Yahoo rapatrie au bureau ses travailleurs à distance : bonne ou mauvaise idée ?

Atlantico : La directrice générale de Yahoo Marissa Mayer a récemment sonné la fin du télétravail dans l'entreprise en demandant à ses employés de revenir au bureau. Cette méthode de travail présente-t-elle des limites ?  

Frantz Gault : Chez Yahoo, beaucoup de personnes étaient recrutées sur base de travail à temps plein, elles avaient effectivement peu de liens avec l'entreprise. Or, le télétravail ne doit pas être pratiqué à temps plein, mais une, deux ou trois journées par semaine. Cela permet de garder le lien avec l'entreprise,  de préserver la collaboration, l'échange et de bénéficier des avantages… du télétravail.

Beaucoup d'études ont mesuré très précisément les effets sur le travail des salariés qui exercent à domicile. En moyenne, leur productivité augmente de 25%. Les enquêtes ont été réalisées par des entreprises qui mis en place ce système comme Dell,  American express, British Telecom. Les effets se voient pour les fonctions intermédiaires où certaines tâches sont très mesurables et déjà très mesurées : le traitement de dossiers clients, la prise d'appels,… C'est sur ces fonctions qu'a été mesuré l'impact du télétravail.

Le travail est constitué de différents moments : on a parfois besoin de concentration pour rédiger un rapport, d'autres fois on a besoin de calme pour passer des appels. Mais à certains moments, la collaboration est nécessaire (c'est le cas en réunion ou lorsqu'on travaille sur des projets). La nature du travail change jour après jour dans le planning de  chacun et le télétravail est adapté à certaines situation : il est utile lorsqu'on a rapport à rédiger, ou qu'on doit appeler au calme. Cependant, lorsqu'on a des réunions ou des travails collaboratifs à faire, être sur place présente plus d'avantages. L'important est donc d'user du télétravail au bon moment, de bien planifier sa semaine.

Quels avantages présente le travail à la maison ?

Il a un impact sur le bien-être des salariés: l'absentéisme et le turnover (départ des salariés) baissent d'environ 20% chez les travailleurs dans les entreprises qui l'autorisent. Les entreprises citées ci-dessus l'ont prouvé, tout comme des boîtes françaises.

Il existe aussi d'autres effets bénéfiques sur le comportement du salarié : il apprécie plus d'être au bureau. Il sait pourquoi il y va, pour rencontrer des collègues, pour travailler et après deux jours de télétravail. Il est aussi plus sociable et plus souriant.  C'est quelque chose qui a été mesuré dans plusieurs entreprises, notamment chez Total. Quand on travaille trop au bureau, on peut perdre le lien avec des éléments informels du travail. L'espace professionnel  est un espace social, trop de télétravail va tuer les moments de rigolade à la pause café, les échanges d'informations informelles lors du déjeuner.  

Mais pour bien télétravailler, il faut déjà bien se connaître. Travailler par email ou par téléphone nécessite de connaître  les personnes avec qui on échange. C'est pourquoi la sociabilité est importante pour que le télétravail soit un succès. Se rendre au bureau permet aussi de maintenir les liens. C'est comme dans les relations de couple à distance, lorsqu'un conjoint va travailler à l'étranger. Cela marche lorsque l'on se connaît bien.

Quels filières et quels métiers sont les plus compatibles au télétravail ?

A part l'agriculture, toutes les filières peuvent pratiquer le télétravail. Il y a par exemple des "fonctions-support" dans l'industrie. Alcatel par exemple produit du matériel. Mais il y a des comptables, des communicants, des juristes, des financiers, quelque soit le secteur il y a toujours des fonctions-support qui peuvent travailler. On pourrait même imaginer que les femmes de ménage télé-travaillent. Elles peuvent faire leur rapport d'activité une demi-journée  par semaine à la maison.

La France est-elle en retard dans ce domaine ? De qui devons-nous nous inspirer ?

On entend souvent dans les médias que la France est en retard, et qu'il n'y aurait  que 8% de télétravailleurs. Le problème est que ce chiffre date de 2006 (il est issu d'une étude Gartner) et qu'il est régulièrement repris dans les rapports gouvernementaux. Nous avons mené l'année dernière une enquête nationale sur le télétravail, sur 1400 personnes. Le résultat de cette étude montre que sur la population active, il n'y a plus 8% mais à 16,7% des actifs qui pratiquent au moins une journée par semaine le travail en dehors du bureau. En termes de chiffres, la France n'est pas si en retard comme ça.

Cependant, la France a un retard dans la culture managériale. Nous restons très "management par présence, par l'horaire, le présentéisme". Les pays anglo-saxons usent du "management par l'objectif" : le manager fixe des objectifs à atteindre au jour le jour, ou d'une semaine à l'autre… L'important est de les remplir. L'important n'est plus de venir au bureau, ni d'être à l'heure, mais juste de remplir les objectifs. Peu importe si la personne travaille chez elle, ou non, la nuit ou le jour…La question du télétravail ne se pose plus pour les entreprises qui ont recours à ces méthodes.

Le directeur-général d'une société américaine de 4 000 salariés, Best Buy, a par exemple annoncé à ses employés il y a quelques années qu'ils pouvaient s'organiser à leur guise, du moment qu'ils atteignaient les objectifs. Au final une hausse globale de 22% de la productivité de l'entreprise a été observée. Sur ce point-là, la France pourrait donc s'inspirer un peu plus de ce qui se fait à l'étranger. C'est peut-être notre héritage culturel qui nous empêche de fonctionner comme ça. Lorsqu'on va en Belgique, en Allemagne ou en Angleterre, c'est différent.  

De façon plus générale, le travail n'est pas juste du travail, c'est un tiers de notre vie, de notre temps, mais aussi des joies, des peines, … C'est une des erreurs qu'il y a pu avoir chez Yahoo. Avoir des personnes 100% télétravail peut générer des problèmes.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois