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Les clés de la bataille pour Sciences Po
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Succession

Le comité de sélection a examiné le profil des 32 candidats qui briguent la succession de Richard Descoings à la tête de Sciences Po. Il présentera ensuite au moins deux candidats aux conseils d'administration et de direction de l'école.

Karoline Postel-Vinay

Karoline Postel-Vinay

Karoline Postel-Vinay est directrice de recherche au Centre d’Études et de Recherches Internationales de Sciences Po. Avec un groupe de collègues non-syndiqués, académiques et administratifs, elle a lancé à l'automne 2012 un mouvement pour la réforme de la gouvernance de Sciences Po, qui a recueilli un large soutien des personnels et étudiants de l'institution ainsi que de plusieurs syndicats.

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Le comité de recherche, qui doit présenter aux conseils de Sciences Po les noms d’au moins deux candidats aux fonctions de directeur de l’IEP et d’administrateur de la FNSP, s’est réuni. Il a examiné 32 candidatures. Elles étaient 30 le 31 janvier au soir, mais deux se sont ajoutées ayant été postées dans les délais impartis. Parmi ces candidatures, on dénombre 6 femmes et 26 hommes.

En raison des positions indiquées et confirmées par les pouvoirs publics, le comité n’a pas retenu la candidature d'Hervé Crès, tout en reconnaissant "la qualité exceptionnelle de son dossier et de son projet". A l’issue des auditions, le comité de recherche publiera la liste des candidatures soumises aux conseils.

Sciences Po traverse une crise. Tout a commencé avec l’affaire des bonus. En décembre 2011, Médiapart publie une enquête dans laquelle le site révèle les importantes sommes perçues par les dirigeants de l'Institut d'études politiques de Paris, dirigé par Richard Descoings. Un gros tiers des enseignants chercheurs permanents, 70 environ, écrivent alors une lettre pour expliquer leur malaise devant des pratiques peu transparentes.

Quelques mois après, en avril 2012, Richard Descoings trouve la mort dans des circonstances choquantes à New York. Hervé Crès est nommé administrateur provisoire, particulièrement par Michel Pébereau, président du conseil de direction et Jean-Claude Casanova, président de la fondation. En novembre 2012, la Cour des comptes rend un rapport qui épingle la gestion « défaillante » de l’école. C’est alors que la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, intervient. Hervé Crès, éventuellement visé par le rapport de la Cour des comptes, doit démissionner.

Sciences Po a deux entités : d’une part l’Institut d’étude politique (la grande école) et d’autre part la fondation (bibliothèque, centres de recherche, formation continue). La fondation reçoit le financement de l’Etat, gère toute l’administration de l’école, des centres de recherche et de la bibliothèque. Les deux sont intrinsèquement liés. Par exemple les étudiants se servent de la bibliothèque, les professeurs de la fondation donnent des cours aux étudiants et encadrent leurs travaux. Les deux entités sont séparées, mais l'administrateur chapeaute les deux.

Un comité de sélection auditionnera les 32 candidats qui briguent la succession de Richard Descoings à la tête de Sciences Po, dans la seconde quinzaine de février, puis il présentera au moins deux candidats aux deux conseils de l'école qui éliront à l'issu, l'administrateur.

Atlantico : Etat des lieux du chantier à Sciences Po, que se passe-t-il ?

Karoline Postel-Vinay : Nous étions dans une situation de crise, on peut espérer que nous sommes bel et bien passés à l’étape de chantier, avec une remise à plat, des règles à établir et des bonnes pratiques à mettre en place. Le rapport de la Cour des comptes de novembre 2012 a pointé beaucoup de dysfonctionnements qui provenaient aussi d’une absence de règles. La Fondation Nationale des Sciences Politiques a été établie en 1945 avec un certain nombre de textes qui sont devenus mal adaptés, obsolètes et donnant lieu à beaucoup d’arbitraire. Un arbitraire qui est allé de pair avec une opacité de la gouvernance, et devenu un problème majeur. On s’est modernisé au sens où on s’est ouvert au monde extérieur, mais la gouvernance est restée comparativement archaïque c’est-à-dire peu transparente et souvent discrétionnaire, et donc très en-deçà des règles de gouvernance d’une université moderne. Certaines décisions auraient nécessité plus de collégialité. Par exemple sur la création des nouvelles écoles, de journalisme, de droit, ou encore d’affaires publiques. Qui décidait ? C’était très flou. De même pour les bonus, les appartements de fonction, les sursalaires, et tout ce qui a été souligné par le rapport de la Cour des comptes, et qui résultaient d’un processus de décision inintelligible.

