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Les entreprises en révolte contre Bruxelles : la crise aura-t-elle raison de la protection de vos données personnelles ?
©Reuters

Big Brother

Vos données personnelles sur le web ont de la valeur. Environ 600 euros par personnes. Elles deviennent du coup de véritables marchandises qui nourrissent les gros groupes comme Google ou Facebook. Protéger les données c'est bien, en vivre c'est mieux.

Claude Vincent et Antoine Chéron

Claude Vincent et Antoine Chéron

Claude Vincent est rédacteur en Chef Adjoint aux Enjeux-Les Echos

Antoine Chéron est avocat associé du cabinet d'avocats ACBM. Son site : www.acbm-avocats.com

 

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Atlantico : Bruxelles veut garantir la protection des données, les entreprises opposent la crise économique à ce projet… Du coup, une vraie bataille s’est engagée : est-ce lié ? La crise peut-elle vraiment prendre le pas sur nos données personnelles ? A l’inverse, privées de données, les entreprises peuvent-elles couler ?

Claude Vincent :  Dans une négociation, chacune des parties joue ses pions et l'argument de la crise est traditionnellement utilisé pour lutter contre une tentative de régulation qui pourrait nuire au développement du business. Mais je ne crois pas que crise et  protection des données soient opposables frontalement. D'abord, l'open data n'est pas l'ouverture à tout vent de tout et n'importe quoi. Et de nombreux fichiers sont déjà accessibles sans qu'on le sache, qu'on s'en soucie mais surtout sans réelles conséquences dommageables. Ensuite, quelle est cette protection dont on parle ? S'il s'agit d'établir des règles de transparence et de clarté, d'accessibilité à ses données personnelles,  tout le monde a à y gagner. C'est le moyen de forger une relation de confiance dont toutes les parties prenantes peuvent espérer tirer profit. Être un "tiers de confiance" réputé à une valeur qui se traduit par plus de business, de valeur en bourse, d'attractivité des talents, etc... Ce qui donne les capacités de développer une offre plus pertinente. Peut-être un cercle vertueux, même si c'est légèrement idéaliste !

Antoine Chéron : La proposition d’un règlement européen sur la protection des données personnelles du 25 janvier 2012 vise un double objectif. Il s’agit de mieux protéger les données à caractère personnel des internautes, semées sur les serveurs des sites visités mais également, d’instaurer un climat de confiance dans l’environnement en ligne, essentiel au développement économique et à l’innovation technologique.

La garantie des données personnelles des internautes devenait urgente dans la mesure où il existe un fort constat d’inquiétude et de méfiance de la part des internautes quant à la collecte de leurs données personnelles, notamment  par les sites de réseaux sociaux : la finalité de la collecte et la durée de conservation des données ne sont pas suffisamment précises.

Tout en rappelant que la protection des données personnelles constitue un droit fondamental garanti notamment par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, le règlement (acte plus contraignant qu’une directive) renforce le consentement des internautes, il interdit la pratique de profilage, introduit la notion de portabilité de ses données personnelles d’un responsable de traitement de données vers un autre responsable de traitement et enfin il consacre le droit à l’oubli numérique.

Des sociétés commerciales ont protesté contre cette proposition de règlement. Il ne s’agit pas des géants du Net mais principalement de sociétés de marketing direct, textuellement citées par l’article 19 de la proposition de règlement : un droit d’opposition au traitement de ses données peut être mis en œuvre par l’internaute. En France, les organisations professionnelles représentatives de la profession ont adressé une lettre ouverte au gouvernement pour le mettre en garde contre le caractère disproportionné de ces mesures et des conséquences néfastes pour l’emploi dans la situation de crise que traverse l’Europe.

Or, cette protection accrue des données personnelles des internautes par l’Union européenne vise à instaurer un cercle vertueux : l’internaute rassuré sur le sort réservé à ses données personnelles sera plus confiant dans le commerce en ligne, ce qui favorisera l’investissement dans le numérique et l’innovation technologique

Il ne s’agit pas de priver les sociétés concernées des données personnelles des internautes mais de trouver un équilibre entre une meilleure protection de la vie privée des internautes (le règlement propose par exemple l’interdiction du traitement des données des enfants de moins de 13 ans sans le consentement de leurs parents) et le développement de la stratégie numérique de l’Europe.

L’ouverture des données publiques et personnelles constitue t-elle un levier de dynamisme économique ?

