Est-il vraiment souhaitable que maris et femmes se partagent les tâches de manière absolument égale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pourquoi les femmes s'occupent-elles toujours des tâches ménagères ? Un anthropologue américain apporte quelques réponses...
Pourquoi les femmes s'occupent-elles toujours des tâches ménagères ? Un anthropologue américain apporte quelques réponses...
©Allociné

Qui fait le ménage ?

Un anthropologue américain, David Graeber, estime dans un récent ouvrage que les échanges humains sont régis par une logique de dette. Un principe qui aurait aussi des conséquences sur la répartition des tâches ménagères au sein du couple moderne...

Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : Dans son récent ouvrage Debt: the First 5,000 Years (Dette : les 5000 premières années), l'anthropologue américain David Greaber estime que la majorité des échanges humains sont régis par une logique de dette. Les tâches ménagères seraient-elles devenues quelque chose que l'on doit à son conjoint ?

Gérard Neyrand : C'est une façon de voir les choses, effectivement. Dès que l'on naît, on se retrouve en situation de dette, on est en dette de vie à l'égard des personnes qui nous ont fait naître, ce qui d'ailleurs peut expliquer un certain nombre de problèmes pour les personnes qui naissent sans connaître leurs origines biologiques. On est aussi en dette par rapport à la société qui nous accueille, donc cette question de la dette est de toute façon très présente dans les échanges humains. C'est une façon comme une autre de concevoir les rapports homme-femme.

Mais c'est quand même une façon restrictive de concevoir ces rapports car la caractéristique des relations privées est telle que contrairement à d'autres relations, la logique du don est très présente. Et ce qui est caractéristique de la logique du don, c'est qu'un don met l'autre en situation de dette, même s'il ne s'agit pas d'une dette de type économique. C'est là qu'on retombe effectivement sur une approche anthropologique.

Si l'on tenait un journal visant à établir un équilibre parfait dans la répartition des tâches, ne rentrerait-on pas dans une logique de "pointage" qui ferait perdre de vue l'aspect humain et, en un sens, imprévisible, de la vie en couple?

On peut penser cela, effectivement, même si par rapport à la logique égalitaire à l'intérieur du couple, il est tout à fait légitime de penser qu'il faut répartir les tâches.

Le couple est inscrit dans un fonctionnement social, avec des positionnements par rapport au marché du travail et à l'intérieur du couple qui font que les positions des uns et des autres sont rarement égalitaires. Souvent, un des deux membres du couple travaille à l'extérieur plus que l'autre, et donc la logique de partage égalitaire doit tenir compte des investissements professionnels. Il s’agit ainsi d'avantage d’une logique de répartition égalitaire sur l'ensemble des tâches contraintes. Cette logique n'est pas forcément volontaire. On connaît les difficultés que les femmes rencontrent pour parvenir à une position professionnelle équivalente à celle des hommes, même si la situation s'est beaucoup améliorée.  

Cela peut expliquer en partie le moindre investissement masculin par rapport aux tâches ménagères. Mais il faut être prudent : cela ne justifie pas  le fait que les hommes travaillent moins dans la maison que les femmes. Il s'agit simplement d'une explication de certaines logiques qui sont à l'œuvre. Si l'on prend le cas des personne qui sont l’une et l’autre en accord avec la logique d'égalité de répartition des tâches ménagères, on constate que même chez ces personnes-là, dans la pratique il n'y a pas égalité de répartition, car il n’y a pas en général égalité de positionnement dans le secteur professionnel extérieur. Je pense que cette logique d'égalité doit se penser globalement à l'intérieur du couple compte tenu des différents types d'activités contraintes.

On parlerait donc d'une répartition "à la louche" et l'idéal selon lequel on pourrait atteindre une répartition parfaite serait impossible à atteindre ?

Cette logique comptable est évidemment très complexe puisque parfois, pour la même tâche on peut mettre un temps différent parce qu'on est plus ou moins éveillé ou fatigué. On peut toujours faire des moyennes, et selon la disponibilité des individus on  passera plus ou moins de temps.

C’est vrai que la logique comptable fonctionne mal dans la sphère privée, parce que les relations sont basées sur l’affectif et sur la dimension d’échange entre les partenaires. Le principe d’égalité n’est pas remis en question, mais il ne peut pas fonctionner sur une mesure de type statistique des répartitions, compte tenu de la complexité de la chose. Il n'est pas pour autant question de légitimer une inégalité des répartitions. Simplement, cela ne paraît pas très adapté à la gestion de la sphère privée.

La répartition égale des tâches ménagères est-elle une condition sine qua non de l’évitement des conflits au sein du couple ?

Ce n’est pas une condition, c’est quelque chose qui favorisera l’harmonie au sein du couple. Mais il y aura beaucoup d'autres sujets sujets à conflit dans le couple que celui au sujet de la répartition des tâches ménagères. Il y a de multiples possibilités d’entrer en conflit, donc même une gestion harmonieuse dans la répartition des tâches ne garantit pas la bonne marche du couple. Ceci dit, une gestion peu harmonieuse est effectivement un bon indicateur de difficultés possibles. Qu’il y ait un écart de répartition très important dans le couple risque fort de provoquer des conflits, mais s’il y a égalité effective cela ne suffit pas non plus à éviter complètement les conflits. Le couple n'est pas une mécanique. Il s'agit d'une chose plus complexe dont les activités sont un des éléments. Ce sont les représentations et les affects en jeu qui conditionnent largement l’harmonie dans le couple.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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