Qui a lancé le mouvement pour un changement ?

Nous sommes trois universitaires, Claire Andrieu, professeure des universités à l'IEP de Paris, Olivier Borraz, Directeur de recherche CNRS-Sciences Po, et moi-même à avoir signé un article dans Le Monde du 27 décembre 2012 demandant au président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), Jean-Claude Casanova, d’assumer ses responsabilités. Nous avions précédemment organisé deux assemblées générales, ce qui est extrêmement rare à Sciences Po car nous n’avons pas une culture très révolutionnaire. La première assemblée générale avait attiré un peu tous les métiers de Sciences Po. Aussi bien des professeurs que des chercheurs, des administratifs des différents services de notre institution, des étudiants. Ensuite, une seconde assemblée générale s’imposait parce que la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche avait demandé à Hervé Crès de se retirer. Il y avait encore plus de monde. Et ce qui est très clair, c’est que tous les métiers de Sciences Po, et certains candidats  au poste d’administrateur, reconnaissent qu’il y a eu des dysfonctionnements et qu’il faut y remédier. C’est difficile de dire le contraire : par exemple comment peut-on justifier que certaines personnes, pour des raisons mystérieuses, bénéficient d’avantages en nature, comme un appartement financé pendant des années par Sciences Po ? C’est un des exemples que l’on trouve dans le rapport public de la Cour des comptes, et qui font vraiment mauvaise impression.

Quel est le lien avec le futur administrateur ? Pourquoi Hervé Crès n’a-t-il pas été accepté ?

La procédure qui avait été mise en place pour designer Hervé Crès comme patron de Sciences Po avait été une procédure complètement verrouillée. Autrefois l’administrateur était nommé par un comité fermé. Mais autrefois c’était un autre Sciences Po, le petit Sciences Po où l’on était entre soi. Aujourd’hui,  on a changé de taille, et c’est le paradoxe : on se compare à une université de rang international mais nos pratiques ne sont pas à la hauteur de ce que l’on prétend être. Il faut adapter les règles désuètes à l’évolution et combler le vide juridique qui s’est creusé depuis 1945. La mise à l’écart d’Hervé Crès par la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a désavoué une procédure indigne d’une institution de rang international, que Crès en tant qu’administrateur provisoire avait lui-même cautionné. En outre il risquait d’être mis en cause par la Cour des comptes puisqu’il était un des directeurs de Sciences Po. On a quand même eu un rapport de la Cour des comptes très négatif quant à sa gestion (le rapport est positif pour ce qui est du développement de la mission de Sciences Po et du rayonnement international). Or je pense qu’il aurait été normal et même nécessaire que l’institution présente ses excuses aux étudiants, aux parents des étudiants qui payent des frais de scolarité élevés, ainsi qu’aux contribuables français qui contribuent à une dotation de l’Etat non négligeable (si on compte les salaires de l’Education nationale, du CNRS, et le capital immobilier, les trois-quarts de nos ressources sont publiques). Mais à aucun moment les deux présidents, Michel Pébereau et Jean-Claude Casanova, qui ont l’honneur de diriger Sciences Po, n’ont jugé utile de le faire. Il y a eu, au lieu d’un mea culpa, une position de défiance : on a préféré critiquer la Cour des comptes «qui se trompait», et critiquer l’Etat. Quand on a la responsabilité de former les élites de la République, et qu’on en fait partie, on ne manifeste pas une telle défiance à l’égard des institutions de la République.

Qu’attend-on du nouvel administrateur ?

D’abord un changement de style. Richard Descoings avait énormément personnalisé son mode de gestion. C’était trop, à la limite du culte de la personnalité. Tout le monde est d’accord, on veut un style plus serein. Et après cette crise on veut que notre école retrouve sa dignité d’antan. Enfin la majorité des salariés souhaitent une gouvernance plus transparente.

