Quand une famille décide de passer 6 mois sans le moindre média électronique<!-- --> | Atlantico.fr
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Une famille hyperconnectée a réussi à survivre à six mois sans le moindre média électronique.
Une famille hyperconnectée a réussi à survivre à six mois sans le moindre média électronique.
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Déconnection

La journaliste Susan Maushart a décidé d'infliger une cure de désintoxication numérique à sa famille. Et l'expérience d'avoir des conséquences aussi bien sur leurs façons de manger et d'interagir avec leurs amis que sur leurs rythmes de sommeil. Extrait de "PAUSE" (2/2).

Susan Maushart

Susan Maushart

Susan Maushart est docteure de l'université de New York en sociologie des médias. Journaliste, elle vit désormais à Long Island, dans l'État de New York, après avoir longtemps demeuré en Australie.

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Élever seule trois adolescents, même dans les meilleures conditions, ce n’est déjà pas être capitaine de La Croisière s’amuse. Mais lorsque j’ai décidé que nous devions lever l’ancre, tous les quatre, pour une aventure de six mois sans le moindre écran, la famille a failli rejouer Les Révoltés du Bounty – et j’avais évidemment le rôle de William Bligh, le despote.

Nous avions des tas de raisons de débrancher nos médias électroniques. Disons plutôt j’avais des tas de raisons, car il est clair que mes enfants, eux, auraient largement préféré renoncer à manger, à boire et à se laver les cheveux.

Âgés de quatorze, quinze et dix-huit ans, mes filles et mon fils ne se contentent pas d’utiliser les médias. Ils vivent dans les médias. Un peu comme les poissons vivent dans l’eau : avec grâce, avec innocence et sans la moindre interrogation existentielle, ou même la plus simple curiosité, quant à leur présence dans cet environnement.

Ils ne se souviennent pas de l’époque où le courrier électronique, la messagerie instantanée et Google n’existaient pas. Même les technologies de leur propre enfance – les cas- settes VHS et la connexion Internet bas débit, la Nintendo 64 et les téléphones « importables » –, ils les considèrent comme des vieilleries pittoresques. Ce qui précède la civilisation de l’écran plat haute définition, c’est, croient-ils, la télévision noir et blanc.

Mes gamins – comme les vôtres, je suppose – appartiennent à une génération qui s’est fait les dents, au sens propre comme au figuré, sur un clavier. Qui a appris à dire « o’di’ateur » en même temps que « maman », « bibi » et « je veux ».

[…]

Attendez une minute. Ai-je écrit qu’ils faisaient leurs devoirs scolaires de cette façon ? Correction. Ils font toute leur vie à l’avenant.

Quand mes enfants rient, ils ne s’exclament pas « Ha ha ha ». Ils disent « lol ». Ils conjuguent même le mot : « Tu vas trop loler devant cette photo de toi quand je t’aurai photoshopé le nez, maman ! » Ils téléchargent films et émissions de télévision avec autant de désinvolture que vous et moi pouvons allumer la radio. Quand je leur rappelle que le piratage sur Internet est un délit, ils se regardent les uns les autres, un peu éberlués, avant de s’écrier : « lol ! » (« Prends garde, gibier de potence ! » ajoute ensuite l’un d’eux – et ils lolent de plus belle.) Ce sont aussi des enfants qui haussent les épaules quand ils perdent leurs iPod et les quelque cinq mille chansons qui s’y trouvent […]. « Je retrouverai tout ça là où je l’ai téléchargé », semblent-ils penser. Et le plus exaspérant, là-dedans ? Ils ont raison. Le contenu numérique qui fait tourner leur monde, à l’instar de la matière elle-même, est à peu près indestructible. Comme Albert le gâteau magique, c’est un mets savoureux qui se régénère aussi vite qu’il peut être dévoré.

Il y a là, dans leur vision des choses, quelque chose de tout à fait merveilleux... et d’absolument écœurant.

« L’Expérience » (comme nous finîmes tous par dire) – ne se produisit pas par hasard. Depuis plusieurs années déjà, je me rendais compte que les médias électroniques agissaient sur mes enfants comme un champ de forces qui les séparait de plus en plus de ce que mon fils, à moitié ironiquement seulement, appelait la « v.v. » (la vraie vie). Et j’étais de plus en plus inquiète. Mais je dois être honnête : ces adolescents n’étaient pas les seuls à avoir des problèmes de dépendance. Bien qu’entrée assez récemment dans le village global, j’étais moi aussi connue pour consommer de l’information de façon tout à fait excessive. (Planquée aux toilettes avec mon iPhone ? Oh ! N’avais-je donc aucune dignité ?)

[…]

L’Expérience a démarré comme une sorte de purge. Elle a fini par être bien davantage. En bref, notre cure de désintoxication numérique a fichu la pagaille dans nos têtes, dans nos cœurs et dans nos emplois du temps. Elle a changé notre façon de manger et nos rythmes de sommeil, notre façon d’interagir avec nos amis – adieu Facebook, rebonjour les copains « réels » –, notre façon de nous disputer, de jouer et de nous distraire. Elle a modifié la texture et la saveur de notre vie de famille. Diable ! Elle a même transformé nos sensations gustatives. Au bout du compte, l’exil que notre famille s’est imposé, un temps, par rapport à la société de l’information a changé nos vies à tous pour le mieux et pour toujours.

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Extrait de "PAUSE", Editions Nil (février 2013)

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