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Le PS va-t-il devoir chercher un nouveau souffle à l'extrême gauche ou au centre ?
Le PS va-t-il devoir chercher un nouveau souffle à l'extrême gauche ou au centre ?
©Reuters

Alliés de circonstance

Attaques de la gauche contre François Hollande, cote de l'exécutif en berne... Le Parti socialiste et ses alliés vont-ils devoir chercher un nouveau souffle à l'extrême gauche ou au centre ?

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Tandis que Jean-Luc Mélenchon et les Verts haussent le ton, les attaques contre le président de la République se multiplient dans son propre camp. Le député Pascal Cherki, issu de l’aile gauche du PS, reproche à François Hollande de diriger la France comme un conseiller général. A-t-on franchi un cap dans la remise en cause du président de la République ?

Thomas Guénolé :Sous la Ve République, il y a toujours eu des critiques contre le chef de l’Etat dans son propre camp, voire des rivalités déclarées : le « oui, mais » de Valéry Giscard d’Estaing à De Gaulle, les tensions entre Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas, Jacques Chirac contre Valéry Giscard d’Estaing, Michel Rocard contre François Mitterrand, Nicolas Sarkozy contre Jacques Chirac… C’est donc un phénomène à relativiser.

Pour autant, la Ve République, en pratique, c’est une monarchie élective où l’essentiel repose sur le président de la République. À cet égard, c’est la première fois que le chef de l’Etat est attaqué sur son aptitude à exercer la fonction, a fortiori aussi rapidement au cours de son mandat. Cela correspond d’ailleurs à un doute, une inquiétude, ressentis par la majorité des Français. De fait, autant Nicolas Sarkozy était rejeté pour des problèmes de comportement, autant François Hollande est en train d’être rejeté sous l’angle de la compétence.

Jusqu’à quand François Hollande va-t-il pouvoir tenir l’équilibre gouvernemental actuel ? À moyen terme, va-t-il devoir redéfinir son jeu d’alliance ?

D’un point de vue purement pratique, il n’a besoin que d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale pour pouvoir gouverner. Les députés socialistes ou assimilés et écologistes y suffisent. Or, les satellites du PS ont besoin de lui, indispensablement, pour espérer conserver leurs sièges aux élections locales et européennes à venir. Au delà des postures prises à telle ou telle occasion, le risque de fracture dans cette majorité est donc assez faible.

En mars, la cote de popularité de François Hollande, déjà très faible à droite, baisse également auprès des sympathisants de gauche avec respectivement 42 % de satisfaits au Front de gauche (contre 55 % en février), 77 % au PS (contre 79 %) et 47% (contre 53 %) chez les Verts. Dans ce contexte, peut-on imaginer une recomposition du paysage politique à gauche, notamment autour de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon ?

Il est certain que François Hollande, et au-delà le Parti socialiste, sont politiquement en danger, et ce pour trois raisons principales.

Premièrement, l’endettement du pays, la stagnation de la croissance, et les engagements européens signés, les obligent à une politique d’austérité, ce qui est impopulaire. C'est le syndrome NIMBY, "not in my backyard" ("pas dans mon jardin"): la majorité des Français sont pour que des efforts soient faits, mais les rejettent viscéralement dès que cela les touche individuellement. Réservoir d'impopularité, la politique d'austérité affaiblit donc le Parti socialiste face à sa concurrence.

Deuxièmement, la concurrence dans l’offre politique existe sur trois fronts : Jean-Luc Mélenchon à gauche, l’UMP à droite, et Marine Le Pen dans le rejet non-aligné. Cela favorise l’affaiblissement du Parti socialiste, puisqu’à tout type de mécontentement correspond une offre politique. Heureusement pour François Hollande qu’aujourd’hui l’UMP est en crise de leadership, sans quoi sa situation serait encore pire.

