L'Europe en panne : ces pistes qu'il faudrait accepter de suivre pour enfin relancer l'Union<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs pistes existent pour relancer l'Union européenne.
Plusieurs pistes existent pour relancer l'Union européenne.
©Reuters

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Les dirigeants européens se réunissent à Bruxelles ce jeudi pour un sommet consacré à la compétitivité. Une énième réunion des chefs d'Etat qui ne suffira probablement pas à répondre à la crise que l'Europe traverse.

Jean-Luc Sauron,Mathieu Mucherie et Gérard Bossuat

Jean-Luc Sauron,Mathieu Mucherie et Gérard Bossuat

Jean-Luc Sauron est professeur à Paris Dauphine et président de l'Association des Juristes Européens.

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Atlantico : Un énième sommet européen s’ouvre à Bruxelles ce jeudi. Les réunions entre chefs d’État se succèdent sans qu’un projet européen à long terme n’émerge. Les pays en difficultés ne semblent pas s’en sortir et les populismes montent, comme le prouve les résultats des élections italiennes. Les dirigeants européens actuels manquent-ils d’une réelle vision d’avenir ?

Mathieu Mucherie : Les dirigeants officiels ne dirigent rien. Toutes les questions importantes (quand va-t-on enfin se décider à faire comme tout le monde du quantitative easing ? quand va-t-on enfin se décider à faire comme tout le monde des taux à 0% et de la forward guidance c'est-à-dire un engagement net et transparent en faveur d’une détente monétaire durable ? autrement dit, quand se décidera-t-on enfin à dévaluer ?) sont hors de portée des politiques, et pas seulement parce qu’ils n’y comprennent rien : tout le pouvoir monétaire, bancaire et de plus en plus budgétaire (via le chantage aux aides), appartient à la BCE. C'est-à-dire à 23 hommes non-élus, non-économistes et non soumis à de vraies obligations de transparence ou de responsabilité (ceux qui ont monté les taux en 2008 et en 2011 n’ont jamais été sanctionnés, pour ne prendre qu’un exemple). Eux ont une vision mais, pas de chance, c’est une vision à 180 degrés de ce qu’il faudrait faire, une vision qui aurait effrayé Jacques Rueff, Milton Friedman ou Irving Fisher, une vision digne de la Bank of Japan des années 90 : orthodoxie de bazar (austérité à contre-temps), paranoïa inflationniste, créditisme borné, refus de tout pre-commitment, croyance dans une "moyenne" zone euro, homologie entre euro cher et euro fort. Tout le reste, tout ce qui peut se dire à Bruxelles ou à Strasbourg (la Commission est démonétisée, le Parlement est une blague) n’a strictement aucune importance et d’ailleurs ne provoque plus la moindre émotion sur les marchés.  

Jean-Luc Sauron : L'exigence formulée à l'encontre des sommets européens, d'apporter absolument la solution définitive aux difficultés rencontrées, est absurde. Qui attend du communiqué de presse du Conseil des ministres en France une semblable réponse ? La crise que traverse l'Europe politique est celle tout d'abord des démocraties nationales. Le système européen tel qu'il fonctionne aujourd'hui a été pensé par des hommes formés au début du XXIe siècle pour un monde clos (le monde bipolaire capitaliste/communiste), non globalisé et où les affaires politiques étaient gérées par des élites restreintes en nombre. Aucune de ces caractéristiques n'est vraie aujourd'hui.

Gérard Bossuet : Oui, on ne cesse de le dire, la base consensuelle en faveur de l’unité européenne s’effrite dangereusement. Aucun projet européen n’a été présenté au public. Les dirigeants européens manquent de projet. Ils sont incapables de donner à l’Union un sens à son action. Que ce soit les dirigeants nommés de l’Union ou les élus nationaux, que peuvent retenir les peuples européens sinon toujours plus d’austérité sans qu’ils sachent à quoi va servir cette politique ? Au minimum les opinions publiques aimeraient savoir comment les dirigeants européens, ensemble, d’un commun accord, seront capables d’inventer  des formes nouvelles d’économie et comment le budget qu’ils ont adopté va servir à relancer l’innovation économique afin de donner du travail aux millions de chômeurs européens. Ils ont dégagé fin juin 120 milliards d'euros. Comment ces sommes sont-elles utilisées ? Qui en rend compte ?

