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Mali : les armées alliées d'Afrique sont-elles un vrai soutien ou un poids mort pour les militaires français ?
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Intervention française

A terme 4500 hommes de la Mission internationale de soutien au Mali, sans compter les troupes nigériennes et tchadiennes, rejoindront les forces franco-maliennes sur le terrain.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Une rencontre d’urgence des Chefs d’état-major des pays membres de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s'est tenue samedi à Abidjan pour évaluer le déploiement en cours des forces africaines sous la bannière de la mission africaine pour la reconquête du Nord Mali. De combien d'hommes disposent exactement ces forces africaines ? 

Romain Mielcarek : Combien ? Cela évolue de jour en jour. En fin de semaine dernière, environ 500 hommes de la Misma, la Mission internationale de soutien au Mali, étaient arrivés sur place. A terme, ils sont supposés être un peu plus de 4500. Il faut ajouter à ces troupes celles du Tchad, qui ont passé la frontière nigérienne accompagnées de troupes nigériennes ce week-end, afin d’appuyer les forces franco-maliennes à Gao et d’occuper l’aéroport et la ville.

Les observateurs et analystes ne sont pas unanimes sur les délais nécessaires pour réunir ces troupes. Les promesses ont été augmentées en début de semaine dernière, passant d’environ 3500 à environ 4500 hommes. Les différents contingents, de quelques centaines d’hommes, doivent être envoyés par le Nigéria, le Niger, le Bénin, le Togo, le Sénégal, le Burkina Faso, la Guinée et le Ghana. Le Nigeria reste le pays qui contribuera le plus, avec près d’un millier d’hommes. Le Tchad enfin, qui ne fait pas partie de la Cédéao, a proposé une aide précieuse en annonçant l’envoi de 2000 soldats, dont quelques centaines sont déjà sur le terrain.

De quel équipement disposent-ils ? Sont-ils totalement indépendants au niveau des réapprovisionnements par exemple ?

La question de la logistique est cruciale au Mali. Le territoire est particulièrement vaste. Les forces de la Misma sont censées, sur le papier, fournir l’équivalent d’une brigade logistique et ainsi assurer leur autonomie opérationnelle. Il est peu probable qu’elles en soient capables dans les faits. Le Nigeria a commencé à déployer des moyens, mais ils ne sont pas suffisants pour l’ensemble des troupes africaines. Il faut bien comprendre que les moyens de transport et de soutien mis à disposition par les alliés européens l’ont été dans un premier temps pour appuyer le déploiement de l’opération française Serval, mais commencent à l’être dans un second temps pour faciliter celui des différents contingents africains.

Le reste du soutien risque aussi de poser problème. Les moyens des pays riverains dans ce domaine n’ont rien de comparable avec ce que sont capables de fournir les Occidentaux. Les moyens médicaux par exemple, pour la prise en charge de blessés, risquent de rester à la charge des Français qui ont déployé des moyens conséquents dans ce domaine ; ou encore des Belges qui ont envoyé deux hélicoptères avec les équipes médicales qui y sont associées.

On peut tout de même remarquer qu’au sein des contingents africains déployés, il n’y a pas que des forces militaires destinées au combat. Les Ghanéens, par exemple, déploient une unité du génie qui doit permettre le nettoyage de zones éventuellement piégées par les combattants islamistes en déroute.

Les forces africaines effectueront-elles exactement les mêmes missions que les forces françaises ? Vont-elles seulement être cantonnées à des postes de logistique par exemple ?

Les tâches des uns et des autres ne sont pas définies officiellement. Le mandat de la Misma prévoit de "reconstituer la capacité de l’armée malienne", "d’aider les autorités maliennes à réduire la menace terroriste" et "d’aider à la sécurisation des institutions maliennes". En gros : il faut reconstruire l’armée, restaurer le pouvoir politique dans son intégrité tout en délogeant les groupes rebelles et terroristes de la partie sahélienne du pays. Vaste programme… qui table sur du très long terme.

A court et moyen terme, la mission évolue au quotidien. On peut observer et faire des projections. Les Français semblent par exemple partis pour pousser les Maliens au moins jusqu’à Tombouctou. Les forces de Serval ont progressé plus vite que certains – dont moi – le pensaient initialement. La libération et la sécurisation de ces villes (Mopti, Gao puis Tombouctou) permet d’isoler les rebelles du gros de la population. Reste à nettoyer le désert. La France semble vouloir maintenir les forces maliennes en première ligne, lui assurant un appui de poids avec ses moyens aéromobiles, aériens et une force terrestre blindée conséquente.

