Policiers : récit de l'interpellation du receleur de la place de Clichy<!-- --> | Atlantico.fr
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Les policiers parisiens doivent souvent faire face aux cambriolages.
Les policiers parisiens doivent souvent faire face aux cambriolages.
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que les cambriolages se succèdent à Paris, Patrice Lastère revient sur la prise de Joffo, le receleur vers lequel convergeaient tous les cambriolages de la capitale. Extrait de "Un flic passe aux aveux" (2/2).

Patrice Lastère

Patrice Lastère

Patrice Lastère est entré dans la police en 1973. Rapidement promu inspecteur principal puis commandant, il a travaillé plus de dix ans dans les locaux mythiques du 36 quai des Orfèvres. Il a participé, entre autres, à l’affaire Mesrine, à celle de l’enlèvement du baron Empain, et plus récemment à l’arrestation du gang des Postiches.

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Dans la capitale, les cambriolages se succèdent. J’y reconnais plusieurs signatures. Certains sont opérés la nuit en escaladant les façades d’immeuble et en pénétrant par les balcons et fenêtres, et je crois pouvoir affirmer que ces monte-en-l’air sont des Yougoslaves. D’autres préfèrent forcer les portes à la plume en début d’après-midi, et ce sont fréquemment des Roms. Les plaintes s’accumulent, les déclarations s’amoncellent.

[…]

Dans la police, quand survient ce genre de fièvre, il faut se souvenir d’une règle simple : pas de voleurs sans qu’il y ait au bout de la chaîne un receleur, un fourgue comme on dit chez nous. La brigade de répression du banditisme interpelle un Yougoslave d’une quarantaine d’années, un type qui a du métier et sait y faire dans les relations publiques.

L’homme connaît bien ses affaires, et nos archives de délinquants le connaissent également. Le chef de groupe lui propose quelques assouplissements s’il a des informations utiles à nous fournir. Le type ne réfléchit pas longtemps, il balance l’endroit et l’heure exacte à laquelle nous pourrions serrer le plus gros fourgue parisien de l’époque, Maurice Joffo. Nous faisons mine de soupeser ce tuyau, tout en cachant mal notre excitation. Ce fourgue est le point vers lequel convergent tous les cambriolages parisiens.

Nous saisissons la procédure, la cachons dans un tiroir. Notre nouvel indic comprend le message. Si ses informations nous sont utiles, on le laissera en paix ; si elles s’avèrent de piètre qualité, le tiroir s’ouvrira, la procédure suivra son cours légitime et il ira purger une peine pour ses vols. Le gars, un peu à cran, nous assure que s’il contacte le fourgue, celui-ci, connaissant la qualité habituelle de ses butins, se déplacera en personne pour les lui acheter.

[…]

Notre indicateur nous assure que le lendemain à 17 heures, place de Clichy, nous pourrons les voir en négociation et taper. Pour nous ce serait l’embellie, car cela fait plus de trois ans qu’on entend parler de Joffo et qu’il nous file entre les pognes. De plus, il envoie toujours un émissaire. Il n’a pas l’habitude d’apparaître en chair et en os sur le terrain de l’échange argent contre bijoux. On organise au plus vite un dispositif sérieux. Des poulets se font passer pour des piétons et arpentent la rue, tandis que je suis planqué dans une fourgonnette en soum.

[…]

À l’heure promise se gare une Mercedes grise, au volant de laquelle nous reconnaissons le patron des salons de coiffure et son épouse, Yveline, une femme corpulente d’une cinquantaine d’années, à l’allure élégante et assurée. Le couple ne paraît prendre aucune précaution. Il discute avec le voleur, Maurice saisit une loupe d’orfèvre et examine une à une les pièces scintillantes qui sortent de la bourse de notre indic. Yveline fait de même. Maurice semble content de la marchandise, il sort des billets de sa poche. Le marché se conclut. Le flagrant délit est évident. Nous sautons sur lui et sa femme.

[…]

Nous partons alors effectuer une perquisition au domicile des époux Joffo. L’appartement est spacieux, le mobilier cossu. Il nous faut prendre garde à ne pas écraser la joncaille au sol, tant il y en a qui traîne. Des colliers accrochés aux poignées de porte, des bagues, des billets, des bracelets, des pierres… Le trésor est incroyable. Fascinés, nous ramassons, ramassons, et repartons avec près d’un million d’euros de bijoux dont un solitaire en poire de huit carats inestimable, un autre de quatre carats, que notre expert valorisera à six cent cinquante mille euros, un porte-cigarettes Van Cleef and Arpels serti de rubis, d’émeraudes et de diamants.

Maurice Joffo est odieux, il se plaint dans la voiture qui le ramène au 36, clame son innocence, nous promettant les pires avanies… Nos nerfs prennent un sérieux coup de lime, mais je tiens, ayant en mémoire les conseils avisés du boss. Le receleur et son épouse sont interrogés à la brigade. Mon diplomatique patron, surnommé « Notamment » à cause de son usage abusif de cet adverbe classieux, si soucieux des bonnes manières, perd vite son calme. Il lui balance une paire de claques retentissante. C’est moi qui dois le prier d’arrêter car nous pourrions avoir des ennuis. L’indic, que nous avons laissé filer opportunément lors de l’interpellation, nous rappelle et s’enquiert de ce que nous avons trouvé lors de la perquisition. Il éclate de rire lorsque, fiérots, nous lui disons en avoir rapporté pour un million. Et les plinthes ? Et derrière le lit ? Nous partons pour une seconde perquise, et trouvons presque autant de joncaille que la première fois, cachée en effet dans les plinthes et dans la tête de lit.

Maurice Joffo sera déféré devant le juge d’instruction Jean-Louis Debré, et sera condamné à une peine somme toute aimable : trois ans de prison. Sa femme est laissée libre. Seulement, quand nous apprenons qu’elle est partie fouiller dans son coffre en Suisse, on s’inquiète qu’elle puisse aller s’installer au Brésil ou cacher des preuves. Elle sera brièvement incarcérée.

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Extrait de "Un flic passe aux aveux", JC Lattès Editions (février 2013)

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