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Où en est le livre numérique en France ?
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Viva la revolucion !

L'Université Paris-Dauphine organise ce mercredi deux tables rondes autour de la question "Livre numérique, chapitre 2 : une page qui se tourne pour le papier ?".

Hélène Védrine

Hélène Védrine

Maître de conférences de littérature française et responsable du Master "Métiers de l'édition" à l’université de Paris-Sorbonne, spécialiste du livre illustré au XIXe et XXe siècles

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Atlantico :  L'Université Paris-Dauphine organise ce mercredi deux tables rondes autour de la question "Livre numérique, chapitre 2 : une page qui se tourne pour le papier ?" Depuis l'apparition du premier livre électronique il y a dix ans, quel premier bilan peut-on dresser du secteur numérique en France ?

Hélène Védrine : Le marché du livre numérique a mis très longtemps à se développer en France et ne constituait qu’une partie infime du chiffre d’affaires de l’édition. En 2011, les ventes d’ebooks représenteraient moins de 1% des ventes totales de livres dans l’Hexagone, contre 7% au Royaume-Uni et 20% aux Etats-Unis. Cependant, depuis 2008, cette part ne cesse d’augmenter et la vente des ebooks atteint désormais 21 millions d’euros cette année, contre 12, 5 millions l’an dernier. En six mois, le nombre de Français ayant lu un livre au format numérique a presque triplé (on passe de 5% à 14 % de la population de plus de 14 ans). Certes, ces chiffres restent faibles mais sont en progression constante. L’évolution du marché du livre numérique va se mesurer mois par mois, au gré des avancées technologies. 

Quelles sont les dernières avancées technologiques en matière de livre numérique ? 

 Les avancées technologiques concernent en premier lieu les supports. Le livre numérique est véritablement entré en France avec l’augmentation considérable de la vente des smartphones, des tablettes et des liseuses (qui sont uniquement dédiées à la lecture, contrairement aux tablettes multi-usages et multi-médias). En ce qui concerne les liseuses, l’arrivée en France, en octobre 2011, du Kindle d’Amazon a entraîné dans son sillage d’autres offres, comme le Kobo associé à la Fnac, ou le Cybook du fabricant français Bookeen. Cependant, seuls 16 % de lecteurs de livres numériques possèdent une liseuse, ce qui correspond à peu près au pourcentage des grands lecteurs en France. Les lecteurs de livres numériques s’équipent plutôt en tablettes multimédias (37 %), ce que les éditeurs ne peuvent négliger. Ces derniers développent donc non seulement des livres numériques mais de plus en plus d’applications qui offrent une grande interactivité. Face à l’évolution des supports de lecture, les progrès technologiques concernent aussi les formats utilisés pour la fabrication du fichier numérique exportable. Le format PDF a longtemps été en usage, mais ne permet qu’une duplication (dite homothétique) du document original en préservant la mise en forme initiale. Depuis quelques années, c’est le format EPub qui  s’est imposé sur le marché du livre numérique. Il repose sur un contenu structuré selon les standards du web, et notamment le langage HTML (HyperText Markup Language), qui permet de baliser l’organisation d’un texte (où commence et finit un chapitre, un paragraphe, un titre de chapitre, un passage en italique, où se trouve une image, etc.). Ainsi, la présentation du texte peut s’adapter à tous les supports, en modifiant automatiquement la mise en page, la taille du texte, selon les contraintes du support ou les usages du lecteur. Chaque secteur ou type de livre privilégie un format, par exemple un simple EPub homothétique pour les textes de littérature, ou des formats plus complexes comme l’EPub 3 qui permet d’intégrer des contenus audios et vidéos, pour des livres interactifs et des contenus multimédias.

Selon une étude d’Opinion Way, plus de 80 % des Français sont encore réfractaires à la lecture numérique. Pourquoi ? Ce rapport au papier est-il une exception culturelle française ?

La précédente étude d’Opinion Way, effectuée il y a six mois, montrait que ce pourcentage de réfractaires était de 90 %. Cette diminution, même légère, est significative d’une évolution des pratiques et des mentalités. La France n’en reste pas moins loin derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, car le livre constitue en effet  une certaine exception culturelle. Il est le bien culturel préférés des Français (52% du marché, source GfK), et ceci grâce aux politiques de soutien du livre (loi sur le prix unique du livre, soutien aux librairies indépendantes, etc.) qui ont permis de maintenir une grande diversité éditoriale. Ceci explique l’attachement de la France à l’objet symbolique qu’est le livre, associé à son format papier, et la peur de voir le numérique transformer radicalement le livre et son contenu. On retrouve les mêmes craintes de dégradation du statut symbolique et culturel du livre que celles qui se sont exprimées lors de l’apparition du livre au format de poche. 

Peut-on imaginer que le livre numérique va à terme remplacer le livre papier, ou vont-ils coexister ?  

