La Poste : championne des CDD abusifs<!-- --> | Atlantico.fr
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La Poste impose des conditions de travail de plus en plus insupportables à ses salariés.
La Poste impose des conditions de travail de plus en plus insupportables à ses salariés.
©Reuters

On a tous à y gagner (ou pas)

Contrats précaires à répétition, dépassements des horaires de travail non-rémunérés, chantage à la retraite anticipée... Thomas Barba explique comment La Poste impose des conditions de travail de plus en plus insupportables à ses salariés. Extrait de "Le livre noir de la Poste" (1/2).

Thomas  Barba

Thomas Barba

Thomas Barba est né en 1953 à Camas, en Espagne. Arrivé à l'âge de dix ans en France, il a été tour à tour magasinier, réceptionniste dans un hôtel et métallo avant de devenir poster, en 1983. Délégué syndical CGT puis Sud-PTT, il s'est formé seul au droit du travail jusqu'à devenir l'un des conseillers juridiques les plus redoutés de la direction de La Poste.

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Il se prénommait Didier, il était cadre supérieur à la Poste. Nous nous fréquentions depuis des années. Au début des années 2000, soumis à une pression professionnelle devenue sans limites, il s’est englouti dans son travail au point de ne plus connaître de répit. Soirées, week-ends, les exigences de l’entreprise se sont insinuées dans chaque millimètre de sa vie personnelle. Un temps, Didier a tenu. Puis il a craqué. En 2005, il s’est donné la mort, laissant une lettre d’adieu déchirante. "Mon activité professionnelle est la première cause : elle m’a broyé…" Saisi par sa famille, le procureur rendra un non-lieu en faveur de la Poste. Révoltée, l’une des filles de Didier ne le supportera pas. À son tour, elle mettra fin à ses jours.

Jean-Claude était facteur. À 45 ans, il souffrait d’un cancer à un stade avancé. Exploité depuis des années par la Poste, accumulant les contrats précaires, il s’est un jour résolu à saisir les prud’hommes. Il a obtenu gain de cause mais dans le même temps, la Poste l’a licencié pour inaptitude physique. Au terme de la procédure, la justice a accordé à sa famille des dommages et intérêts supérieurs à tout ce que j’ai pu voir devant les prud’hommes, pour un montant total de 91 000 euros. Jean-Claude, lui, a été emporté par la maladie avant de voir reconnue pleinement la justesse de sa cause.

C’est à eux, à leurs familles, et à toutes les femmes (car ce sont elles qui ont été les plus exposées) que j’ai défendus en tant que permanent syndical mais aussi à celles que personne n’a secourues, que je pense au moment d’entamer ce récit. Mais je pense aussi aux millions d’usagers de la Poste qui ignorent ce que vit réellement le facteur qu’ils croisent quotidiennement ou la guichetière qui les reçoit derrière l’hygiaphone de son bureau de poste.Puissent-ils prendre la mesure des pratiques managériales indignes autant qu’occultes que ce service public essentiel a fait subir à ses salariés depuis plus de deux décennies. Car la Poste impose des conditions de travail de plus en plus insupportables à ses salariés.

Cette dégradation de la vie au travail a atteint un niveau tel que les médecins de la prévention de la Poste ont jugé utile, en 2010, d’adresser une note particulièrement alarmiste à Jean-Paul Bailly, président du Groupe La Poste, au ministre du Travail de l’époque, Éric Woerth, à sa collègue de la Santé, Roselyne Bachelot, à celle de l’Économie, Christine Lagarde mais aussi au président du Conseil national de l’ordre des médecins et aux services de l’inspection du travail. Dans ce courrier édifiant, les médecins soulignent notamment que :

Des suicides ou des tentatives de suicide, dont on peut penser qu’ils sont exclusivement liés à des situations de vie professionnelle, surviennent dans toutes les régions, dans tous les métiers et aux différents niveaux de l’entreprise.

• Le taux d’absentéisme pour maladie atteint des seuils sans précédent.
• Les accidents de travail et les maladies professionnelles sont en très forte augmentation.
• Le mal être au travail touche tous les niveaux opérationnels de l’entreprise.
• Les agents de distribution sont confrontés à des situations d’épuisement physique et psychique liées aux nouvelles organisations du travail.

Regrettant au passage les pressions subies par eux-mêmes de la part de la direction, leur manque de moyens face à une situation d’urgence et un certain mépris pour leur travail, les médecins dénoncent plus précisément la quasi impossibilité des reclassements professionnels, la très forte pression commerciale individuelle et quotidienne exercée sur les guichetiers, une organisation du travail virtuelle en décalage avec la réalité sur le terrain, les dépassements des horaires de travail non-rémunérés, le chantage à la retraite anticipée, etc. Ainsi, pour le syndicat professionnel des médecins de prévention, derrière le soit disant "modèle social" vanté par la direction, "la Poste crée des inaptes physiques et psychologiques" ! Cette dernière phrase, terrifiante, démontre à elle seule combien la vénérable institution, glorifiée à travers ses publicités ("La Poste on a tous à y gagner !") et même certains films à succès (Bienvenue chez les Cht’is, notamment), est devenue une véritable "machine à broyer".

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Extrait de Le livre noir de la Poste (éditions Jaen-Claude Gawséwitch), 24 janvier 2013

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