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Florange, bilan avantages inconvénients : combien coûterait vraiment une nationalisation ?
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Nationalisation ou pas ?

Le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, a assuré jeudi qu'une éventuelle nationalisation du site sidérurgique de Florange n'aggraverait pas le déficit de la France.

Jacques Sapir et Mathieu Mucherie

Jacques Sapir et Mathieu Mucherie

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011). 

 

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Alors que le gouvernement a jusqu'à samedi pour trouver un repreneur pour les le site d'ArcelorMittal à Florange, Jérôme Cahuzac a précisé : "Si le président de la République me demande de trouver de quoi nationaliser ce site (ArcelorMittal), nous trouverons". Quels sont les coûts d'une telle opération ?

Jacques Sapir : La loi française précise qu'une nationalisation, pour ne pas être considérée comme une expropriation, doit donner lieu à un versement équitable. La question majeure consiste à savoir si seul le site "chaud" sera nationalisé, ou s'il faut y ajouter le site "froid", ce dernier continuant de fonctionner, Mittal n'ayant d'ailleurs pas l'intention de le vendre.

En réalité, la seule opération ayant un sens économique serait que l'Etat se porte acquéreur de l'ensemble des installations présentes à Florange. Le prix qui ne scandaliserait pas le marché est estimé entre 350 et 400 millions d'euros. Il faut alors déterminer quelle sera la durée de la nationalisation et si la revente future s'opérera à un montant plus élevé ou plus faible.

Il y a un haut-fourneau et un site de traitement de la fonte et de production d'acier qui est toujours en activité et opéré par Mittal. De l'autre côté de la frontière, assez proche de Florange, se trouvent des mini-fours spécialisés dans la production d'aciers spéciaux qui ont été arrêtés car ils ne trouvaient pas de repreneurs. Mais ils intéressent tout une série d'investisseurs dont le projet consiste à reprendre l'ensemble de Florange et des sites associés - qui se situent au Luxembourg - pour constituer un pôle de production.

En termes de réputation, le gouvernement sera contraint d'aller à l'encontre de Mittal. Mais le passé de l'entreprise montre qu'il y a déjà eu plusieurs situations comme Florange, parfois même dans des contextes plus difficiles comme lors du rachat d'une partie de la sidérurgie Sud-Africaine et qui avait débouché sur une forte augmentation des prix. Des lois anti-trusts avaient même été adoptées pour contrer l'industriel. Si les marchés tiennent compte de ces éléments, l'effet d'une nationalisation en termes de réputation sera faible.

Mathieu Mucherie : Par cette phrase, Jérôme Cahuzac précise clairement que le contribuable français payera l'addition, ce qui laisse supposer que le consentement à l'impôt est particulièrement fort dans notre pays. Ils n'ont pas changé de culture.

Il faut faire une distinction importante dans les coûts entre ceux qui sont visibles - c'est à dire inhérents à l'opération elle-même et dont le gouvernement se targuera devant les médias car le chèque ne sera pas très élevé par rapport aux finances publiques - et ceux qui l'on ne voit pas. Parmi ceux-ci, se trouvent les déficits que l'Etat actionnaire devra combler chaque années ou encore les coûts immatériels et intangibles comme les coûts en termes de réputation pour la France à l'étranger - une nationalisation serait un très mauvais message - ou encore un coût d'exemplarité : si l'Etat a nationalisé une usine en difficulté, pourquoi ne le ferait-il par pour d'autres si elles se mettent à faire pression de la même manière ?

Au final, le coût global sera bien plus élevé que le montant annoncé d'autant que l'historique de l'Etat dans le secteur sidérurgique n'est pas fameux. Le tout pour pour un secteur plus polluant que l'ensemble des OGM et des gaz de schistes réunis...

Le rachat du site de Florange peut-il représenter une opportunité pour l'Etat ?

Jacques Sapir : Le coût économique sera beaucoup plus faible pour une nationalisation - si celle-ci permet de maintenir l'activité à Florange et le redéveloppement des activités associées - que pour une fermeture du site qui nécessiterait une prise en charge l'indemnisation des travailleurs. L'Etat français sortira gagnant.

Enfin, il n'est pas impossible que l'opération avec les investisseurs luxembourgeois aient lieu d'autant plus que le gouvernement du pays n'y ait pas opposé. Dans ce scénario, l'Etat pourrait être bénéficiaires s'il se désengage d'ici trois à quatre ans - comme ce fut le cas avec Alstom - sous conditions qu'il reste présent dans le capital au côté d'un apporteur de fonds étrangers et que le site dégage un profit.

Mathieu Mucherie : Il faut arrêter de présenter Lakshmi Mittal comme un financier sans fois ni loi et âpre au gain. S'il vend ce site, c'est qu'il estime que les coûts de l'activité dépassent les gains. Autrement dit, le site de Florange n'est pas rentable, même s'il est subventionné par des financements publics.

Que l'Etat pourrait-il faire d'autre, sur le plan stratégique, avec les montants débloqués pour ArcelorMittal en cas de nationalisation ?

Jacques Sapir : La sidérurgie n'est pas un secteur perdu. Au contraire, il nécessite de nouvelles techniques de production et des techniques associées.

Nous ne sommes plus au 19e siècle où nous laissions s'échapper, lors de la production de l'acier, tout une série de gazs qui pouvaient être utiles. Depuis quelques années, des technologies se sont développées pour les récupérer : ce sont les techniques associées. L'ensemble de ces activités se révèlent en réalité être de très hautes technologies et créent des chaînes d'activités très génératrices de revenus.

Mathieu Mucherie : Il faut ajouter un coût d'opportunité : l'ensemble des montants et de l'énergie politique déployés sur le dossier ArcelorMittal aurait pu être mis à bien pour d'autres projets innovants. La meilleure chose à faire pour l'Etat est de réduire son périmètre d'intervention. Plusieurs choses auraient pu être fait comme baisser les impôts ou se déployer sur d'autres secteurs même s'il faut relativiser le discours portant sur les "canards boiteux" puisqu'il ne s'agit pas d'acier ancien.

Il aurait fallu trouver un accompagnement pour ces employés plutôt que d'envisager une nationalisation. Si Lakshmi Mittal vends ce site, c'est qu'il a fait son calcul et qu'il n'est plus rentable. Le coût d'opportunité est particulièrement élevé en cette période car le gouvernement s'est fixé un objectif de 3% de déficit budgétaire. Encore qu'il ne s'agit pas d'un véritable problème puisque l'on sait pertinemment qu'il ne respectera cet engagement.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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