L’Europe qui a longtemps été un horizon pour les peuples semble aujourd’hui en panne. Comment relancer le projet européen ?

Jean-Luc Sauron :  C'est tout un nouveau monde à construire: sa classe politique, son histoire et l'articulation entre les États et l'Union européenne. Tout cela demandera du temps et impose de sortir d'une pensée magique où le politique, surtout national, aurait la solution et les pouvoirs de la mettre en œuvre. L'Homme prométhéen européen est mort : il n'est plus le maître de sa destinée et de celle du monde. C'est tout une éducation politique des élites et des populations nationales qui est à imaginer. Tout le discours actuel sur l'Europe sonne faux : les solutions demanderont du temps, peut-être celle d'une génération; elles ne pourront s'organiser que dans un cadre collectif européen qui respecte le fait national propre à nos vieilles constructions étatiques européennes; elles doivent se projeter dans un monde globalisé où l'Europe n'a pas de place garantie.

Il faut sortir l'homme européen de la caverne platonicienne dans laquelle il est enfermé, celle où il vit au milieu des illusions de sa puissance passée. Cela ne veut pas dire que l'Europe n'a plus son mot à dire aux affaires du monde, bien au contraire les autres pièces du puzzle mondial ont besoin de nous pour qu'il puisse prendre sens. Mais l'ère qui s'ouvre est celle fondamentalement celle de l'instabilité et du changement. C'est tout le système politique tant national qu'européen qui doit s'y adapter. C'est en cela que les difficultés matérielles rencontrées (unanimité notamment) pour la rédaction et la révision des traités européens devraient trouver une réponse adaptée aux contraintes liées aux caractéristiques du monde globalisé qui est définitivement le nôtre.

Mathieu Mucherie : Ce qui fonctionne dans l’intérêt de tous, c’est le Traité de Rome plus l’Acte unique, en gros le marché unique, tout ce qui a été fait jusqu’en 1991 (à l’exception de la PAC depuis un bon moment), donc la fin des frontières. Ariane OK, Erasmus OK. L’intergouvernemental, l’élargissement, oui, et puis on pouvait envisager plusieurs vitesses (les cercles concentriques, la gestion par projets) et même pourquoi pas une monnaie commune (pas unique, commune). Tout ce qui est fait depuis Maastricht (en gros, l’euro, car le Pacte de stabilité et ses avatars ne sont que des tigres de papier) relève au mieux de l’expérimentation hasardeuse (la plupart des spécialistes des questions monétaires étaient plus que sceptiques), et sans l’accord des peuples (ratifier un Traité qui nous engage pour plusieurs générations avec 51% des voix, ça ne passerait pas pour de la démocratie même à Caracas). On s’étonne ensuite de voir la réaction hostile des peuples, y compris les plus europhiles (Italie, Espagne…), mais les taux de chômage seraient-ils aussi hauts si la possibilité de dévaluer avait été maintenue ? En fait il n’y aura aucune relance du projet européen si l’on ne touche pas au design et au management de la zone euro. Et cela semble impossible car il faut l’unanimité, c'est-à-dire l’Allemagne, (autrement dit la Bundesbank)…

Gérard Bossuat : La notion de panne est curieuse, car les institutions fonctionnent. Mais elle a l’avantage de manifester le peu d’enthousiasme pour une gestion à court terme des instances communautaires. On constate un peu plus chaque jour les ravages de la crise économique : des centaines de milliers d’emplois sont détruits chaque année, les budgets sociaux s’envolent, tandis que grossit le nombre d’assistés. Les nouveaux postes de travail se trouveront dans les services et dans les secteurs innovants  de l’économie verte, dans les laboratoires de recherche ou dans les petites entreprises créées à l’initiative de jeunes inventeurs. Institutionnellement, il faut accepter, ou se résoudre pour certains, à faire fonctionner l’Union européenne d’une façon plus fédérale qu’auparavant, en raison de la permanence de la crise économique. Est-il encore possible d’avoir 27 ministres de l’économie et des Finances ? A tous le moins une coopération renforcée est-elle indispensable entre les pays de la zone euro. Mais pour légitimer les partages de souveraineté, les citoyens européens ont besoin de s’exprimer démocratiquement par leurs élus du Parlement européen et des Parlements nationaux. Les élections au Parlement européen devraient se faire sur des listes transnationales partisanes ; les responsables politiques de l’Union : président de la Commission, président de l’Union, Haut représentant pour les Affaires étrangères et de défense devraient être élus par le Parlement européen après une campagne électorale publique. Un impôt européen devrait aussi être institué de façon à donner au Parlement européen la possibilité d’exercer de véritables responsabilités politiques. Ainsi le système politique européen serait-il plus lisible qu’aujourd’hui.                                                                                                            

Quels peuvent être les différents leviers pour repartir de l’avant ?

Mathieu Mucherie : On devrait inviter les élites à lire des livres : si l’Amérique s’en sort moins mal et plus tôt que nous, c’est en partie parce qu’elle a confié les rênes à Bernanke, qui a lu plus de bons livres que l’ensemble des bureaucrates de Francfort. Pour un Français, lire par exemple Christian Morel, Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Ou Jacques Rueff, Le pêché monétaire de l’Occident. Ou les articles d’Erwan Mahé, ou ceux de Gérard Thoris. La crise européenne est, au fond, une crise intellectuelle, la crise du relativisme culturel dont le bastion est largement européen désormais. Comme l’a très bien dit Benoit XVI : « La crise que traverse aujourd'hui l'Occident est due au sentiment qu'il est impossible de connaître la vérité ».

Gérard Bossuat : Comment envisager une relance européenne sinon en réfléchissant aux réformes institutionnelles envisagées plus haut ? La situation depuis 2008 est telle que l’Union européenne risque de s’effondrer. Il n’y a aucun élan nouveau. L’Union pare au plus juste les conséquences de la crise financière et économique. Elle reflète les hésitations des chefs d’État et de gouvernement qui au final s’enfoncent dans le déni. Une sorte de coup d’État anti-européen de certains Etats est possible. Assommés par des règles impossibles à tenir de rigueur budgétaire, ou par une exposition trop rude à la concurrence non communautaire, les classes politiques risquent de basculer dans le rejet démagogique des contraintes de l’Union. Le discours univoque de la chancelière allemande en faveur de la rigueur offre peu de possibilités de moduler les nécessaires ajustements qui ne doivent pas tuer la croissance. Celui du président français n’a pas la force de persuasion suffisante pour entrainer l’ensemble de la zone euro vers un gouvernement économique européen et surtout vers une relance économique d’un type nouveau.

Le thème du sommet est la compétitivité européenne. Mais est-il vraiment possible de rendre l'Europe plus compétitive alors que chaque pays poursuit des intérêts économiques différents ?

Mathieu Mucherie : La "compétitivité" (si ce concept a un sens, ce que les économistes réfutent en bloc) c’est la capacité à vendre de bons produits pour pas trop cher, si j’ai bien tout compris. Pour cela il faut innover et/ou maitriser les coûts, autrement dit réaliser des gains de productivité ce qui ne se décide pas dans un conclave d’apparatchiks européens mais qui relève des choix d’entreprises privées sur la longue durée. Il semble que nous soyons collectivement dans une impasse sur le plan de la productivité en zone euro, pour diverses raisons (par exemple, nous devions être l’économie de la connaissance d’après l’agenda de Lisbonne mais cela fait rire la terre entière). C’est bien pourquoi il ne reste que la dévaluation. Ce n’est pas infamant. Ce n’est pas une voie gauchiste (ou alors Poincaré en 1928 et De Gaulle en 1959 étaient des mélenchonnistes avant l’heure ?). C’est la voie de la raison. Mais comme la BCE ne veut pas en entendre parler et que seule sa voix importe, il faudra comprimer les coûts par une hausse du chômage un peu partout sauf en Allemagne jusqu’à un taux de 15 ou de 18% susceptible d’effrayer toutes les négociations salariales. Cela va prendre du temps et cela va faire souffrir plein de gens. Mais peu importe : l’euro restera cher, donc l’honneur de la BCE sera préservé.

