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Commission d'enquête sur les bugs de l'affaire Merah : les services secrets français sont-ils à la hauteur ?
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Affaire Merah

Une commission d'enquête parlementaire sur les ratés de l'affaire Merah devrait s'ouvrir en janvier 2013. Elle vise à mettre en lumière les probables dysfonctionnements des services secrets français.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : A l'initiative du groupe écologiste, une commission d'enquête parlementaire sur le déroulement de l'affaire Merah devrait être créée en janvier. Suite au vote des élus le 5 décembre dernier, la commission sera chargée d'enquêter sur les éventuels ratés de la Direction centrale du renseignement supérieur (DCRI). N'y-a-t-il pas un risque d'instrumentalisation du politique sur nos services de renseignements ?

Alain Chouet : J'ai toujours appelé de mes vœux un contrôle démocratique - parlementaire ou autre - des services de renseignement qui, en France, relevaient jusqu'en 2007 du "bon plaisir" exclusif du chef de l’État, situation unique parmi les grandes démocraties.  C'est en l'absence de ce contrôle qu'existe un réel risque d'instrumentalisation des services par l'exécutif à des fins plus ou moins avouables. Les récentes réformes de l'appareil de renseignement français ont abouti entre autres en 2008 à la création d'une délégation parlementaire au renseignement et à la création d'un poste de coordonnateur du renseignement indépendant des services. Ces réformes constituent le début d'une démarche utile assurant une bonne visibilité du travail des services par les élus de la Nation et susceptible d’assurer la continuité entre les activités de défense et le fonctionnement courant de la « société civile ».

La constitution d'une commission d'enquête parlementaire dans le cadre de l'affaire Merah n'est pas choquante pour les professionnels du renseignement. Mais elle me paraît être une initiative un peu disproportionnée par rapport aux faits dans la mesure où les  dysfonctionnements inhérents à cette affaire ont été parfaitement analysés dans le rapport de MM. Desprats et Leonnet en date du 19 octobre dernier. Ce rapport, accessible à tout le monde et en particulier aux parlementaires, propose des solutions aux difficultés apparues dans le traitement de cette affaire, et je ne vois guère ce qu'une commission d'enquête parlementaire pourra faire de plus.

Selon Noël Mamère, il y aurait des "dysfonctionnements graves dans le système de renseignement français", notamment en termes de lutte antiterroriste. Ce constat est-il crédible ?

Si Monsieur Mamère a connaissance de "dysfonctionnements graves dans le système de renseignement français", il est de son devoir d'élu du peuple de les exposer publiquement et en détail.

Engagée sur de nombreux dossiers politiques internationaux où la composante terroriste est prégnante, située sur d’importantes routes de trafics internationaux en tous genres, disposant encore – n’en déplaise aux esprits chagrins – d’un important potentiel d’innovation technologique, la France a été relativement épargnée depuis près de vingt ans par les paroxysmes de la violence politique, des dérives criminelles mafieuses et de l’espionnage industriel. Elle ne le doit ni a un heureux hasard, ni à la providence mais au travail obscur, patient et obstiné de ses services de sécurité intérieurs et extérieurs. Il ne s’agit pas de leur tresser des couronnes pour avoir rempli la mission qui est la leur mais de veiller à ce qu’ils puissent continuer à la remplir avec le soutien éclairé de tous, en particulier des élus de la Nation.

D'autre part il y a un grave abus de langage à classer les récentes affaires de violence aveugle dans notre pays - telles l'affaire Merah ou celle plus récente du "réseau de Strasbourg" - dans des problématiques de terrorisme. On est plutôt là dans des affaires de dérives psychiatriques comme celle d'Anders Breivik en Norvège où des tueurs fous de Colombine aux États-Unis. Ce n'est pas parce que les auteurs de ces violences en France sont musulmans ou convertis à l'Islam qu'il faut voir en eux des "terroristes" qui relèveraient du renseignement antiterroriste. Ils sont symptomatiques d'un mal plus profond de notre société qui appelle certainement des réponses de surveillance et de prévention policières et judiciaires, mais aussi - et surtout - des réponses politiques, sociales, éducatives et culturelles.

Les députés EELV, à l'origine de l'initiative, affirment qu'une telle enquête rendra hommage aux familles de victimes de l'affaire Merah mais aussi de l'affaire Karachi. Le compassionnel est-il réellement compatible avec la raison d'Etat ?

Le compassionnel n'est pas compatible avec grand-chose si ce n'est la bonne conscience des compatissants... Mais je ne vois pas du tout le rapport entre l'affaire Merah et les affaires de Karachi, ni en quoi les conclusions d'une commission d'enquête sur les ratés de l'affaire Merah sera d'un quelconque réconfort pour les familles de victimes de l'attentat de 2003 au Pakistan.

Je dis "les affaires" car il y a bien deux affaires dites de Karachi. L'une qui est une affaire opaque de corruption dans les années 95 et qui reste à élucider, mais dont les services de renseignement sont totalement absents. L'autre qui est une affaire de terrorisme en 2003, et où les services de renseignement ont distingué dès le début des indices sérieux et concordants d'implication des services locaux.

A ce jour, aucun des magistrats en charge de ces affaires n'a été en mesure d'établir un lien entre les deux. L'enquête sur l'attentat contre les employés de la DCN n'est pas du ressort des services de renseignement dont le rôle se limite à assister en toute transparence les magistrats en charge de cette affaire s'ils le demandent. Ces magistrats sont à ce jour au nombre de trois, un procureur et deux juges d'instruction successifs, dont l'indépendance envers l'exécutif et les services ne peut être mise en doute.

Enfin, il est paradoxal de voir des élus appelant quotidiennement à la désobéissance civile, à la constitution de zones interdites aux forces de l'ordre, à l'occupation illégale d'immeubles, à la destruction sauvage des récoltes d'autrui - fussent-elles OGM, saisis brusquement de l'irrépressible besoin d'aller jeter la suspicion sur l'activité des services de sécurité alors qu'ils ont toute possibilité d'aller s'informer dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement qui, par décret du 24 décembre 2009, est habilitée à auditionner le coordonnateur du renseignement.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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