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Lors de la révolution tunisienne, les réseaux sociaux étaient indispensables pour se maintenir aux avant-postes
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Bonnes feuilles

Dalila Ben Mbarek Msaddek ,avocate tunisienne engagée, témoigne du combat engagé depuis le Printemps arabe contre l'emprise islamiste sur son pays. Extrait de Je prendrai les armes (1/2).

Valérie   Urman

Valérie Urman

Valérie Urman est journaliste indépendante. Elle a dirigé le service Société du journal quotidien Le Parisien – Aujourd'hui en France, et a été rédactrice en chef à France-Soir. Elle collabore au magazine Clés.

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Qu’aurais-je fait sans Twitter et Facebook ? Avant la révolution, je ne fréquentais jamais les réseaux sociaux, je ne lisais pas les blogs. Je n’y connaissais rien et cela ne m’intéressait pas du tout. C’est en me connectant, lors des premières émeutes, que j’ai perçu le climat insurrectionnel qui m’avait échappé jusqu’alors. Internet était l’espace insoupçonné de la critique, de l’échange, de la solidarité (1). Un territoire où les jeunes, précurseurs du mouvement de révolte, exprimaient leur soif de liberté. Je découvrais avec étonnement que des gens lançaient des grenades dégoupillées sans se faire immédiatement arrêter : quelque chose craquait dans le système, une brèche trouait le mur de la censure. Les messages, les vidéos, les alertes circulaient en temps réel. Les mots d’ordre de mobilisation se trouvaient relayés à des milliers de gens en un temps record. Mais très vite après la chute de Ben Ali, les réseaux sociaux sont aussi devenus un enjeu politique, le principal champ de bataille de la guerre de l’information.

Dès le début du "Manifeste du 20 mars", en 2011, j’ai créé un profil Facebook – c’est enfantin en fait, je m’y suis mise toute seule – sur lequel j’ai partagé toutes les informations, des extraits de nos conférences, les vidéos des meetings de Doustourna, de nos actions, des manifs. J’ai très vite été repérée par les blogueurs. Ils m’ont envoyé d’abord des messages privés, on a discuté, tissé des liens. C’est un monde d’amis virtuels mais où la confiance est réelle. Moi-même, je suis "fan" d’une centaine de pages, des informations arrivent directement sur mon profil, je les relaie, d’un clic, à tous ceux qui me suivent. En quelques minutes, des centaines de milliers de personnes partagent la même information.

Internet est indispensable pour se maintenir aux avant-postes. Je dois prendre du temps, chaque jour, pour consulter les réseaux sociaux, si je veux suivre les événements et alimenter moi-même ce feu roulant d’informations. Mais pour recouper ces dernières, c’est une vraie gymnastique… Les médias numériques indépendants et les réseaux sociaux sont les plus rapides, les plus réactifs, fouineurs, décomplexés ; les médias classiques, que ce soient les journaux "papier", la radio ou la télévision, suivent derrière : peu sont capables d’enquêter, ils reprennent souvent, telles quelles, les informations et les images déjà publiées en ligne. Je suis obligée de vérifier en passant des coups de fil dans la toute la galaxie associative pour essayer, d’une façon ou d’une autre, de remonter à la source et d’obtenir confirmation. Je n’ai pas mis très longtemps à connaître assez de monde pour constituer un réseau de contacts et d’informateurs souvent fiables.

Les administrateurs des pages d’opposition – les seuls à pouvoir modifier et contrôler le contenu – se protègent. Ceux qui pilotent la page collective en langue arabe "Ministère de l’hypertension et du diabète (2)" gardent l’anonymat. Peu de gens savent qui ils sont. Cette page fédère 150 000 abonnés et fournit plus de 50 % des messages d’opposants partagés sur Facebook. Les informations sont très vite reprises partout. Je connais quelques administrateurs, ceux qui m’ont contactée en voyant que j’étais active sur mon profil Facebook. Personne ne les trahit en divulguant leur identité. Je ne les connais pas tous physiquement. J’en ai rencontré un, en chair et en os : j’ai découvert que c’était un voisin. Curieusement, quand on se croise, on ne s’attarde pas. Nous sommes beaucoup plus bavards et intimes sur Facebook !

1. Parmi les premiers à apprivoiser la Toile, les fondateurs du blog collectif Nawaat ("Le Noyau") ont déjoué la censure dès 2004 sous Ben Ali. Destinataire de la partie tunisienne des câbles diplomatiques Wikileaks, Nawaat les a mis en ligne fin 2010. Ils opposent maintenant une critique nourrie au pouvoir en place. L’un de ses fondateurs, Sami Ben Gharbia, salarié du réseau international de blogeurs Global Voices, est un fin connaisseur des cyberactivistes dans le monde arabe, il a lui-même contribué à réunir les plus influents, dès 2009, à Beyrouth.

2. Référence ironique à la présidence et au gouvernement, des maladies affligeant la Tunisie comme le diabète et l’hypertension affectent la santé.

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Extrait de Je prendrai les armes, s'il le faut..., témoignage de Dalila Ben Mbarek Msaddek recueilli par Valérie Urman, aux Presses de la Renaissance

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