Claude Vincent : A priori, oui, l'ouverture des données publiques et personnelles peut constituer un levier de dynamisme économique. L'open data devrait favoriser, c'est tout du moins un des objectifs, le développement d'applications et de services de diverses natures, qu'ils soient marchands, gratuits, publics... basés sur le traitement,  la mise en forme, l'agrégation de données de diverses origines. C'est affaire de créativité, d'entrepreneurs. On est dans le même schéma que tout ce qui est "open", de l'open source à la free beer.

Antoine Chéron : Il suffit de prendre l’exemple de l’information géographique pour s’en convaincre. Aujourd’hui, nombre de sociétés technologiques ont su tirer profit des données publiques pour la création d’outils innovants. La publication des données collectées par l’Institut géographique national a par exemple  permis à des sociétés comme Geoconcept de développer de nouveaux outils liés à l’information géographique.

L’ouverture des données publiques et personnelles est source d’externalités positives : création de potentialité économique, de nouveaux besoins engendrés par la réutilisation des données. Il faut signaler que la réutilisation de données publiques ayant un caractère personnel est soumise au consentement des titulaires.

Précisons que pour le moment l’ouverture des données est le fait des collectivités et des établissements publics, les sociétés privées appréhendent pour le moment de diffuser leurs données, pour des raisons stratégiques essentiellement, même s’il existe des expertises pouvant faire le diagnostic des données diffusables et de celles qui ne le sont pas.

Quelles peuvent-être les conséquences de cet "open data" ?

Antoine Chéron :  Pour les acteurs du numérique, l’intérêt de l’open data est évident puisqu’ils vont être autorisés à réutiliser des informations ayant une valeur économique certaine. L’ouverture des données publiques constitue une avancée indéniable dans la transparence des activités des administrations et de l’Etat. En ce qui concerne les données à caractère personnel, la pratique de cession de fichiers clients entre sociétés commerciales est bien établie et ne fait pas l’objet d’interdiction dans la mesure où le consentement des clients concernés est obtenu. Ceci prouve que les données personnelles des internautes ont une valeur économique que les entreprises cherchent à s’accaparer.

On sait que nos données personnelles sont la matière première des géants comme Google ou Facebook : "la vie personnelle d'un Européen 'vaudrait' aujourd'hui plus de 600 euros", du coup les gouvernements s’apprêtent à introduire des mesures de taxation des données personnelles : quel manque à gagner cela représente-t-il pour les leaders du milieu ?

Claude Vincent : Il ne s'agit pas vraiment de manque à gagner, à mon sens. La quasi totalité des activités marchandes sont soumises au paiement de taxes. Faire "commerce" des données est-il si différent que faire commerce d'autres matières premières ou transformées, de services (restaurants, etc...) au point d'exempter de TVA, par exemple ? Les acteurs répercutent ces taxes sur leur prix. Les Goggle, Facebook ( qui ne paient pas ou quasiment pas d'impôts en Europe) et autres acteurs du data business feront peu ou prou de même. Quant à en mesurer l'impact sur le "client" final, c'est à dire nous, qui sommes les "produits" vendus - sous forme de publicités - c'est difficile à évaluer.

Antoine Chéron :  Le manque à gagner est difficilement mesurable dans l’hypothèque où la législation projetée se concrétiserait. Le rapport Collin et colin rendu public en janvier dernier a présenté quelques pistes pour imposer les grandes sociétés opérant sur Internet, notamment celles américaines, dans le cadre de l’exploitation des données personnelles des internautes français.

Le rapport suggère une taxe incitative en cas d’exportation de ces données hors de l’Union européenne : dès lors que les données personnelles sont exploitées en France mais enregistrées sur des serveurs implantés à l’étranger, elles donneront lieu à une contribution fiscale en France. Afin que la part contributive de chacun des acteurs concernés soit conforme au principe de l’égalité devant l’impôt, le rapport propose un tarif unitaire par utilisateur dont le montant dépendra du comportement de l’entreprise au regard de sa conformité aux obligations de collecte, de gestion et d’exploitation des données.

Il est donc difficile de déterminer le manque à gagner en pareille hypothèse. Toujours est-il que l’étude « The value of our digital identity », réalisée par Boston Consulting Group, spécialisé dans le conseil stratégique, apporte des éléments financiers intéressants sur la monétisation des données personnelles. L’étude met en avant plusieurs chiffres qui démontrent largement la mine d’or que représente l’exploitation des données personnelles, il précise ainsi que le chiffre d’affaires qui sera généré en Europe en 2020 par l’utilisation des données personnelles atteindra les 330 milliards d’euros.

Propos recueillis par Valérie Meret

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