Réseaux : la France a-t-elle perdu la main au Maroc ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Recruter de nouvelles têtes est une obsession quotidienne pour les responsables marocains en poste en France.
Recruter de nouvelles têtes est une obsession quotidienne pour les responsables marocains en poste en France.
©Reuters

Séduction

Le président François Hollande est arrivé au Maroc, mercredi 3 avril. Une visite d'Etat de deux jours en présence de 60 patrons français.

Ali  Amar

Ali Amar

Ali Amar est journaliste marocain. Il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire.

Il est l'auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc et de "Paris-Marrakech, luxe, pouvoir et réseaux"

Voir la bio »

Atlantico : Trois mois après sa visite en Algérie, François Hollande se rend au Maroc ce mardi. Paris est le premier partenaire économique du Maroc en matière d’investissement et d’échanges commerciaux. Qui sont les réseaux franco-marocains (entreprises, politiques, stars du show biz, etc..) ? Comment s’organisent-ils ?

Ali Amar : La galaxie des réseaux franco-marocains tisse sa toile dans tous les secteurs de la vie publique française. En recenser tous les acteurs est une tâche impossible tant la liste est longue, changeante et semée de zones d’ombre. Des cercles d’influence économiques où l’on retrouve les grands patrons des entreprises du CAC40, toutes représentées au Maroc, aux stars du show-biz comme Jamel Debbouze en passant par les politiques qu’ils soient de gauche ou de droite ou au cœur de l’intelligentsia intellectuelle et médiatique, la tribu des « amis du Maroc » constitue à n’en pas douter un des plus puissants lobbys oeuvrant pour un Etat étranger. La liste des amis de la monarchie a beau être très fournie elle ne l’est jamais assez vu de Rabat. Recruter de nouvelles têtes est une obsession quotidienne pour les responsables marocains en poste en France. Nous en décryptons les rouages, Jean-Pierre Tuquoi et moi-même dans notre récent ouvrage «Paris-Marrakech, luxe, pouvoir et réseaux».

Ces cercles s’organisent en plusieurs catégories dont les intérêts se chevauchent. Il y a d’abord les individualités, natifs du Maroc et/ ou familiers des hautes sphères royales et qui en sont les plus laudateurs. D’autres plus opérationnels, agissent dans des club d’amitié à l’Assemblée Nationale par exemple, au sein de think tanks comme l’obscur Observatoire des Etudes Géopolitiques de Charles Saint-Prot, dans les universités, dans les instances économiques, patronales ou autres. La plupart sont choyés par le royaume par des séjours tous frais payés dans les palaces de Marrakech, obtiennent des distinctions, des avantages en nature et profitent de prébendes locales, loin des mœurs républicaines. En France, ils ont leur grande messe qu’ils célèbrent dès que le calendrier ou l’actualité l’exige, au club d’amitié France-Maroc du Sénat par exemple ou lors de pompeux colloques où le Maroc est souvent décrit comme un îlot de stabilité et de dragon économique maghrébin.

Quelle est l’origine de la relation entre les élites françaises et marocaines ? Les relations ont-elles évolué en fonction des présidents ?

Il faut tirer les fils de l’histoire de la collusion des élites françaises et marocaines à l’époque d’Hubert Lyautey, résident de la république au Protectorat du Maroc, qui avait, en monarchiste refoulé, tenu à façonner et inculquer une certaine idée de la notabilité à la française aux grandes familles marocaines. De cette fusion originelle est née une sorte de consanguinité des élites des deux rives. La forte présence de la culture française à travers les écoles, lycées et instituts a perpétué cette reproduction des élites francophiles qui généralement parachèvent leurs études supérieures en France et se retrouvent propulsés dans la haute administration, les entreprises publiques ou privées etc.

