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Internet fait-il émerger un nouveau type de tueurs en série ?
©Reuters

Scream

Le procès de Luka Magnotta, le dépeceur de Montréal qui avait posté sur Internet une vidéo où il massacrait son amant s'est ouvert la semaine dernière.

Stéphane Bourgoin

Stéphane Bourgoin

Stéphane Bourgoin est un écrivain spécialisé dans la criminologie et l'étude des tueurs en série. 

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Atlantico : Qui sont les serial killers d'Internet ?

Stéphane Bourgoin : Aux Etats-Unis notamment, mais aussi dans d'autres pays, on a constaté l'émergence d'un certain nombre de tueurs en série, qui utilisent des sites de rencontre entre individus comme Craiglist. On sait qu'il y a au moins trois tueurs différents qui ont approché des escort-girls pour les assassiner au travers de ce site internet. L'un de ces tueurs en série était d'ailleurs appelé le "Craiglist killer". Le plus célèbre d'entre eux est le tueur de Long Island dont on a beaucoup entendu parler l'an dernier, y compris dans les médias français : le Gilgo Beach Serial Killer. On a retrouvé les cadavres de prostituées qu'il a assassinées tout le long des plages de Long Island. Et ces prostituées étaient toutes contactées via des sites web de rencontre.

Je parle de cas américains car ils sont les plus nombreux et cet usage de sites de rencontre a généré plus d'affaires qu'en France par exemple, où il n'y a pas de cas connus de tueurs en série qui aurait utilisé internet pour entrer en contact avec ses victimes.

Là il ne s'agit pas du "snuff moving", une apparente commercialisation d'une vidéo extrême de meurtre, qui appartient au domaine de la légende urbaine. On voit ce genre de scènes dans un certain nombre de films, notamment A Serbian Film mais cela n'existe pas en réalité.

C'est en 2002 qu'un premier web-killer a été détecté en Europe. Il a été surnommé "le cannibale de Rottembourg" en Allemagne. A l'époque, Armin Meiwes, avait rencontré par l'entremise d'un forum, un homme qui voulait être dévoré vivant. La "victime" était un ingénieur de Siemens, Bernd Brandes. Sans Internet, ce crime n'aurait jamais pu être commis, car ils n'habitaient pas la même ville.L'un habitait une grande ville allemande, l'autre une petite ville de Bavière. C'est donc grâce à Internet qu'ils ont pu se rencontrer et partager leur fantasme cannibale : l'un de dévorer un homme vivant puis de le dépecer - toujours vivant -, et l'autre d'être dévoré et de participer à la cuisson notamment de son propre pénis, préalablement tranché. La vidéo de ce dépeçage a été postée sur Internet, et a créé le buzz. Des internautes ont bien tenté d'alerter les autorités, mais celles-ci n'ont pas cru à la véracité de la vidéo dans un premier temps. C'est d'ailleurs exactement ce qui s'est passé pour le crime de Luka Magnotta, pour lequel un avocat avait prévenu les autorités sans succès : elles croyaient que c'était un film gore. Il y avait aussi cet autre cas en Europe, qui inspire directement Luka Magnotta : un trio (avec un participant passif), surnommé "les maniaques". Ils ont posté une vidéo "Two guy and a hammer" qui est toujours disponible sur Internet. On les voit commettre le meurtre abominable d'un vieil homme à coup de marteau, de tournevis et de pierre. Il est évident que Luka Magnotta s’est inspiré de cette vidéo pour la sienne et notamment pour le titre de son "oeuvre".

Pourquoi cette utilisation de la vidéo ?