Il y a aussi un problème de parité à Sciences Po, qui a été nettement mis en évidence depuis quelques mois : décalage de salaires, de responsabilité entre hommes et femmes, de distribution du pouvoir. Idem pour le comité de sélection de la précédente procédure qui était complètement masculine. Que ce soit dans la direction administrative, pédagogique ou de recherche, tous les postes à responsabilité sont très majoritairement masculins.

La personne qui va être désignée ne sera pas obligatoirement un haut fonctionnaire. Nous avons trente candidats, mais seuls ceux qui le souhaitaient se sont faits connaître (pas de femme dans les noms divulgués). Les candidats doivent répondre aux critères suivants: bien connaître Sciences Po, et en particulier ses évolutions récentes, disposer d’une bonne capacité de management afin de consolider les réalisations de l’Institut et de gérer la Fondation, connaître le monde universitaire national et international, témoigner de son intérêt pour les disciplines enseignées à Sciences Po et d’une large compréhension des enjeux de la recherche dans les sciences sociales.

Quelle est la nouvelle procédure pour nommer le prochain administrateur ? Est-elle satisfaisante ?

Un nouveau comité de sélection a été mis en place. Il y a un net progrès par rapport au précédent puisque cette fois-ci nous avons été informés de sa composition, les universitaires de Sciences Po ont même été un peu consultés pour la nomination de ses membres extérieurs (mais leur avis n’a pas été suivi), il y a une représentante des salariés, et on une parité hommes/femmes. Nous sommes tout de même surpris qu’aucun chercheur n’y siège, et qu’on y retrouve Michel Pébereau qui, précisément, avait orchestré la précédente procédure, une procédure fortement critiquée en interne comme à l’extérieur, et désavouée par le gouvernement.

Le comité de sélection va auditionner la trentaine de candidats et va ensuite en choisir quelques-uns, au minimum deux noms, qui seront soumis au vote des deux conseils: de direction et d’administration. Puisque l’administrateur, ou administratrice, devra prendre des décisions qui concernent autant l’école que la fondation, il est normal que les deux conseils votent. Mais ce qui n’est pas clair, c’est si dans la pratique les deux conseils auront le même poids. Le conseil de direction, même si sa composition devrait être repensée, est tout de même plus représentatif de la communauté de Sciences Po, avec une plus grande proportion de membres élus, que le conseil d’administration. La composition du conseil d’administration n’est plus en phase avec le Sciences Po du 21ème siècle. On y trouve par exemple des «auteurs de libéralités» dont on ne comprend pas la définition et a fortiori pas la représentativité. Mais ils ont un poids et ils voteront.

La nomination du prochain administrateur ne sera donc pas forcément satisfaisante ?

On ne peut pas préjuger à ce stade du résultat de cette procédure, mais on peut légitimement s’inquiéter de voir se reproduire les erreurs de la précédente procédure dans la mesure où on voit perdurer des structures et des pratiques qui datent d’une autre époque, et qui, dans ce contexte ont un effet délétère. Celles-ci pouvaient fonctionner à l’époque du petit Sciences Po paternaliste mais aujourd’hui c’est un frein à une gouvernance non seulement plus juste et honnête mais aussi plus efficace. On voit la limite de ce qui s’est développé, dans le fait que depuis quelques mois de nombreux postes directionnels ne sont pas occupés. La direction scientifique, la direction de la communication, et celle de l’Ecole doctorale sont depuis des mois gérées par intérim. Certes l’enseignement et l’encadrement des étudiants se poursuivent, tout comme les travaux de recherche. Mais nous fonctionnons au ralenti. On peut espérer que la nomination du successeur de Richard Descoings annoncera véritablement une sortie par le haut. Pour cela il faut que ceux qui le choisissent aient conscience des problèmes passés et les assument, pour pouvoir orienter le successeur vers une gouvernance entièrement repensée et modernisée. C’est important pour nous, à l’intérieur de Sciences Po. C’est également important pour ce que représente Sciences Po en France, à un moment où la défiance à l’égard des élites est si forte et la confiance dans la démocratie si basse (comme l’indique une enquête menée par le Cevipof, un des centres de recherche de Sciences Po…).

Propos recueillis par Marie Théobald

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