Le Maroc qui a toujours eu une préférence pour la droite française incarnée notamment par Jacques Chirac qui entretient des liens quasi-familiaux avec la famille royale, puis par la Sarkozye avec qui le roi partage un goût prononcé pour le luxe et l’affairisme a su après une brêve parenthèse difficile sous Mitterrand domestiquer la plupart des cadors du PS. Il est très rare aujourd’hui de trouver des critiques du Maroc au sein des écuries présidentielles qu’elles soient de l’UMP ou du PS. Avec Hollande, Rabat a su séduire une nouvelle génération de socialistes que l’on retrouve en charge de portefeuilles-clé comme Pierre Moscovici qui s’est acclimaté au Maroc du temps de sa proximité avec DSK, de Najat-Vallaud Belkacem qui a même siégé un temps dans une instance royale en charge de l’immigration soulevant un vent de polémique sur cette surprenante double casquette ou Manuel Valls qui a été décoré d’une des plus hautes distinctions chérifiennes.

Les relations entre la France et le Maroc dépassent-elles le cadre institutionnel et acceptable entre deux pays malgré le poids de leur histoire commune ?

Ces relations sont d’une telle singularité qu’elles dépassent même en comparaison les liens institutionnels qu’entretient le Royaume-Uni avec les Etats membres du Commonwealth. Un comble pour une république, patrie des droits de l’Homme avec une monarchie féodale de droi divin. Ces relations ne sont pas acceptables car elles procèdent souvent de l’achat des consciences. Le Protectorat français sur le Maroc de 1912 à 1956 ne justifie pas au nom de l’Histoire une telle connivence qui, bien souvent, se traduit par une interdépendance dommageable tant certains faits sont niés et qui permettent au pouvoir absolu marocain d’être habillé des oripeaux propres à tromper ceux des étrangers, Français en premier, qui ne demandent qu’à l’être.

Peut-on parler de «relations incestueuses» et de «corruption» ?

Incontestablement, les relations franco-marocaines sont incestueuses. Elles le sont parce-qu’elles font fi du respect des règles démocratiques les plus élémentaires. La France est consciemment aveugle des turpitudes du régime marocain et fait malheureusement caisse de résonnance à sa propagande, notamment par rapport aux supposées avancées démocratiques que connaîtrait le pays. Cette situation ne s’explique que par l’indulgence des élites françaises qui justement entretiennent des liens d’intérêts constants et profonds avec les premiers cercles du pouvoir royal.  Je crois en effet que l’on peut parler de corruption morale qui dans de nombreux cas s’accompagne de corruption effective.

François Hollande, connu pour son tropisme algérien, a su garder avec les Marocains une relation plus distante. Peut-il assainir les relations avec le Maroc ?

La marge de manœuvre de François Hollande est bien marginale face à la formidable machine franco-marocaine qui agit depuis des années au cœur même de la république. Son style se démarque certes d’un Sarkozy qui, d’escapades  privées en visites officielles, était devenu un intime du monarque marocain, mais sur le fond, Hollande ne dérive pas de la position française qui soutient mordicus Rabat sur ses dossiers les plus épineux comme celui du Sahara Occidental. Hollande connu en effet pour son tropisme algérien, s’est d’ailleurs souvent satisfait de «la transition démocratique exemplaire du Maroc» sans y apporter la moindre nuance et sans évoquer les sujets qui fâcheraient son allié, notamment sur les aspects sécuritaires, sur les atteintes répétées aux droits de l’Homme, sur la détérioration manifeste des faibles acquis en matière de liberté d’expression, sur la suprématie du Trône sur les institutions et sur la prédation économique de Mohammed VI et de son entourage immédiat et la corruption généralisée qui atteint les marches du Palais. Hollande n’a pas la latitude de défaire cette dangereuse connivence, quitte à faire que la France soutienne à bouts de bras cet allié maghrébin que l’on voudrait parfois moins encombrant, mais qui comparé aux autres régimes arabes, est, selon l’Elysée et le Quai d’Orsay, après tout acceptable. Une doctrine qui, rappelons-le, avait mené au fiasco avec la Tunisie de Ben Ali…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !