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La malnutrition est un problème global de santé publique.
La malnutrition est un problème global de santé publique.
©Reuters

Repas frugal

Selon les Restos du cœur, la demande d'aide n'a pas cessé de croître en 2012. L'augmentation des prix des aliments a surtout touché les marques les moins chères et se nourrir sainement n'est pas la préoccupation principale des personnes en difficulté.

Bernard Schricke et Catherine Grangeard

Bernard Schricke et Catherine Grangeard

Bernard Schricke est directeur de l'action France au sein de l'association humanitaire Secours catholique.

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre "Comprendre l'obésité" aux éditions Albin Michel.

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Atlantico : Selon les Restos du cœur, la demande d'aide n'a pas cessé de croître en 2012, et certains entrepôts de l'association ont été cambriolés à plusieurs reprises. Après le loyer, c'est l'alimentation qui pèse le plus lourdement sur le budget des Français. Se nourrir correctement est-il de plus en plus difficile en France ? 

Bernard Schricke : Les personnes que nous rencontrons au Secours catholique doivent en permanence faire des choix. Leur budget n'étant pas tenable, le poste alimentation fait partie des variables d'ajustement. Le Secours catholique et de nombreuses associations fournissent une aide alimentaire. Nous sommes dans un pays où les magasins sont à chalandises pour masquer un manque de ressources.

Certaines associations examinent le taux d'inflation qui frappe réellement les ménages les plus pauvres par rapport aux chiffres publiés par l'INSEE. Pour ces personnes, l'inflation n'est pas de 2% mais tourne plutôt autour de 6 à 8% selon les études. Dans leur panier de consommation, l'énergie et l'alimentation sont surreprésentées. Or ce sont les produits bas de gamme qui ont le plus augmenté ces dernières années, ceux des marques de distributeurs.

Catherine Grangeard : Se nourrir correctement est compliqué pour de nombreuses raisons. Essayons d’en balayer quelques-unes rapidement…La qualité de l’alimentation pose problème. Plus on cherche une nourriture bon marché, et pire c’est. Il est évident que le bio est plus cher. Mais les habitudes sont aussi en cause. Les hypermarchés sont plus fréquentés en banlieue par les populations les moins à l’aise financièrement que les marchés où se retrouvent les populations plus favorisées. Les prix ne sont pas les seuls responsables. Nous savons qu’après une journée de travail, faire le repas fatigue. Le recours aux plats préparés se généralise. Leur qualité est donc essentielle. C’est essentiel que l’industrie agroalimentaire progresse pour que l’équilibre soit optimal.

Lorsque les repas sont pris à l’extérieur, les fastfood n’offrent pas forcément la nourriture la plus diététique… Récemment, une étude révélait que manger à la cantine préserve de l’obésité. Or, les ados préfèrent manger dans ces lieux de restauration rapide où la convivialité leur paraît plus sympa. Ainsi s’opposent à un choix basé sur la qualité et aussi sur le prix (la cantine coûte moins cher et théoriquement il y a un équilibre alimentaire) d’autres critères de choix. Une suggestion pour les cantines : les rendre plus attractives… de nombreux jeunes dénoncent les temps d’attente hyper long, le bruit et parfois aussi la qualité médiocre des repas servis.

Qui sont les personnes concernées par cette malnutrition contrainte ? Leur profil a-t-il évolué récemment ?

Bernard Schricke : Ce sont essentiellement des personnes qui ont des revenus très, très faibles car près de 70% de ceux qui sont accueillis au Secours catholiques ont des ressources inférieures à 40% du revenu médian. En France on est considéré en situation de pauvreté lorsque l'on a des revenus inférieurs de 60% au revenu médian. Ce sont donc des pauvres parmi les pauvres.

Parmi ces personnes, on va retrouver des familles nombreuses, et surtout des familles monoparentales, mais aussi des jeunes en difficulté pour trouver du travail et un logement. Ils ont donc des ressources très faibles, et pas de possibilité d'accéder au RSA socle, ni au RSA activités. Les seniors peinant à retrouver un travail et ne touchant pas encore de retraite font aussi partie des personnes qui bénéficient des colis alimentaires, ainsi que les dernières générations qui ont connu des retraites vraiment trop minces qui sont des personnes d'un âge avancé.

Le profil des personnes évolue, il rajeunit et vieillit à la fois. Ces trois dernières années, on assiste également au retour des familles nombreuses, qui jusque-là arrivaient à s'en sortir. Certaines d'entre elles touchées par la crise n'arrivent plus à faire face et se tournent vers nous. Les familles monoparentales, elles, représentent six familles sur dix parmi celles qui sont accueillies au Secours catholique.

Catherine Grangeard : La malnutrition qui a des causes économiques concernera une population fragilisée économiquement. Celle qui concerne les ados ne se limite pas à cela. Une certaine mode des fastfood résulte d’autre chose. Est accolée une image positive, valorisée par la publicité évidemment. Nous savons que la progression des chiffres d’affaires de certaines restaurations ne correspond pas à la qualité de leurs mets…

L’interaction du social et du culturel se retrouve dans le rapport à la nutrition comme ailleurs. Vous voyez aussi qu’un effort de la part de nos restaurateurs, un sursaut pourrait s’envisager. C’est le bon côté d’une analyse plurifactorielle.

Une tendance de crise parait être de relancer le « fait maison », et en matière de nutrition c’est probablement une excellente chose. Il n’y a pas d’additifs par exemple à une soupe maison (exemple de saison…), ce n’est pas cher et pas très compliqué non plus à réaliser. Ceci est un argument important. Savoir cuisiner résulte souvent de la transmission. Interrogeons-nous ? Avec qui avons-nous appris, ou pas appris ? Puisque la population française grossit, c’est qu’elle est donc mal nourrie.

Quels sont les aliments privilégiés par les personnes dont le budget est limité ? Quels aliments mettent-elles de côté ?

Bernard Schricke :Les personnes qui sont à la rue et qui sont logées à l'hôtel n'ont pas d'autre choix que d'avoir recours aux plats déjà prêts, car elles n'ont pas la possibilité de cuisiner. Pour celles qui habitent dans des logements dépourvus d'électricité dans des grandes conditions de précarité (ce qui arrive encore à beaucoup de personnes), les possibilités de cuisiner sont aussi faibles.

La question des compétences se pose aussi. A titre d'exemple, il suffit qu'une jeune mère de famille de trois enfants ayant une activité qui lui prend du temps le matin et le soir n'ait pas forcément de temps pour cuisiner. Il y a aujourd'hui une incitation à consommer des produits tout préparés. Nous essayons de lutter contre ce phénomène à travers des ateliers cuisine qui font partie de nos "réponses alimentaires". Ces dernières prennent différentes formes : colis alimentaires traditionnels, chèques-services, repas partagés, épiceries sociales, etc. Toute cette gamme d'outil permet de répondre à des besoins différents.

Catherine Grangeard : Elles vont privilégier ce qui va rassasier, ce qui tient au corps… tout cela est choisi quand on a très, très peu d’argent. Les fruits, les légumes sont mis de côté car la faim revient plus vite qu’avec les sucres lents donnés par les pâtes par exemple. S’en suivront évidemment des carences.

Le manque d'information sur l'équilibre alimentaire est-il à l'origine de cette malnutrition des personnes défavorisées ?

Bernard Schricke : Le message "mangez 5 fruits et légumes par jour" est martelé depuis tellement longtemps que plus personne ne l'entend. Afin de pouvoir choisir ses aliments et manger sainement, il faut avoir les moyens financiers, culturels,... Les personnes que nous rencontrons s'inscrivent davantage dans une logique de survie. Elles ont plutôt des préoccupations à court-terme, que de long-terme, notamment celles liées à la santé. Tant que les gens sont dans une logique de survie, ce qui comptera en premier est la situation des enfants, d'avoir un toit sur la tête,… La question de la nourriture sera secondaire.

Les problèmes de poids et d'obésité deviennent un marqueur social. En regardant une photo de classe aujourd'hui, on peut presque déterminer qui sont les enfants qui proviennent de milieux modestes et de milieux pauvres. Les régions qui sont durement marquées par le chômage et la précarité sont aussi durement marquées les problèmes de surpoids. Lorsque l'on demande le relèvement des minima sociaux, c'est aussi pour des questions de santé de publique, bien que cela puisse paraître paradoxal. Cela peut perrmettre aux gens de se nourrir de produits plus sains.

Catherine Grangeard : En partie. La « calorie grasse » est moins chère que la « calorie maigre »… c’est un fait. Alors, informées ou pas, si on manque complètement de moyens financiers, les choix se font d’eux-mêmes. Mais… mais, on n’est pas toujours dans ces situations extrêmes. Alors, interviennent des différences culturelles, des associations comme nous l’avons dit plus haut,… et le goût également. Lui aussi, ce goût, ce plaisir est conditionné par les expériences. Ainsi dans tous les milieux se retrouvent des préférences basées sur ce qui a été donné dès l’enfance.

Quelle part de responsabilité l'offre alimentaire "low cost" porte-t-elle ? Devrait-elle être davantage réglementée ?

Bernard Schricke : Il y a d'un côté les campagnes de communication qui incitent à la consommation de fruits et légumes, et de l'autre, une pression forte de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution afin que la composition des plats, et les éventuels risques pour la santé à consommer durablement tel ou tel type d'aliment  ne soit pas mis en avant sur les emballages. Bien sûr  les ingrédients, et l'analyse nutritionnelle figurent sur les paquets mais ce n'est pas ce qui est flagrant.  

Aujourd'hui, les gens qui peuvent faire des choix stratégiques sur l'alimentation. Cependant, dans le cas des personnes qui bénéficient d'aide alimentaire des associations, la gestion du quotidien accapare l'essentiel de leurs préoccupations.

La malnutrition est un problème pour la santé des personnes, mais c'est aussi une problématique plus globale de santé publique. Elle représente des charges pour l'ensemble de la société. Il vaut mieux prévenir que guérir, et travailler afin que soient la mise sur le marché de produits néfastes.

On voit aujourd'hui des personnes qui souhaitent travailler, mais n'ont plus la forme physique pour le faire. Il ne peut pas y avoir que la recherche d'un profit à court-terme, il faut prendre en compte les problématiques liées à la santé publique. Il y a quelques années, on évoquait les risques liés à la tuberculose, aujourd'hui il y d'autres risques liés à la malbouffe. Il faut réfléchir à ce sujet, qui est une forme de bombe à retardement.

Catherine Grangeard : Trop salé, trop sucré, trop introduire de gras dans les préparations culinaires, dans les produits industriels est évidemment à limiter. La réglementation pose les limites à ne pas franchir au regard de la santé des consommateurs. Les pouvoirs publics doivent bien évidemment assurer les citoyens, qu’en fonction des connaissances scientifiques actuelles, leur santé n’est pas mise en danger avec des normes trop laxistes. Le manque de repères est tel qu’il ne suffit de noter en tout petit « l’excès est nocif » !

Décrypter les étiquettes n’est pas à la portée de tous… justement des plus fragiles d’entre nous.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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