Ce n’est pas la première fois que l’histoire connaît une modification des supports de lecture. On est passé, au début du premier millénaire, du rouleau de papyrus (le volumen) à la forme codex (un livre fait de cahiers superposés). Ce changement de forme a accompagné un changement des usages (le livre sert à la consultation des textes et non seulement à leur conservation) et des pratiques culturelles. Le passage du support papier au numérique correspond à une évolution technologique et culturelle inévitable. Ce n’est pas le livre qui invente le numérique, ce sont toutes les pratiques culturelles liées à l’outil informatique, à internet et aux technologies mobiles qui obligent le livre à évoluer. Cependant, les modes mêmes de lecture et les modes de création vont changer, avec la possibilité d’inclure images, sons, vidéos, interactivité. Le codex s’est totalement substitué au volumen ; le numérique se substituera-t-il totalement au codex ? C’est la question de l’usage qui reste déterminante. Pensons à un autre domaine où les supports ont eux aussi changé durant les dernières décennies : la cassette a totalement disparu alors que le disque vinyle a survécu au CD car il a rencontré des usages contemporains précis (par exemple le scratching) et possède une grande qualité de restitution du son. On peut donc penser à une survivance du format codex et du support papier, sans doute aux deux extrêmes : d’une part dans le cadre de pratiques bibliophiliques où le livre restera un objet d’art, d’autre part dans le cadre de pratiques utilitaristes où le livre sera un objet immédiatement consommable. 

Sur Internet s’est installé le mythe de la gratuité de l’accès aux contenus intellectuels : la musique et la vidéo ont déjà perdu l’un la moitié, l’autre le quart de leur marché. Comment le passage au numérique modifie-t-il le business modèle classique de l'édition ? 

Les inquiétudes concernent tout d’abord les téléchargements illégaux. Selon la dernière enquête menée par Hadopi (Ifop/SSI, octobre 2012), le livre est très faiblement concerné par les pratiques illégales, sans doute par la nature du public concerné (plus âgé, moins équipé) mais aussi par l’environnement législatif important mis en place en France. Du point de vue économique, on imagine souvent que le passage au numérique devrait s’accompagner d’une baisse radicale du prix du livre à cause de sa dématérialisation. Aux Etats-Unis par exemple, le livre numérique est souvent 50 % moins cher que le livre papier. Or, la part liée à la fabrication ne représente que 15 % du prix total du livre. Les autres acteurs de l’édition restent bien présents. L’auteur bien entendu, qu’il faut rémunérer. L’éditeur, dont le travail éditorial de sélection, de conception et de correction reste toujours aussi fondamental, à quoi il faut ajouter les nouveaux frais liés aux technologies numériques (conversion des fichiers, stockage, protection, etc.). On aurait tort de croire que le numérique entraînera la disparition de l’éditeur. Ce serait oublier le rôle qu’il joue dans la transformation d’un texte en livre, dans sa promotion et au final dans sa « labellisation » au sein d’un marché de masse. Il ne faudrait pas oublier aussi la distribution et la vente. Celle-ci se fait certes en ligne et reste moins coûteuse qu’une distribution physique, mais elle est désormais la clé de voûte du système économique, dominée par de grands opérateurs peu enclins à rogner sur leurs marges. On peut bien entendu économiser sur chacune de ces phases, mais l’édition française a toujours veillé à protéger le droit des auteurs et des éditeurs (on se souvient sans doute des actions intentées en 2009 contre Google et son programme de numérisation massive ; en mars 2012 ont été adoptées de nouvelles dispositions du contrat d’édition pour l’adapter au contexte numérique)  et souhaite soutenir une distribution et une librairie numériques indépendantes.

Selon la Commission Lescure, le marché de l’édition électronique est loin d’avoir atteint ses objectifs. Quels seraient les moyens de l’améliorer ?  

Il y a trois enjeux fondamentaux auxquels le marché est confronté. Le premier est tout simplement celui de l’augmentation de l’offre légale. L’édition de livres numérique reste encore trop faible, même si certains secteurs comme l’édition scientifique, juridique et scolaire sont très avancés. La question de l’uniformatisation des normes et des standards est elle aussi fondamentale car elle permettra une meilleure accessibilité, quels que soient le support et le distributeur. Les constructeurs et les distributeurs ont en effet tendance à développer leurs propres formats pour s’assurer la dépendance d’un lecteur captif. Enfin la protection des droits d’auteur et de l’éditeur, ainsi que la protection du prix du livre. Le rétablissement de la TVA en janvier 2013 sur le livre à 5,5 % permettra sans doute de garantir la viabilité d’un marché instable (depuis 2008 et selon les années, la vente des livres oscille entre + 1 et -1%). On a contesté le fait que la loi du prix unique du livre, fixé par l’éditeur, puisse être appliquée au livre numérique (loi du 26 mai 2011). Elle a le mérite, dans la phase de transition que nous connaissons, de ne pas totalement déréguler le marché du livre numérique et elle suppose que les éditeurs seront pleinement conscients des nécessités nouvelles du marché.

                                                                                         Propos recueillis par Juliette Mickiewicz

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