Par la suite, il faudra assurer deux missions prioritaires : premièrement, occuper le terrain pour empêcher les islamistes de revenir. Ce serait à priori l’une des principales tâches du gros des troupes de la Misma et des militaires maliens. Le Bénin a par exemple envoyé gendarmes et policiers qui pourraient organiser une telle mission. Deuxièmement, nettoyer le désert des groupes terroristes. Ici, les forces nigériane, nigérienne et tchadienne devraient être en première ligne aux côtés des Français et des Maliens. Elles bénéficient d’expériences précieuses au combat dans le désert, dans des conditions particulièrement sèches, face à des milices mobiles.

La logistique, pour finir sur votre question, est loin d’être une tâche ingrate. Lors d’un déploiement militaire, c’est certainement l’une des missions les plus sensible, stratégique et cruciale pour l’accomplissement de la mission. Elle demande une organisation et des moyens très exigeants. D’autant plus dans un contexte international. Si l’Otan a des processus parfaitement rodés, les armées de la Cédéao n’ont qu’une modeste expérience de ce type de contexte opérationnel. Les Occidentaux devraient assumer le gros de cette responsabilité.

Qui est à l’origine de la formation de ces forces armées ? La France a-t-elle joué un rôle ?

Ces sujets se négocient au sein de la communauté internationale, au sens large du terme. Il y a des négociations à l’échelle globale, au cœur même des Nations unies. D’autres dialogues se font au sein des instances régionales : Cédéao et Union africaine. Les échanges bilatéraux, entre l’Union européenne et la Cédéao, l’Union européenne et le Mali, la France et les différents partenaires locaux, la France et le Mali … sont tout aussi importants. C’est un travail diplomatique de longue haleine et de fond qui se déroule en coulisse depuis près d’un an – si ce n’est plus.

La France a-t-elle joué un rôle de premier plan dans ces tractations ? Certainement : les relations historiques privilégiées entre Paris et les états d’Afrique de l’Ouest facilitent les négociations. Les relations politiques, militaires, diplomatiques fonctionnent dans ce genre de situation à plein régime. Mais d’autres pays ont certainement largement participé. Les Etats-Unis et l’Algérie restent des interlocuteurs prioritaires sur le dossier sahélien en général et sur le dossier malien en particulier.

Se basant sur les coûts de l’intervention libyenne de 2012, une agence de presse estimait il y a quelques jours que l’intervention malienne se monterait à 400 000 euros par jour. L'apport des forces africaines est-elle de nature à faire diminuer ou à faire augmenter ce coût ?

Vous n’êtes pas le premier à me poser la question du coût de l’opération Serval. Le travail de cette agence a certainement son intérêt, encore que je reste sceptique. L’intervention libyenne et l’intervention malienne n’ont ceci de commun qu’elles sont initiées par la France. Au delà, tout change : Harmattan s’est menée principalement depuis la Méditerranée et les bases OTAN de la région, avec des moyens aériens et aéromobiles qui ont largement bombardé les positions ennemies. Serval repose en grande partie sur le déploiement de forces terrestres conséquentes au sol. Difficile de comparer de tels coûts.

Le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, a évoqué la semaine dernière un chiffre : déjà 30 millions d’euros. Il est très certainement plus prêt de la réalité. Mais difficile de se prononcer : nous n’avons aujourd’hui que peu de données sur les sorties aériennes, sur les bombes utilisées (certains missiles coûtent plusieurs centaines d’euros) ou sur les effectifs engagés (le détachement des forces spéciales). Le chiffrage relèvera d’un exercice parlementaire, scientifique et institutionnel. Proposer des chiffres comme cela me semble farfelu.

D’ailleurs, que compte-t-on dans cette somme ? Le coût des moyens militaires ? L’aide humanitaire fournie via l’Union européenne et dont la France assume une partie des coûts ? Le soutien financier qui sera apporté à la Cédéao pour ce déploiement ?

Pousser les Africains à envoyer des troupes n’est pas une question de coût. Dans ce type d’opération, sous mandat des Nations unies, ils sont souvent mieux payés que dans leur pays. Salaires qui sont en général assumés par les pays plus riches des Nations unies, dont la France. Mais leur présence est nécessaire pour des questions politiques et stratégiques, plus qu’économiques. La France, qui a déjà fournit des moyens impressionnants (3500 hommes en tout) pourrait difficilement y ajouter 6500 soldats. C’est aussi un pari sur le long terme. Loin de certains procès sur la Françafrique, les Occidentaux cherchent plutôt à rendre les états africains militairement indépendants. Européens et Américains préfèreraient les voir gérer eux-mêmes les crises locales.

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