Présidence du CSA : quand François Hollande nomme "un de ses amis politiques" et que cela ne choque personne<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Schrameck (ici en 1997), choisi par François Hollande, est le plus jospiniste des hauts fonctionnaires français.
Olivier Schrameck (ici en 1997), choisi par François Hollande, est le plus jospiniste des hauts fonctionnaires français.
©Christine Grunnet / Reuters

Liaisons dangereuses

Olivier Schrameck, "le plus jospiniste des hauts fonctionnaires français", a été nommé par François Hollande à la présidence du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Pas de scandale, à un peine un bâillement de surprise ennuyée : le choix de François Hollande de nommer Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’a rien suscité de plus chez les journalistes qui couvrent l’actualité des télévisions, radios et nouveaux médias. C’est peu dire pourtant que les mêmes avaient suspecté Nicolas Sarkozy de vouloir mettre au pas l’audiovisuel public en y imposant ses amis… Or, la désignation d'Olivier Schrameck a de quoi causer plus de migraines aux partisans d’une « République exemplaire » qu’aucune des nominations opérées dans ce secteur par l’ancien président de la République entre 2007 et 2012.

Olivier Schrameck, ou le plus jospiniste des hauts fonctionnaires français

Au lecteur non familier des coulisses de la vie publique, il faut peut-être présenter Olivier Schrameck. On peut le faire en peu de mots : c’est, depuis près de 25 ans, le plus jospiniste des hauts fonctionnaires français. Du candidat (si) malheureux à l’élection présidentielle de 2002, Olivier Schrameck dirigea en effet le cabinet dès 1988, à l’Education nationale, puis de 1997 à 2002, à Matignon, avant de reprendre du service il y a peu au sein de la « Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique » pilotée par… Lionel Jospin.

Une si grande fidélité vaut bien des engagements plus directs, et Olivier Schrameck, sans être un homme politique et tout haut fonctionnaire qu’il soit demeuré, n’en appartient pas moins au « monde politique », au sens où un sociologue pourrait l’entendre. Sa position y est donc très engagée : à gauche toujours, et auprès d’un des dirigeants emblématiques de la gauche de gouvernement. Beaucoup l’ont oublié, mais Olivier Schrameck a même tiré, en octobre 2001, un des premiers coups de canon qui annonçaient l’affrontement alors attendu entre Jacques Chirac, président sortant de la République, et Lionel Jospin, Premier ministre sortant lui aussi, au printemps 2002. Il s’agissait d’un livre plein de discrètes perfidies sur Jacques Chirac, ce qui n’était ni très élégant ni très républicain de la part du directeur de cabinet du Premier ministre, et vis-à-vis du chef de l’Etat (1).

En choisissant Olivier Schrameck pour le présidence du CSA, François Hollande, qui doit une large part de son ascension politique à Lionel Jospin, place donc un de ses amis politiques. La comparaison avec les serments de vertu de François Hollande, version hiver et printemps 2012, est très parlante : à cette époque, le candidat des socialistes et des radicaux de gauche multipliait les grands engagements sur la garantie de l’indépendance du CSA…

Une compétence discutable, pour ne pas dire plus !

Mais le plus cruel, pour mesurer le bien-fondé de cette nomination, est peut-être de scruter en détail lecurriculum vitaed'Olivier Schrameck. On y cherche en vain le moindre commencement d’expérience des dossiers audiovisuels. Pour la première fois, le CSA sera donc présidé par un novice, un « bleu », un puceau, comme on disait autrefois dans les cours d’écoles. Attention, ne vous imaginez pas pour autant que François Hollande ait choisi un « incompétent » ! Il s’agit, nous dit-on, d’un « grand serviteur de l’Etat ». Sous ce vocable se cache aujourd’hui toute la grande misère intellectuelle et toute l’arrogance polie d’une certaine haute fonction publique hexagonale.

Grande misère intellectuelle ? Parler de « grand serviteur de l’Etat », c’est se référer aux anciens glorieux qui, François Bloch-Lainé en tête, ont construit après la Deuxième Guerre mondiale une véritable mythologie du service de l’Etat, dont les cadres dirigeants seraient forcément désintéressés, compétents et courageux -là où les hommes politiques seraient, eux, intéressés, incompétents et lâches-. Inutile de discuter ici de la validité historique de ce mythe pour décrire la période des années 1950 puis de la République gaullienne. Il suffit de comprendre qu’aujourd’hui, ce mot de « grand serviteur de l’Etat » permet de couvrir d’un voile pudique la réalité d’une haute fonction publique très intéressée au contraire à la défense de ses propres intérêts de caste, et dont la consanguinité, autant que la prétention à fournir les dirigeants politiques et économique du pays, sont insupportables à une majorité de citoyens.

On a également parlé plus haut d’ « arrigance polie ». C’est celle de ces hommes qui exigent sans cesse desautresdes titres, des expériences significatives, pour évaluer leur compétence, et pensent que l’Ecole nationale d’administration accorde en revanche un brevet de compétence universelle. N’hésitons pas à le dire : la compétence d'Olivier Schrameck pour présider le CSA égale celle de n’importe quel téléspecteur, auditeur de radio ou usager d’internet, comme vient du reste de le suggérer un grand quotidien marqué à gauche (2). C’est si vrai que le président du Sénat Jean-Pierre Bel et celui de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, sans doute prévenus du choix de l’Elysée, ont cherché à désamorcer une polémique qu’ils anticipaient en désignant, pour le premier, une journaliste reconnue, Memona Hintermann (3), et pour le second une autre journaliste reconnue, qui plus est de droite, Sylvie Pierre-Brossolette. Une subtile question d’équilibre, nous dira-t-on, les deux distinguées impétrantes devant faire oublier l’encombrant impétrant.

Un président enfermé dans son milieu professionnel d’origine

Pourtant, le compte n’y est pas. En nommant à la tête du CSA un homme respectable, mais qui eût été plus à sa place au Conseil constitutionnel (4), François Hollande ne rompt pas seulement avec ses engagements de candidat en faveur d’une République irréprochable. Il dénonce sans peut-être s’en rendre compte son enfermement dans un milieu où on compte bien des hommes de haute valeur, mais dont la prétention à incarner, seul, le bien commun, est devenue aujourd’hui caduque et inacceptable.

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1/ Matignon Rive gauche, 1997-2001, Paris, Seuil, 2001.

2/ Voir l’article embarrassé mais plutôt courageux de Rahaël Garrigos et Isabelle Roberts dans Libération, édition du 10 janvier 2013, p. 26.

3/ On n’aura pas la cruauté de rappeler ici qu’excellente journaliste, Mme Hintermann n’a pas le don de prophétie. Au soir du 2 novembre 2004, on se souvient de sa voix et de son large sourire pour annoncer l’élection presque certaine de John Kerry à la présidence des Etats-Unis d’Amérique. George Bush l’emporta finalement avec 3 millions de voiux d’avance sur son concurrent démocrate…

4/ A moins que le président de la République envisage de nommer Lionel Jospin lui-même chez les Sages de la rue de Montpensier ? Cela serait une bien médiocre explication au choix d’Olivier Schrameck, ce dernier devant dès lors être « casé », que ce soit à la présidence du CSA ou ailleurs. Rappelons que le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat doivent désigner 3 nouveaux membres du Conseil constitutionnel très prochainement. 

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