Le moteur franco-allemand est-il indispensable ? En l'absence de la France, l'Allemagne seule peut-elle être un moteur suffisant ?

Mathieu Mucherie : Les duopoles font rarement du bon travail pour la collectivité. La France se comporte comme un satellite monétaire depuis un quart de siècle, ce qui ne lui rapport pas grand-chose (les taux ne sont pas plus hauts au Royaume-Uni, en Suisse ou en Suède, des pays monétairement libres) et ce qui lui coûte beaucoup et de plus en plus (mais certains n’ont pas encore compris que notre industrie ne vaut pas et ne vaudra jamais l’industrie allemande). On feint de prendre pour modèle un pays qui a la croissance du Japon depuis 20 ans, et qui accumule un hors-bilan monstrueux (banques, sortie du nucléaire, démographie). De leur coté les Allemands n’ont que mépris pour le système collectiviste français, nos finances publiques pourries et notre marché du travail chiraquien. On voit mal comment ce "couple" pourrait servir de moteur à quoi que ce soit de bon. Il faut plutôt craindre une fuite en avant.

Gérard Bossuet : Comment imaginer uniquement une direction allemande de l’Union européenne ? L’originalité de la construction européenne a été d’associer étroitement, pour le bien commun, la France et l’Allemagne, symbole de la paix équilibrée retrouvée. Les Allemands ne manquent jamais de défendre âprement leurs intérêts économiques et commerciaux. Les hésitations françaises des années 70 portaient sur le risque d’une Europe monétaire allemande. Il a été surmonté grâce à l’intelligence de Giscard d’Estaing et de Schmidt puis de Mitterrand et de Kohl. C’est d’Allemagne et de France, pas de Grande-Bretagne, ou de Delors (1985-1995) que sont venues les grandes avancées de l’unité : système monétaire européen, accord de Schengen, Union politique de Maastricht, Marché unique. Mais ce moteur n’a de sens que si les deux protagonistes tiennent comptent des intérêts de l’autre partenaire. Or actuellement, l’Allemagne ne tient pas suffisamment compte des aspirations françaises en faveur d’une relance économique pour lutter contre le chômage.

Au-delà de la crise économique que traverse actuellement la zone euro, l’Union européenne semble souffrir d’un vrai déficit d’incarnation. Comment combler ce déficit ? Faut-il reconstruire l’Europe sur des bases moins technocratiques ?

Mathieu Mucherie : La réponse est hélas dans la question. On parle de "construction" européenne, c’est un vocabulaire constructiviste, Orwell 1984, le rêve de tous les petits planificateurs. Et maintenant voilà qu’on rajoute l’incarnation. Bah tiens. L’Europe était forte quand il y avait la concurrence, y compris la concurrence des monnaies, bref quand il y avait des signaux de prix et des structures décentralisées, avec des entrepreneurs et des actionnaires, pas des Herman Van Rompuy et des Yves Mersh.

Jean-Luc Sauron : La légende de l'Europe technocratique a la vie dure, mais ce n'est qu'une légende. Rien ne sort de "Bruxelles" qui n'ait été examiné et validé par les élus nationaux au sein du Conseil des ministres ou les élus européens au sein du Parlement européen. L'incarnation européenne se fera d'elle-même lorsque les États membres auront accepter l'émergence d'un "vrai" gouvernement européen en charge des affaires européennes pendant que les gouvernements nationaux resteront comptables des politiques nationales. L'heure est peut-être venue d'une redistribution des compétences entre les États membres et l'Union européenne qui tienne moins compte des hasards historiques et plus des nécessités politiques d'une gestion partagée des affaires d'intérêt commun aux 27, bientôt 28 États. Quant au fameux couple franco-allemand, il n'existerait pas qu'il faudrait l'inventer ! Il sert en réalité de "laboratoire" aux débats européens: les deux sont si antinomiques qu'ils recouvrent les intérêts des 25 autres. C'est pourquoi l'accord qui s'y conclut est ensuite accepté par les autres États européens.

Gérard Bossuet : Qui incarne l’unité ? Dijsselbloem (Eurogroupe), Draghi (BCE), Von Rompuy (présidence de l’Union), Ashton (Haute Représentante de la PESC), Barroso (président de la Commission européenne) ? Posez la question aux  hommes et femmes qui sont attentifs aux informations. Peu sauront les identifier. Le constat est fait que personne ne représente symboliquement l’unité européenne pour l’opinion publique européenne, actuellement. La personnalité qui pourrait incarner le "rêve européen" ne s’est pas encore manifestée. La condition pour la voir apparaître est sans doute une réforme des institutions permettant un débat public et contradictoire sur l’avenir de l’Union permettant, comme dans une campagne présidentielle en France, à des leaders de dialoguer avec l’opinion et d’afficher leurs convictions et solutions. Une élection au Parlement européen des députés sur listes partisanes transnationales pourrait peut-être favoriser cette émergence.

La reconstruction d’une Union européenne sur des bases  plus démocratiques est évidemment souhaitable. Ce n’est pas une raison pour déconsidérer systématiquement le système actuel qui n’est pas uniquement technocratique : il y a un Parlement élu au suffrage universel, des réunions politiques des chefs d’États et de gouvernement, des réunions de ministres, des décisions politiques prises par toutes ces parties. Mais il manque une transparence du système, obscurci encore par la multiplicité linguistique et par la complexité du mode de décisions.

La stratégie "des petits pas" de Jean Monnet qui consiste à avancer progressivement selon la méthode de l’intégration sectorielle (charbon et acier puis monnaie unique) en espérant une évolution naturelle vers le fédéralisme européen montre-t-elle aujourd’hui ses limites ? Ne faudrait-il pas associer davantage les peuples à la définition du modèle européen ? N’est-il pas trop tard pour le faire en période de crise ?

Jean-Luc Sauron : La méthode des "petits pas" renaît sous une forme moderne qui est celle des coopérations renforcées où un groupe d'États décident de monter une politique pour dépasser le blocage du nombre et en permettant, ensuite, aux autres États d'y adhérer jusqu'à ce que cette politique rassemble les 27 États membres. La question de l'association des peuples à la politique européenne n'est pas une question propre à cette politique. La question se pose également au niveau national. La période de crise que nous traversons - j'ai pour ma part l'impression d'avoir toujours vécu en période de crise ! - ne modifie en rien la difficulté des modalités d'association des peuples dans un espace européen divisé en nombre d'États et inséré dans un monde globalisé. C'est plus la constitution d'une nouvelle philosophie politique qui définisse ou produise les concepts politiques nécessaires à la bonne compréhension de la part des populations européennes des contraintes inhérentes à un monde où la souveraineté nationale n'existe que dans un cadre d'exercice partagé avec les autres États européens et dans une perspective globale où l'Europe n'est plus le centre du monde, ni au niveau économique , ni au niveau politique.

Gérard Bossuet : La méthode Monnet  de progression vers l’unité par les petits pas a le mérite encore aujourd’hui de rappeler que l’unité ne se décrète pas d’un coup. Monnet a cru possible de progresser par la méthode fonctionnaliste : faire l’unité de secteurs économiques particuliers : charbon et acier, énergie atomique, agriculture (dans le cadre de la CEE), commerce intérieur et extérieur, monnaie commune. Ainsi de secteurs en secteurs, atteindrait-on un degré élevé d’intégration qu’il suffirait de coiffer du chapeau de l’Union politique européenne. Il a cru ce moment arrivé quand les chefs d’Etats et de gouvernement ont créé le Conseil européen en 1974.. Il a pensé que la légitimité européenne commune serait incarnée par ce conseil. On voit qu’il est devenu une institution de gestion des intérêts contradictoire qui l’empêche de penser l’avenir et surtout de prendre des décisions constructives de relance faute d’accord entre 27 pays.

Du débat démocratique, dont on cherche encore les lieux de manifestation, naitra un nouveau modèle européen si les peuples et les États ne rejettent pas, par dépit, bêtise, inconscience ou impatience, les formes actuelles de l’Union européenne. L’Union européenne est le seul rempart sérieux à la dissolution de l’Europe dans la mer des intérêts nationaux ou régionaux. Si cela se produisait des guerres pourraient survenir mettant aux prises des régions contre des États, des minorités contre la majorité, des populations délaissées à des ensembles nantis. Il n’est pas trop tard pour que les chefs d’États et de gouvernement donnent un signal fort de prise en considération des attentes légitimes des peuples européens : la création d’emplois dans des secteurs d’avenir.

Les élites européennes semblent craindre tout recours au référendum. N’est-ce pas, pourtant, le seul moyen de transcender les clivages et d’indiquer une direction claire ? Si non, comment faire pour permettre aux peuples de se réapproprier l’Europe ?

Jean-Luc Sauron : L'idée du référendum est très franco-française. Tous les États en Europe ne disposent pas de cette possibilité de consultation populaire, voire certains s'y opposent compte tenu d'expérience historiques malheureuses (Allemagne, Espagne). Il est étrange en période de montée du populisme d'avoir une stratégie référendaire : cette dernière renforce et conforte les montées populistes. Le référendum peut être pertinent s'il vise à poser une question claire et déterminée, après un débat construit et à une population bien informée et qui répond à la question posée. Le référendum de 2005 sur la Constitution européenne est un parfait contre-exemple des conditions précitées. Il n'est d'ailleurs pas innocent que les forces politiques françaises qui se prévalent du résultat de 2005 et qui demandent un nouveau référendum sur l'Europe sont celles qui peuvent être classées parmi les forces populistes de droite (Dupont-Aignan, Marine Le Pen) ou de gauche (Besancenot ou Mélenchon). Pour permettre aux peuples de se réapproprier l'Europe, il conviendrait, parmi d'autres voies, pour commencer d'en assurer une connaissance plus approfondie (exposition régulière des institutions européennes et de leurs rôles, contenu des décisions prises) par le biais des médias grands publics (télévision et presse quotidienne régionale par exemple).

Mathieu Mucherie :Tant que la BCE sera indépendante sur le modèle Bundesbank, toute tentative de "réappropriation" ne pourra être qu’une mascarade. Je vous fais la traduction de tout ce baratin institutionnaliste new age : "oui mes amis, multipliez les colloques et les référendums et les commissions si vous voulez… pendant que les choses sérieuses, les choses à 1500 milliards d’euros, les choses systémiques, se décident sans vous, à Francfort. Dormez bien, braves gens". 

Gérard Bossuet : On sait que les questions posées à un référendum doivent être courtes. Souvent les votes servent plus à sanctionner une politique nationale que répondre au sujet posé. Pour se réapproprier l’Europe, les peuples doivent constater que l’Union contribue à leur bien-être, voire même à leur bonheur. Inconscients sans doute de ce qui a été fait, ils vivent une crise violente qui remet en cause les repères traditionnels : les emplois d’avenir ne sont plus ceux de la sidérurgie ou du raffinage du pétrole, les erreurs commises dans les dix années précédentes en terme de gestion budgétaire réclament une remise en ordre drastique des budgets des États, la protection des plus faibles s’est réduite, la solidarité intergénérationnelle et intereuropéenne est contestée. Quand l’Union affirmera par des voix autorisées quel genre de société et d’économie elle veut promouvoir, quand elle prendra les moyens de financer en appui aux États une nouvelle économie verte et innovante, alors les peuples se reconnaitront dans le projet européen du XXIe siècle.

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