Troisièmement, la "communication sans message" du président de la République aggrave sa situation. Il tient en effet un double langage : d’un côté il annonce des mesures relevant d’une politique d’austérité – allocations familiales conditionnées au revenu, retardement de l’âge de la retraite, etc. –, et de l’autre... il nie conduire une politique d’austérité. Ce flou sur le cap de sa présidence entretient une inquiétude, voire une angoisse, donc un rejet, dans la population, dont tout un pan voit ses conditions de vie se détériorer rapidement : prix à la pompe, prix du panier de courses, loyer, énergie, taxes, etc.

Dans ce contexte, il est logique qu’un sentiment de flottement à la tête de l’Etat soit très mal reçu par les électeurs. Cependant l'hémorragie n'est pas à direction unique : Jean-Luc Mélenchon peut en profiter politiquement, mais aussi Marine Le Pen et, sitôt sa crise interne stabilisée, l'UMP.

À l’inverse, François Hollande peut-il se rapprocher du centre alors que François Bayrou ne cache plus son souhait d’entrer au gouvernement ?

Il pourrait le faire, mais d’un point de vue tactique cela ne présenterait aucun intérêt pour lui. Au Parlement, le Mouvement démocrate de François Bayrou ne pèse rien, donc cela ne changerait rien en bien pour la majorité actuelle. En revanche, cela poserait des difficultés immédiates avec la frange très à gauche d’Europe Ecologie -Les Verts, sans parler de Jean-Luc Mélenchon qui dénoncerait immédiatement un gouvernement passant au centre-droit.

Par ailleurs, l'extrême centre incarné par François Bayrou est nettement affaibli par la renaissance de feue l'UDF sous les traits de l'UDI de Jean-Louis Borloo : l'essentiel des anciens cadres du Mouvement démocrate s'y sont ralliés. De fait, au contraire de l'UDI, François Bayrou va au devant de très grandes difficultés pour parvenir ne serait-ce qu'à boucler ses listes de candidats pour les municipales et les européennes.

Gauche-centre voire gauche-droite : a-t-on observé ce type de grande alliance centrale ailleurs en Europe ?

Oui, mais à chaque fois cela a été imposé par les résultats des élections : typiquement, en Allemagne, le premier mandat d’Angela Merkel fut une grande coalition centrale gauche-droite uniquement faute de majorité claire à gauche ou à droite, d’où un gouvernement central par défaut. En France, le mode de scrutin à l’Assemblée nationale a été pensé il y a plus d’un demi-siècle précisément pour empêcher d’en arriver à cette situation.

Dans le contexte de crise actuel, le clivage droite/gauche est-il toujours pertinent ? Quels sont les nouveaux points de clivages ?

Le clivage binaire gauche-droite n’a jamais correspondu à la réalité. En fait, l’espace politique français est multipolaire, avec cinq pôles : extrême droite, droite, centre, gauche, extrême gauche. À cela s’ajoutent des zones frontières : pour ne prendre que deux exemples, la gauche et l’extrême gauche cohabitent dans Europe Ecologie-Les Verts, et depuis quelques années, la droite et l’extrême droite cohabitent à l’UMP.

Cela étant, si l’on doit identifier les points de clivage aujourd’hui, ils sont résumables, en simplifiant, à deux axes : ouverture contre fermeture, et puissance publique contre individu. Dans le clivage « ouverture contre fermeture, » on trouve notamment l’Europe, la mondialisation, l’immigration. Dans le clivage « puissance publique contre individu, » on trouve notamment le rôle de l’Etat dans l’économie, le modèle fiscal, le type de protection sociale.

Une autre façon d’identifier les clivages est de répondre à la question : « qui est l’ennemi ? » La réponse varie selon le camp qui répond : les élites et les immigrés pour l’extrême droite, la pollution et le tout-pétrole pour Europe - Ecologie Les Verts, les riches et les banques pour l’extrême gauche, et ainsi de suite. D’ailleurs, comme toujours en situation de crise économique et sociale, l’essentiel du débat public actuel tourne autour de cette question : qui sera le bouc émissaire de la crise ?

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