Valls contre le rap agressif : attention danger, on ne contrôle pas la réalité en contrôlant les mots<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls souhaite réguler les vidéos de "rap agressif" sur Internet.
Manuel Valls souhaite réguler les vidéos de "rap agressif" sur Internet.
©Reuters

Wesh gros

Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls souhaite lutter, en particulier sur Internet, contre les paroles de rap "agressives" ou "insultantes" contre l'Etat, ou qui donnent une "image dégradée de la place de la femme au sein de notre société".

François  Saint-Pierre

François Saint-Pierre

François Saint-Pierre est avocat. Il consacre son activité à la défense pénaleIl est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le guide de la défense pénale (Dalloz), Avocat de la défense (Odile Jacob).

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Atlantico : Manuel Valls souhaite réguler les vidéos de "rap agressif" sur Internet en estimant que ces dernières sont une insulte aux forces de l'ordre et à la République. Ces intentions, louables en apparence, ne relèvent-elles pas d'une logique orwellienne ?

François St-Pierre : Avant tout, ce qu’il importe d’affirmer clairement, dans une démocratie, c’est la liberté d’expression. C’est le principe de base de tout Etat de droit. Relisez l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement". Il est vrai que ce texte se poursuit ainsi : "sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi". Autrement dit, la liberté d’expression est totale, mais en cas d’abus vous en répondrez devant les tribunaux si vous faîtes l’objet de poursuites. Et cela vaut pour tout le monde, quelque soit le mode d’expression : même les groupes de rap, y compris bien sûr sur le Web.

Est-il envisageable de défendre la liberté d'expression par une censure, même relative et encadrée ? 

L’organisation d’un système de censure des diffusions de clips de rap sur Internet paraît évidemment incompatible avec le respect de la liberté d’expression. Cela signifierait que le ministère de l’Intérieur disposerait d’un pouvoir d’interdiction de la diffusion des pages Web... comme en Chine ? La censure gouvernementale n’existe plus en France depuis longtemps et ce serait une fâcheuse régression de la ré-instaurer.C’est à la justice qu’il appartient de réguler la liberté d’expression, et non pas au gouvernement. Dans le passé, des groupes de rap ont déjà fait l’objet de poursuites pour outrage ou apologie de crime. De la même façon que les auteurs de provocations à la haine raciale ou religieuse, ou de propos négationnistes. Les juges appliquent alors la loi dans le souci constant du droit, et non pas suivant une stratégie politique. C’est à cette condition que les libertés sont assurées.

Le ministre de l'Intérieur affirme que ces vidéos de "rap agressif" sont "une provocation à la désobéissance" bien que ce terme n'existe que dans le code militaire. Un tel principe peut-il entrer légalement dans le code pénal ?

C’est exact : cette notion de provocation à la désobéissance ne constitue un délit qu’à l’égard des militaires, en temps de guerre ou dans le but de nuire à la défense nationale (code de justice militaire article L 332-1, code pénal article 413-3). A moins de vouloir mettre au pas la société civile toute entière et notamment ses banlieues, il est difficile de concevoir une telle incrimination. Je n’imagine pas le Parlement voter une telle loi... Ni le Conseil constitutionnel la valider ! Le gouvernement aurait bien tort de se relancer dans une multiplication des infractions, comme sous le quinquennat précédent - cela dit sans esprit partisan. Le code pénal contient bien assez d’infractions pour permettre aux procureurs de lancer les poursuites judiciaires qui doivent l’être (outrage, apologie de crime, incitation à la haine, etc.). A la justice de se prononcer ensuite, de manière indépendante, sans être contrainte de servir la politique répressive d’un gouvernement puis d’un autre, au rythme des alternances électorales. La surenchère sécuritaire est un facteur de trouble plus que de paix sociale.

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