA, des cotisations familiales, des cotisations retraite ou des taxes écologiques, ainsi que de la non-indexation des barèmes de l'impôt sur le revenu (ce qui constitue un moyen peu visible d'augmenter les taux d'impôts, donc un moyen peu honnête vis-à-vis des contribuables).

Mais ces incertitudes sur les décisions futures nous font toucher du doigt l'une des caractéristiques malfaisantes de la fiscalité : à tout moment l'État peut, de manière arbitraire, augmenter le taux d'un impôt sur n'importe quelle activité ou n'importe quelle catégorie de contribuables. Ceci crée un climat d'incertitude nuisible au climat des affaires (mais aussi à la tranquillité d'esprit des citoyens, qui se sentent constamment menacés). On peut ainsi dire que l'État – surtout en France – est devenu la principale source de risque, lui qui prétend avoir pour rôle d'assurer la stabilisation économique !

Mais le gouvernement dispose-t-il encore de marges pour accroître les prélèvements obligatoires ? On est tenté à juste titre de dire qu'on a atteint un point indépassable du point de vue économique puisque la France est probablement le pays du monde où le poids des prélèvements obligatoires est le plus élevé (sans que cela accroisse le bien-être des citoyens, bien au contraire). Malheureusement, le gouvernement n'est pas sensible à ces "marges économiques", il est plutôt sensible à des "marges politiques", c'est-à-dire qu'il considère a priori et à tort que les richesses créées par les individus sont une ressource inépuisable et immuable et qu'il suffit de puiser dedans en minimisant le coût politique, c'est-à-dire en mécontentant le moins de gens possible. De là vient, par exemple, le taux fameux et aberrant de 75% de l'impôt sur le revenu : on peut toujours trouver une majorité heureuse de brimer une minorité…

Qui seraient alors les foyers fiscaux visés ?

Pascal Salin : Pour les raisons qui viennent d'être soulignées, le gouvernement s'efforcera de cibler les hausses d'impôts sur des catégories limitées, par exemple les titulaires de revenus ou de patrimoines importants. Les discussions sur la politique familiale sont typiques de ce point de vue : d'une part on impose une progressivité très forte et confiscatoire pour l'impôt sur le revenu ou l'ISF et, d'autre part, on parle de réduire les avantages – par exemple les allocations familiales – pour les revenus les plus élevés. Mais cette "chasse aux riches" (ou même aux revenus moyens), en-dehors de son caractère immoral, a des conséquences fâcheuses : elle diminue les incitations à entreprendre, à épargner et à investir, ce qui réduit la croissance et tout le monde en pâtit. Et il est par ailleurs tragique qu'environ un quart des jeunes Français souhaite s'expatrier parce qu'ils ont le sentiment qu'on a tué, en France, l'espoir d'une véritable amélioration de son sort grâce à ses efforts personnels.

Pour essayer d'apaiser les inquiétudes éventuelles de l'opinion au sujet des hausses d'impôt envisagées, Jean-Marc Ayrault a déclaré (le 17 avril) que la fiscalité des ménages ne serait concernée que par la TVA. Mais, ce faisant, il est, une fois de plus, créateur d'illusions. En effet, ce qu'on appelle à tort les impôts sur les entreprises sont en fait répercutés sur les individus (salariés ou propriétaires) et c'est bien eux qui en supportent intégralement la charge. Tout impôt est nécessairement un prélèvement sur le pouvoir d'achat des ménages.

François Tripet : Le gouvernement va épargner les foyers modestes, car la recette est faible et l’effet social est catastrophique. Le choc fiscal va concerner la classe moyenne, celle qui a élue à 90% François Hollande. Elle va payer le plus lourd tribut. La classe aisée sera peu touchée car elle a subi le double choc Sarkozy/Hollande, donc il ne reste plus que la classe moyenne.

En 2014, les prélèvements obligatoires représenteront 46,5% du PIB, soit un nouveau record. Quelles seront les conséquences probables d'une telle hausse ?

François Tripet : Tout ce qui est enlevé pour pouvoir couvrir la dépense publique est ôté à la consommation. Quand la consommation est réduite à nue concurrence, soit le consommateur puise dans son épargne pour compenser et maintenir sa consommation ou soit il ne le fait pas. En période de peur, on ne touche pas à son épargne. Donc la consommation retirée par les impôts ne sera pas compensée.

Pascal Salin : Le gouvernement n'a malheureusement pas conscience qu'il coince les Français dans un terrible cercle vicieux : l'augmentation des impôts réduit la croissance, donc les recettes fiscales, d'où une nouvelle aggravation du déficit public, qu'on essaie à nouveau de résoudre par des augmentations de taux d'impôts et la création de nouveaux impôts. Les Français sont ainsi condamnés à une très longue période de stagnation et de chômage pendant laquelle ils verront l'État et les organismes dits sociaux confisquer une grande partie du fruit de leurs efforts. Mais les conséquences de cette terrible spoliation fiscale ne sont pas seulement économiques, elles sont destructrices de la personnalité en créant des frustrations, des inquiétudes et des sentiments de révolte. La France est dans une situation où l'impôt tue l'impôt et où la politique sociale détruit la société.

Comment expliquer que malgré les annonces de François Hollande lors de son récent entretien télévisé, la décision ait finalement été prise d'augmenter la pression fiscale en 2014 ? Est-ce le signe d'une aggravation soudaine et/ou anticipée de la situation française ?

François Tripet : C’est une aggravation de la situation française. La France à une énorme force d’inertie, lorsque la Président a lancé un certain nombre de mesures il espérait que le retour sur mesure se ferait dans un délai d’un ou deux ans. A l’évidence il se fera dans un délai plus long - entre 3 et 5 ans. Il a sous-estimé la force d’inertie de la structure économique et sociale française.

Pascal Salin : C'est, bien sûr, le signe d'une aggravation de la situation pour les raisons exposées ci-dessus. Mais c'est aussi le signe de l'extraordinaire incompétence de ce gouvernement qui a une vue purement comptable des problèmes économiques et qui est incapable de comprendre les véritables fondements de l'activité humaine.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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