Jusqu'où la théorie du genre a-t-elle pénétré la société française ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Je crois que nous avions besoin d’un véritable féminisme qui va éduquer les enfants au forceps et faire disparaître les différences éducationnelles.
Je crois que nous avions besoin d’un véritable féminisme qui va éduquer les enfants au forceps et faire disparaître les différences éducationnelles.
©

Schizophrénie ?

Utilisée comme argument pour justifier le mariage homosexuel, la théorie du genre est vite oubliée devant un tribunal qui juge de la nature des liens parentaux en cas de divorce. La France n'a-t-elle qu'une vision opportuniste du débat sur le genre ?

Vincent Cespedes

Vincent Cespedes

Vincent Cespedes est philosophe et écrivain.

Il est l'auteur de L'homme expliqué aux femmes ou encore de L'Ambition ou l'épopée de soi chez Flammarion.

Il tient une page Facebook ainsi qu'un blog.

Voir la bio »

Atlantico : La théorie du genre est un courant de pensée expliquant que le sexe sociologique de chaque individu est la résultante de choix personnels et d’influences extérieures plutôt que de biologie. Utilisée comme argument pour justifier le mariage pour tous, on constate pourtant que celle-ci est vite oubliée devant un tribunal qui juge de la nature des liens parentaux en cas de divorce. La France n'a-t-elle qu'une vision opportuniste du débat sur le genre ou est-elle totalement schizophrène ?

Vincent Cespedes : La théorie du genre nous vient de nos camarades anglo-saxons et propose une déconstruction de l’aspect biologique des catégories que sont le féminin et le masculin. Celles-ci sont considérées comme n’étant construites que sur une base sociale. Dans les faits, cette théorie n’est pas transcendante de nouveauté non plus puisque Simone de Beauvoir défendait déjà cette logique. Il est évident qu’il est dramatique de faire intervenir la biologie dans un jugement de divorce car bien qu’un père ne mette pas son enfant au monde, ni ne l’allaite, il ne lui est pas moins lié ou n’est pas moins important dans son éducation. De la même manière, la supposée douceur maternelle est tout à fait compensable par un père affectueux et tendre. Il existe cependant dans l’imaginaire commun une archaïque répartition des rôles qui a été ancrée de force dans nos cerveaux mais qui est mise à mal par le sentiment grandissant que les pères doivent avoir plus qu'un rôle de géniteur. De plus toutes les études montrent que la structure cérébrale d’une femme et d’un homme ne sont pas plus différentes que celles de deux hommes ou celles de deux femmes puisque 90% des connexions neuronales se mettent en place après la naissance. Sans pour autant nier les genres biologiques, il faut absolument casser la culture qui les entoure.

Quels usages les politiques en font-ils en France ?

Vincent Cespedes : Il est important de noter que nous avons depuis quelques temps une ministre du Droit des femmes. Celle-ci prône une totale égalité dans l’éducation des petits garçons et des petites filles qui correspond à la réalité à laquelle ils seront confrontés. Tout le monde dit que c’est une nécessité évidente mais des observations ont montré que même les professeurs les plus féministes donnent plus la parole aux garçons qu’aux filles tellement ces différences sont ancrées dans la culture commune du pays. Tous les professeurs, tous les parents, tous les éducateurs doivent affronter leur éducation pour sortir de ces clichés et mettre des dînettes dans les mains des petits garçons qui un jour feront le dîner pour leurs familles. Je crois que nous avions besoin d’un véritable féminisme qui va éduquer les enfants au forceps et faire disparaître les différences éducationnelles. A droite, le débat est rapidement clos car malgré un féminisme de surface, les femmes conservent un rôle subalterne. Cela prend la forme d’une mascarade dans laquelle on nous présente des "femmes fortes" comme MAM ou Rachida Dati mais qui n’ont rien de féministe. Cela dit, dans la gauche bon teint type Nouvel Obs et autres assimilés, c’est la même chose. Le féminisme de surface n’est pas uniquement l’apanage de la droite, la gauche sait faire aussi.

Ce débat dans son ensemble est-il la démonstration d’une société qui a fait de la science un mercenariat fournissant des arguments à géométrie variable ?


Vincent Cespedes : La psychologie est une science très humaine au même titre que l'économie. Il n'y a aucune espèce de lecture économique valable aujourd'hui. C'est pareil pour les psys. Leur analyse politique s'arrête là. Tous les psys et pédopsychiatres qui nous ont dit que nos malheurs venaient de maman, ce n'est qu'une mascarade de leçons de père de famille, et ça ne marche pas. Psychologiquement, il y a très peu de pensée, mais beaucoup de sondages. Les sondages ont remplacé la psychologie. Cela ne veut rien dire. La vraie science n'a rien avoir là-dedans. Certains promettent l'utérus artificiel, ils l'attendent toujours, et ils l'attendront encore au moins un siècle ou deux. La procréatique va exploser toutes les frontières, on peut déjà congeler ses ovules, on va multiplier les scénarios et ça va être une vraie bouffée d'air. On sent bien que le couple ne fonctionne plus, on a une grande part de lucidité. On a une grande part de créativité, et ce n'est surtout pas la science qui peut nous dicter quoique ce soit : quand la neuro-biologiste Lucy Vincent parle, c'est de la réaction des années 1920, il n'y a rien qui tient scientifiquement. Ce n'est que du magazine féminin en blouse blanche, on ne croit plus aux psys on fait donc appel aux scientifiques pour avoir des clés sur le couple. On veut des recettes. Mais aucune science ne peut justifier ça. Le mariage est totalement réactionnaire, que les homosexuels veulent se marier, pour les droits des enfants pourquoi pas. Se mêler de la vie des autres, c'est la définition du fascisme par Adorno : c'est à dire vouloir légiférer la vie intime des gens. On est actuellement totalement dans cette mouvance-là.

La France peut-elle réellement basculer vers une généralisation des genders studies comme s’en inquiètent certains ou son ADN culturel y est-il trop profondément opposé ?

Vincent Cespedes : Nous allons y venir car notre société va tendre vers une bisexualité intellectuelle qui nous mènera à pouvoir faire l’amour avec qui on veut sans pour autant ressentir le besoin de se revendiquer d’une préférence sexuelle précise. Les vingtenaires se défont déjà de plus en plus du sexuel et il y a déjà un gap avec les trentenaires dont certains sont encore assez homophobes et complexés par la sexualité. Je ne parle même pas des homos, je parle de l’ensemble d’une génération qui répondait en majorité dans un sondage récent qu’elle ne voyait aucun problème avec le fait d'avoir un fils ou une fille homo. L’homophobie comme le racisme n’est que le relent d’une crispation identitaire qui va disparaître avec le temps. C'est une question de génération. C'est aussi une question de tolérance, avec les vingtenaires qui arrivent, avec la tendance des réseaux sociaux, il y a une grande tolérance. On voit que les homosexuels ne sont pas des monstres, et peuvent être de bons pères. Les vies privées se partagent plus et, même si c'est dommageable à certains niveaux (frontière privée / publique), c'est une formidable avancée. Là encore, on doit se dire fier d'être homosexuel par réaction à l'homophobie. Quand l'homophobie n'existera plus, l'étiquetage 'homosexuel" ne voudra plus rien dire.

Vincent Cespedes animera, dans le cadre son Abécédaire philosophique, la conférence "P comme Passion" au Barrio Latino le lundi 25 février à 19h30.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !