La crise a-t-elle rendu les Français durablement plus pauvres ? (les Anglais, oui)<!-- --> | Atlantico.fr
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L'INSEE constate une stagnation du pouvoir d'achat en France depuis 2007.
L'INSEE constate une stagnation du pouvoir d'achat en France depuis 2007.
©Flickr/danielmoyle

Poches vides

Selon le gouvernement britannique, certains foyers ne se remettront jamais de la crise et ne retrouveront pas leur niveau de vie initial. Ce scénario peut-il s'appliquer à la France ?

André Babeau et Ronan Mahieu

André Babeau et Ronan Mahieu

André Babeau est professeur des universités, membre du Conseil d’administration de l’Institut pour l’éducation financière du public. Il est spécialiste des questions de l’épargne.

Ronan Mahieu est chef du département des comptes nationaux à l'Insee.

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D'après un article du Daily Mail, des millions de familles seraient condamnées à vivre dans une situation précaire après la crise économique de 2008. Citant l'étude d'un think tank, le site d'information britannique explique que les revenus des classes moyennes et des moins aisés seront inférieurs à ceux des années 2000-2010, et se placeraient au même niveau que ceux des années 1997-1998. Les revenus qui avaient atteint un pic en 2009 (une moyenne d'environ 14,08 euros l'heure) seraient redescendus à 12,88 euros l'heure, malgré les augmentations de salaires dont l'inflation a eu raison.

Un retour aux conditions de vie d'avant la crise ne pourra se faire que dans quelques années seulement, et des millions de familles pourraient ne jamais voir leurs finances se redresser.

Les ménages les plus touchés par cette situation difficile seraient ceux qui comptent principalement sur leurs revenus, et dont les deniers se situent en dessous de la moyenne, soit entre 13 790 et 35 500 euros pour un couple sans enfant. Ceux qui ont des revenus oscillant entre 19 500 euros et 47 000 euros avec deux enfants sont aussi classés dans cette catégorie...

Atlantico : Le gouvernement britannique a admis que certains foyers de la vieille Albion ne se remettraient jamais de la crise et ne retrouveraient pas leur niveau de vie initial. Qu’en est-il en France ? Quels effets concrets mesurables la crise a-t-elle eu sur notre niveau de vie ?

Ronan Mahieu : Ce que l’on peut globalement observer depuis 2008, c'est que le pouvoir d’achat des ménages par unité de consommation a très peu évolué. Si ce constat peut apparaître comme une certaine résistance à la crise, il est important de le mettre en perspective avec le fait que jusqu’à 2008 ce pouvoir d’achat progressait dynamiquement d’année en année.

Aujourd’hui, cette évolution, un peu à la baisse puis un peu à la hausse, se retranscrit à travers une consommation en volume atone et cela dans à peu près tous les postes de consommation. Enfin, si l’on tient compte de l’évolution des prix, le niveau de vie apprécié par le pouvoir d’achat stagne. Dans les faits, il a augmenté de 0,4% entre 2007 et 2011 ce qui est extrêmement faible, surtout en comparaison des Trente Glorieuses mais aussi jusqu’au milieu des années 2000.

L'Insee constate qu'il y a une stagnation du pouvoir d'achat en France depuis 2007. Que penser de ce résultat ? La France a-t-elle traversé la crise, ou n'y est-elle pas encore entrée ? 

André Babeau : En 2012, le PIB de la France a stagné, cela veut dire que le PIB par tête a reculé puisque la population française continue de croître. L’augmentation du pouvoir d’achat dès avant la crise était, pour une grande part, dû à la croissance des prestations sociales. Ce n’est plus possible maintenant, compte tenu des déficits sociaux. La reprise du pouvoir d’achat dépendra donc du seul dynamisme des revenus d’activité.

Le comportement financier des Français a-t-il changé depuis la crise de 2008 ? Comment se manifestent les évolutions ?

André Babeau :Face aux incertitudes, le taux d’épargne des Français a plutôt augmenté, mais leurs transactions sur les logements anciens ou neufs a beaucoup reflué, et donc leur recours au crédit également. Du point de vue de l’épargne financière, ils ont privilégié la sécurité, mais n’ont cependant pas abandonné l’assurance vie qui représente près des deux cinquièmes de leur patrimoine financier.

Quels sont les indicateurs à utiliser pour prendre en compte ces modifications de comportement ? Les indicateurs actuels suffisent-ils pour mesurer ces changements ?

André Babeau :L’Insee et la Banque de France disposent de bonnes batteries d’indicateurs. Mais à un moment où le nombre de ménages surendettés a tendance à croître, un indicateur fait défaut : le montant des remboursements (crédit habitat et consommation)supportés par les Français et qui représente sans doute environ 10% de leur revenu. Il serait intéressant de vérifier qu’en période de crise, les particuliers peuvent allonger leurs délais réels de remboursement, même en dehors des “rachats de crédits” formels.

Peut-on alors en conclure que la crise a rendu les Français durablement "plus pauvres" ? 

André Babeau :Pour le moment, nous en sommes à la stagnation ou au léger recul. Mais ce mouvement pourrait se prolonger pendant plusieurs années. La durée de cette période dépendra de la rapidité avec laquelle nous saurons remettre en question des évolutions qui pour certaines remontent à la fin des Trente Glorieuses.
Le pouvoir d’achat du revenu stagne ou recule, mais les patrimoines continuent de croître de façon ralentie. Seule une baisse significative des prix du logement pourrait faire reculer ce patrimoine. Du point de vue des acquéreurs de leur premier logement, une telle baisse est cependant souhaitable. Une telle situation pourrait se maintenir plusieurs années.

Est-il possible d'inverser cette tendance et comment ?

André Babeau : La reprise des revenus d’activité et la baisse du chômage dépendent de plusieurs conditions : la maîtrise des dépenses publiques qui permettra de faire reculer les prélèvements obligatoires (sociaux ou fiscaux), une compétitivité retrouvée qui, en facilitant les exportations, conduira au rééquilibre de nos comptes extérieurs, enfin une réforme du fonctionnement de l’Etat et des collectivités locales qui comporte des coûts trop élevés. Il faudra donc suivant l’expression consacrée, "donner du temps au temps". Demain ne sera pas un autre jour, plutôt après-demain...

Après cinq ans, les politiques et les économistes ne semblent pas pouvoir s’accorder sur la sortie de crise. Quelles sont les perspectives d’évolution du niveau de vie des Français ?

Ronan Mahieu : En dehors de cette augmentation / stagnation de 0,4% entre 2007 et 2011, les estimations non définitives pour 2012 montrent un acquis de croissance du pouvoir d’achat par unité de consommation négatif de 0,6%. L’orientation du pouvoir d’achat est plutôt à la baisse. A très court terme, la note de conjoncture de l’INSEE de décembre indique pour le premier trimestre 2013 une augmentation du pouvoir d’achat, du disponible brut des ménages de 0,6%. Si on met ce chiffre en perspective avec l’augmentation de la population et la déformation de la structure des ménages, c’est de l’ordre de la stagnation.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure et Ann-Laure Bourgeois

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