Médicaments inutiles et dangereux : pourquoi sont-ils toujours là ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La revue Prescrire a dévoilé le 31 janvier dernier une liste noire des "médicaments plus dangereux qu’utiles".
La revue Prescrire a dévoilé le 31 janvier dernier une liste noire des "médicaments plus dangereux qu’utiles".
©Reuters

Traitement

Après le "Mediator", "Diane 35", quel sera le prochain médicament retiré du marché à cause de sa dangerosité ? La revue Prescrire a dévoilé le 31 janvier une liste noire des "médicaments plus dangereux qu’utiles" pour lesquels elle demande le retrait du marché. Une dizaine de médicaments plus ou moins courants sont pointés du doigt.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Atlantico : Existe-t-il, sur le marché, des médicaments dont la dangerosité a été prouvée ? Ou bien le danger se situe-t-il dans l'utilisation qu'on en fait ?

Sauveur Boukris : Il y a des médicaments qui peuvent être dangereux car ils peuvent provoquer des accidents coronariens, rénaux, voire cardiaques. C’est par exemple le cas de l’ "Arcoxia" qui est un anti inflammatoire non stéroïdien, dérivé du "Vioxx" qui a été supprimé en 2004. Pourtant ce médicament est tout même commercialisé, avec une petite variante chimique mais qui reste de la même famille. Il y aussi des médicaments pour la maladie d’Alzheimer comme l’ "Aricept" qui peuvent entraîner des syncopes et des accidents rénaux. On les connaît, il y a beaucoup d’informations diffusées. Mais l’industrie pharmaceutique a tendance à minimiser ou à sous-estimer le nombre de cas ou encore le risque potentiel. Donc les informations émises par les firmes sont souvent sous-évaluées. Il faut se renseigner sur les sites (Formadep, Docbuzz ou encore Atoute), les revues telles que Prescrire voire les revues spécialisées étrangères. Les informations sont en général référencées et fiables. La médecine évolue très vite, c’est pourquoi il faut perpétuellement remettre ses connaissances en question. Non seulement il faut connaître les effets secondaires mais il faut se dire que même si dans les statistiques le pourcentage est faible, pour le malade, cela peut être du 100%. Il y peut y avoir des effets secondaires peu nombreux statistiquement mais graves cliniquement, tout comme des effets très divers mais bénins. Tout ceci est le fruit de la lecture du médecin ainsi que de son expérience.
La responsabilité incombe au médecin qui doit se renseigner sur les médicaments qu’il propose à ses patients, il doit lire auparavant les notices pharmaceutiques, s’informer sur ce qui se fait de mieux. Sauf quelques cas particuliers de personnes qui cumulent de façon intentionnelle ou non différents médicaments, les patients écoutent et suivent les prescriptions. Si effet secondaire il y a, c’est parce que le médecin ignore ou sous-estime l’effet d’un médicament. Si le médecin est hésitant il doit prévenir de la possibilité d’effets secondaires et conseiller au patient d’arrêter la prescription puis d’appeler au moindre doute. Je suis pour l’anticipation du médecin.

Comment la dangerosité des médicaments est-elle établie ?

A partir des essais cliniques nous avons pu établir que tel ou tel médicament était potentiellement dangereux. Quand un médicament a son autorisation de mise sur le marché (AMM), on en connaît les effets secondaires. Mais les autorités sanitaires peuvent considérer que ces risques sont peu importants, et lorsqu’un médicament est autorisé à plus grande échelle, le nombre de cas d’effets secondaires va bien évidemment croître. Cela dit, on les maîtrise plus à travers les essais cliniques. La dangerosité d’un médicament est très subjective. On considère la notion de bénéfice/risque (le bénéfice devant bien sûr être plus fort) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR), qui consiste à comparer un médicament aux autres sur le marché, et est-ce que l’amélioration est significative. Il y a une codification : numéro 1 et 2 quand il y a une grande amélioration, 4 ou 5 quand ce ne sont que des copies de précédents médicaments et donc il n’y a pas d’amélioration.

La notion d’utilité et d’inutilité est sujette à discussion. Est-ce utile pour la société ou pour le patient ? Il faut aussi prendre des précautions dans l’emploi du terme « dangereux ». Pour des chimiothérapies par exemple, si un médicament a des risques potentiels mais qu’il a aussi une grande efficacité et qu’il y a une chance sur deux pour que ce médicament améliore le quotidien d’un patient, alors on prend le risque, tout en en connaissant les possibles conséquences. Dans le cadre de la médecine générale, il y a un réel laisser-aller face à la dangerosité de certains médicaments. 5% de médicaments dangereux… Cela me paraît beaucoup, même si on en retrouve pratiquement dans chaque famille thérapeutique. Pour ceux qui sont encore prescrits, on peut pointer du doigt le manque d’information de certains médecins mais aussi, et surtout, l’irresponsabilité de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui ne joue pas suffisamment le gendarme en interdisant les médicaments mis en cause, ou en émettant des réserves dans la prescription.

Si effectivement, comme l'avance Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des professeurs Bernard Debré et Philippe Even, 50% des médicaments sont inutiles, dont 5% potentiellement dangereux, comment expliquer qu'ils soient toujours là ?A partir de quel moment décide-t-on de supprimer un médicament du marché ? Quel délai y a-t-il entre la décision et le retrait du marché ?

Bien souvent on les supprime après coup, lorsqu’il y a des décès, de plaintes déposées ou une médiatisation. Il a fallu deux ans pour supprimer « Vioxx » dont je parlais précédemment. En général, il faut compter plusieurs années avant que des médicaments dangereux quittent le marché. Pourquoi ? Il y a des controverses entre experts, ces derniers demandent des contre-expertises qui nécessitent une enquête sur la durée, parfois ils considèrent que les risques sont mineurs face aux bienfaits et que les enjeux économiques pèsent dans la balance. Il y a un paradoxe dans la mesure où l’on parle d’Autorités sanitaires qui, finalement, ne font pas preuve d’une grande autorité. C’est à force de dénonciation de patients que l’on en vient à retirer, sur le tard, des produits à risque.

Les tests avant commercialisation sont-ils insuffisants ? 

A partir du moment où un médicament a son brevet, la durée du brevet est d’environ quinze ans. Il se passe sept à huit ans avant qu’un laboratoire ne passe en phase de commercialisation. A ce moment-là, il pousse le marketing à son paroxysme afin de faire un retour sur investissement. L’enjeu financier est bien évidemment de taille. Par chance, certains laboratoires, s’ils soupçonnent le moindre risque pour les patients cessent de suite les essais. Pour "Diane35", il y a eu six cas. Certes sur le million de boîtes consommées, ce n’est pas énorme mais cela reste quatre décès qui auraient pu être évités. Pour l’exemple du "Mediator", il y a eu des décès mais ces décès n’auraient pas eu lieu si les autorités de santé avaient joué leur rôle.

L'insuffisance de circulation des données dans le monde médical ne pose-t-elle pas problème ?

Parfois il y a conflit d’intérêt car des experts de laboratoires sont également experts auprès des agences. Mais de toute façon les décisions sont toujours prises avec du retard car pendant le délai entre l’apparition de cas (plus ou moins graves) et la réelle prise de conscience des autorités sanitaires, la commercialisation continue. L’ANSM, après le rapport paru dans la revue Prescrire, ne peut pas nier que des médicaments encore en vente représentent un danger pour les patients. Je pense donc que leur devoir est d’informer les médecins, et d’ordonner aux laboratoires des études complémentaires. Depuis vingt ou trente ans, les autorités sanitaires tardent à prendre des décisions. En effet, il y a de plus en plus de produits sur le marché, bien qu’il n’y ait pas d’innovation majeure mais beaucoup de copies, et elles semblent noyées dans ce flux. Ainsi, le marketing a pris une place considérable sur le marché. Autre constat, les patients n’ont plus peur de remettre en cause les laboratoires, notamment à la suite d’affaires telles que celle du "Mediator", qui pour le coup, est presque caricaturale. Trop longtemps nous avons été naïfs quant à l’impact des médicaments, leurs effets secondaires. Ce type d’affaire nous a invités (nous les médecins), à remettre en question nos connaissances, développer notre esprit critique. D’ailleurs ces scandales devraient être l’occasion idéale pour le ministère de revoir sa politique en faisant enfin du patient sa priorité.

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