Epidémie de bipolarité ? Pourquoi il reste si difficile de diagnostiquer la dépression<!-- --> | Atlantico.fr
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Environ 15 % de la population française aurait souffert au moins une fois dans sa vie de dépression.
Environ 15 % de la population française aurait souffert au moins une fois dans sa vie de dépression.
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Moi, dépressif ?

Environ 15 % de la population française aurait souffert au moins une fois dans sa vie de dépression. Cela représente 3 millions de personnes âgées de 15 à 75 ans.

Alain Sautereau  Sautereaud

Alain Sautereau Sautereaud

Alain Sauteraud est psychiatre, spécialiste du  deuil et du trouble obsessionnel-compulsif. Il a écrit Comprendre et soigner les troubles obsessionnels compulsifs et Vivre après ta mort, psychologie du deuil, aux éditions Odile Jacob.  Il participe au site aftcc.org

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Atlantico : La France est bien connue pour être la championne du monde dans la catégorie "consommation d'antidépresseurs". Environ 15% de la population aurait souffert au moins une fois dans sa vie de dépression. Cela représente 3 millions de personnes âgées de 15 à 75 ans. Une maladie qui semble difficile à déceler. Pourquoi ? Par quel moyen définissez-vous si un patient est ou non atteint de dépression ?

Alain Sauteraud : C’est bien là le problème ! La dépression n’a pas de symptôme, qui a lui seul, soit spécifique. C’est un faisceau d’arguments relativement complexes. Les symptômes les plus classiques sont les émotions telles que la tristesse et l’angoisse, une perte d’énergie, des problèmes de concentration et de mémoires, des idées de désespoir et de dévalorisation, des troubles du sommeil, ou encore une perte de poids inhabituelle. Ces critères peuvent être intégrés dans l’analyse du contexte qui est la durée de ces symptômes (au moins quinze jours) ainsi que les facteurs de stress externes puisqu’on est tous susceptibles d’éprouver ces symptômes (divorce, chômage, décès, etc). Il n’y a pas de diagnostic automatique. Enfin, on remarque que les deux mamelles de la dépression sont la sensibilité au rejet relationnel et le perfectionnisme ou l’intolérance à l’échec.

Comment différencier déprime et dépression ?

D’une part la déprime renvoie à un mouvement d’humeur naturel. On sait que même si l’humeur de l’homme est plutôt positive, l’humeur négative dépressive infiltre le quotidien dans des périodes qui vont varier de quelques minutes à quelques heures. Cela ne peut être qualifié de pathologique. Le problème, c’est qu’à un moment donné, le sujet n’est plus capable de s’en sortir seul, ou alors avec énormément de temps. Le travail de l’expert est donc de définir si la sensation du patient tient de la maladie ou du contexte.

La particularité de la dépression est que dans l’image populaire, les dépressifs sont des gens qui se plaignent. En réalité, le malade a une relative inconscience de son trouble, c’est-à-dire que les malades rationalisent en parlant de leurs échecs, de leurs incapacités et ne réalisent pas la gravité de leur état. Exemple : pour un étudiant qui échoue à un examen, il est normal de se sentir déprimé quelques jours durant. Mais pour un autre qui échoue au même type d’examen, le sentiment peut être amplifié, alors même qu'il a déjà cinq ans d'études supérieures réussies derrière lui. Il parle d’échec, se dit incompétent, sans valeur et sans avenir. Et si cet état dure, on comprend bien qu’il y a pathologie.

Comment expliquer que le diagnostic soit si difficile à faire ?

Le principal problème du diagnostic se pose chez nos confrères généralistes qui ont de moins en moins de temps pour s’entretenir avec leurs patients. N’ayant ni le temps, ni le recul nécessaire, ils ont tendance à prescrire trop vite des antidépresseurs. Paradoxalement, ils banalisent d’autres cas parce qu’ils sont habitués à un discours de malade. Aussi, la dépression est une maladie à rechute. Il faut donc la prévenir dès que le patient entre dans un deuxième épisode dépressif. Ce qui nécessite un réel suivi. Mais à partir du moment où l’on prend le temps de discuter, le diagnostic se fait relativement aisément.

Pour mieux comprendre le problème, imaginez quelle est la probabilité pour que vous soyez victime d’un infarctus, que ce diagnostic échappe au médecin et que vous soyez soigné pour autre chose ? Très faible. En effet, la fiabilité du diagnostic et du traitement est importante. Pour la dépression, étant donné que les malades ne sont pas forcément conscients de leur état, cette fiabilité est moyenne.

En août, des chercheurs américains proposaient un diagnostic par prise de sang. Qu’en est-il ?

Ce sont des recherches qui n’ont pas d’applications pratiques actuellement. Nous sommes très loin de ce genre de fiabilité diagnostique. Aujourd’hui, des études ont été réalisées, notamment par l’Anadep qui a publié en 2009 le résultat d’une enquête sur la dépression chez les Français débutée en 2005 et lancée par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (Inpes). En cas de besoin, de questions, ou si le malade ne souhaite pas s’adresser directement à un médecin, il existe des sites tels qui proposent une écoute téléphonique, des entretiens individuels, des conférences, tel que France Dépression à Paris et en province.

Finalement, ce que l’on met sur le compte de la dépression est-il toujours véritablement justifié ?

Dans mon cabinet, je vois soit des gens qui ont des problèmes et que l’on qualifie de dépressifs, alors que leurs problèmes ont d’autres racines -je pense notamment aux facteurs de stress sévères : harcèlement moral, maladie physique, séparation, divorce, déménagement. Soit des personnes qui vivent sans soin avec des années de dépression derrière eux. Dépression qui n’a jamais été détectée. Par exemple, j’ai  reçu il y a deux mois de cela, une jeune femme qui avait fait une tentative de suicide très grave. L’hôpital ne l’avait pas gardée. Sur place, on lui a simplement conseillé d’aller voir son médecin traitant. Alors jusqu’à quel moment dit-on que ce n'est "pas grave" ? Il faut prendre en compte la souffrance des patients, ne jamais la sous-estimer. Il y a une incompréhension qui est due à la spécificité de cette maladie, d’où la nécessité d’une expertise auprès de professionnels. 

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