Cette utilisation de la vidéo est liée à la volonté des tueurs en série de devenir célèbre. Les maniaques de Dniepropetrovsk ont expliqué qu’ils voulaient garder des souvenirs pour leurs vieux jours. Pour Magnotta, il y a la volonté de choquer pour devenir célèbre au travers de son crime. Comme il le dit dans un blog intitulé serial killer nécrophile désormais effacé d’Internet par les autorités québécoises, il avait des fantasmes nécrophiles. Dans ce blog,  il expliquait  avoir visité un cimetière de l’Ontario à l’âge de 11 ou 12 ans et avoir été troublé de manière érotique par un cadavre qui dépassait d’une tombe. Par ailleurs, Luka Magnotta a tout raté dans son existence. Il a été recalé en tant qu’Escort boy, puis en tant que candidat à une émission de télé réalité. Il a aussi prétendu qu’il était une star du porno gay alors qu’en réalité, il a joué dans des productions minables tournées en direct  vidéo où il ne fait qu’une apparition et où il n’arrive même pas à performer sexuellement. Luka Magnotta était donc dans une recherche de reconnaissance permanente : il aura adopté 120 identités virtuelles différentes, animé 70 pages Facebook et créé une vingtaine de sites internet tout en abondant la planète entière de commentaires sur lui-même.

Peut-on parler de folie ?

Non, il y a préméditation. Luka Magnotta était organisé, donc responsable de ses actes. Quelqu’un d’irresponsable et souffrant d’antécédents psychiatriques ne pourrait pas imaginer et même faire un tel buzz autour de son propre crime. Il va jusqu'à utiliser Internet pour faire la promotion d’une vidéo qui n’existe pas encore. En effet, quelques jours avant de passer à l'acte meurtrier, il a annoncé sur des blogs que, bientôt, une vidéo absolument extraordinaire serait disponible en ligne et qu'elle s’appelleraitOne lunatic, one ice peak. Tout avait été prémédité. Dans l'un des courriers qu'il a fait parvenir à un parti politique canadien, avec des parties de corps de sa victime, il a glissé une lettre d'accompagnement - qui n'a pas entièrement été rendue publique - et qui annonçait "maintenant que j'ai goûté au sang, j'ai envie de recommencer".

Quelle est la part de responsabilité d'Internet ?

Elle est immense. Je crains que d'autres personnes s'inspirent de ces histoires et se lancent dans l'imitation. Des cas sont recensés dans le monde entier. Je peux déjà vous donner l'exemple de Marc Twitchell, un jeune homme qui avait une page Facebook sous le nom de Dexter Morgan, le héros de la célèbre série. Il annonçait sa volonté de passer à l'acte en imitant les crimes commis dans cette fiction, sauf qu'il l'a faite via une petite annonce sur Internet, en se faisant passer pour une jeune femme. L'un des deux hommes ayant répondu à l'invitation est parvenu à s'échapper, l'autre a été massacré dans le garage du tueur puis dépecé comme l'a été l'une des premières victimes du héros Dexter.

Internet est un tremplin pour les tueurs en puissance. La vidéo de Magnotta a été visionné sur certains sites par 11 millions d'internautes... Le nom des tueurs font le buzz et trop de gens sont curieux, parfois même excités par ce genre de vidéos. Malheureusement les autorités ne peuvent pas interdire des sites qui ne sont pas créés sur le territoire. Le "deep web" est truffé de vidéos bien plus terrifiantes que celle de Luka Magnotta. Les gangs de narco-trafiquants mexicains notamment mettent en ligne les décapitations de leurs prisonniers, parfois des massacres à la tronçonneuse.

Existe-t-il un nouveau genre de tueurs en série ?

Sans nul doute. Ce sont ceux qui rêvent de passer à la postérité grâce à Internet. Y compris ceux qui ne sont pas serial killers. Il y a également les tueurs de masse : Anders Breivik en Norvège,  Eric Harris et Dylan Klebold au collège de Columbine (USA) pour ne citer qu'eux, ont posté leurs vidéos sur le web. Vidéos dans lesquelles ils se mettaient en scène s'exerçant avec des armes à feux par exemple. Ils ont également posté leurs testaments, des manifestes, etc. Ces tueurs, au lieu de se suicider seuls dans leur coin, vont s'en prendre au plus grand nombre de personnes... La seule façon d'enrayer ces phénomènes serait que les médias refusent de publier les testaments numériques des tueurs ou leur nom.Car c'est exactement ce qu'il veulent ! Il faudrait parler d'eux en n'employant que leur prénom ou leurs initiales. C'est d'ailleurs ce que fait la Suisse depuis plusieurs années. A nous de nous en inspirer.

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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